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Written by 11 h 06 min Déchiffrer, Planete, Societe-Economie

Chalutage de fond : une pêche qui coûte jusqu’à 11 milliards d’euros à la société

Selon une étude, chaque année, le chalutage de fond coûte entre 330 millions et 11 milliards d’euros à la société européenne. Des chiffres qui posent une question simple : pourquoi continue-t-on à subventionner cette méthode aussi destructrice qu’injustifiable ?

Le 25/03/2025 par Florence Santrot
chalutage de fond
Sous la coque, un désert. Ce type de bateau racle les fonds marins à l’aide de filets lestés, une pratique responsable de 670 000 km² de destruction des écosystèmes chaque année en France. Crédit :
Sous la coque, un désert. Ce type de bateau racle les fonds marins à l’aide de filets lestés, une pratique responsable de 670 000 km² de destruction des écosystèmes chaque année en France. Crédit :

Le chalutage n’a rien de nouveau. Déjà au XIVe siècle, des pêcheurs britanniques en dénonçaient déjà les ravages. Aujourd’hui, ce sont les scientifiques qui montent au créneau. Le biologiste marin espagnol Enric Sala, initiateur du programme Pristine Seas chez National Geographic, a coordonné une étude estimant les coûts ddu chalutage de fond. Selon ses calculs, cette pratique de pêche destructrice fait perdre à la société européenne entre 330 millions et 11 milliards d’euros chaque année. La faute, notamment, aux émissions de CO₂ provoquées par le brassage des sédiments marins.

“Le lobby de la pêche met en avant les bénéfices du chalutage pour la société – emplois, revenus, nourriture – mais ne parle jamais des coûts”, souligne Enric Sala. En prenant en compte les externalités négatives comme les subventions, les émissions carbone ou la perte de biodiversité, l’équation est claire : même dans la fourchette basse, la société est perdante.

Le chalutage de fond : un coût caché, une société perdante

L’étude s’appuie sur des données satellitaires récoltées par l’ONG Global Fishing Watch, permettant d’évaluer précisément les zones affectées par le chalutage de fond entre 2016 et 2021. En croisant ces données avec les indicateurs économiques et environnementaux, les chercheurs ont calculé le “coût social du carbone” — une estimation des dommages économiques causés par le changement climatique — et intégré ce facteur dans leur bilan global.

“Même en prenant l’estimation la plus basse, on voit que le chalutage de fond n’est pas rentable pour la société. Il ne survit que parce que ses coûts sont invisibles et reportés sur les contribuables et l’environnement”, résume Enric Sala. Il plaide pour une interdiction de cette pratique dans les aires marines protégées, sans report de l’effort de pêche ailleurs.

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La déforestation invisible des océans

En parallèle, le rapport de Bloom, intitulé “S’affranchir du chalut”, compare l’impact de cette méthode à une déforestation marine : 670 000 km² détruits chaque année par les chalutiers français, soit l’équivalent de la France, de la Suisse et de la Belgique réunies. À l’échelle européenne, ce sont plus de deux millions de km² qui sont concernés, dont 400 000 au sein d’aires marines dites “protégées”.

Le paradoxe est criant : selon le rapport de Bloom, en France, la pêche la plus destructrice et la moins créatrice d’emplois est paradoxalement celle qui reçoit le plus de subventions.. “Les chalutiers sont responsables de 72 % des émissions de CO2 de la flotte liées à la consommation de carburant et captent 70 % des subventions à la pêche. Les chalutiers de fond détruisent chaque année des ‘forêts’ marines entières. Et les chalutiers pélagiques industriels, symbole de la démesure et de l’esclavage moderne créent dix fois moins d’emplois que la pêche traditionnelle.” Selon l’association, sans ces aides, la majorité des flottilles ne serait pas rentable.

Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes

Les chaluts de fond ne représentent que 11 % des navires mais sont responsables de 25,5 % des volumes débarqués, de 86 % des ressources surexploitées et de 72 % des émissions de CO₂ de la flotte française. Un seul passage peut tuer jusqu’à 50 % des invertébrés. Et ils captent l’essentiel des quotas, au détriment des pêches artisanales.

Pourtant, il est possible de faire autrement. Selon les travaux des chercheurs de l’Institut Agro et du Muséum national d’Histoire naturelle, 85 % des volumes capturés par les chalutiers de fond pourraient l’être via des techniques plus douces : casiers, lignes, filets… 39 % seraient même facilement transférables dès aujourd’hui.

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Un modèle industriel à bout de souffle ?

Malgré les subventions, les captures sont en forte régression depuis quinze ans. La “déchalutisation” est en cours, mais elle se fait sans stratégie ni accompagnement. Pour l’association Bloom, la transition passe par une combinaison d’actions : protéger les juvéniles, sanctuariser la bande côtière, démanteler les géants industriels, rediriger les quotas, financer la transition et établir de vraies aires marines protégées. Les outils existent, ce sont les décisions politiques qui manquent.

“L’industrie ne fait des profits que parce qu’elle externalise ses coûts”, rappelle Enric Sala. Et Claire Nouvian, présidente de Bloom, de conclure : “Les citoyens veulent cela, tout le monde veut cela, sauf le tout petit lobby du chalutage.” Protéger l’océan est simple, il suffit d’arrêter de le détruire. Et pour cela, se libérer du chalut de fond est la première étape incontournable.

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