Partager la publication "Chaud devant : pourquoi des températures records sont attendues fin 2023"
Comme dit l’adage bien connu des climatologues « Climate is what you expect, weather is what you get ». « Le climat c’est ce que l’on attend, le temps c’est ce que l’on obtient ». Les phénomènes météorologiques locaux sont difficiles à prévoir car ils fluctuent rapidement. Ils sont sous l’influence de processus non linéaires et chaotiques. L’évolution du climat global sur le plus long terme repose, lui, sur des phénomènes physiques bien connus et généralement prévisibles. Les prochains 12-18 mois devraient être assez exceptionnels avec des températures records, suite à un alignement de phénomènes locaux et globaux qui se combinent.
Avec mon équipe, dont la spécialité est l’étude par satellites de l’évolution de l’atmosphère, j’analyse chaque jour des millions de données vues du ciel. Le but est de surveiller les températures sur terre comme sur la mer, partout autour du globe terrestre. Et de mesurer les concentrations des gaz présents dans l’atmosphère. Ces dernières semaines, nous avons aussi pu observer des records de chaleur battus dans de nombreux pays.
Un marqueur important a fait les gros titres. Il s’agit de l’augmentation de la température moyenne globale de 1,5 °C par rapport à l’époque préindustrielle. Cette valeur repère dans l’accord de Paris sur le climat a été dépassée plusieurs jours cet été. Serait-il possible que cette valeur le soit également quand il s’agira de calculer la moyenne annuelle des températures globales pour l’année 2023 ?
Pour comprendre l’évolution des températures, il faut tenir compte du fait que notre climat est complexe. Il dépend des interactions entre les activités humaines, l’atmosphère, la surface terrestre et la végétation, la neige et la glace, et les océans. Le système climatique évolue sous l’influence de sa propre dynamique interne. Mais il dépend également de facteurs externes. De ce qu’on appelle les « forçages radiatifs », et qui sont exprimés en watts par mètres carrés (W/m2).
Le terme forçage est utilisé pour indiquer que l’équilibre radiatif de la Terre est déstabilisé. Et le terme radiatif est lui convoqué car ces facteurs modifient l’équilibre entre le rayonnement solaire entrant et le rayonnement infrarouge sortant de l’atmosphère. Cet équilibre radiatif contrôle la température à différentes altitudes. Un forçage positif implique une augmentation de la température à la surface de la Terre. Et à l’inverse un forçage négatif implique une diminution.
Les forçages externes proviennent de phénomènes naturels tels que les éruptions volcaniques et des variations du rayonnement solaire. Mais également par des modifications de la composition atmosphérique imputables à l’Homme (les gaz à effet de serre et les particules liés aux activités humaines). Comprendre les changements climatiques observés depuis une trentaine d’années implique de pouvoir distinguer les modifications liées aux activités humaines de celles associées aux variations naturelles du climat. Les principaux forçages qui vont intervenir et s’additionner sont :
En plus des forçages radiatifs, il faut aussi tenir compte de la variabilité naturelle du système couplé océan-atmosphère. Et en particulier du phénomène ENSO (El Niño Southern Oscillation), avec sa composante chaude El Niño et sa composante froide La Niña. Ces phénomènes sont les principaux facteurs de variation d’une année sur l’autre. Et dont il faut tenir compte quand on analyse la tendance à long terme au réchauffement de la surface de la mer.
Ces événements climatiques périodiques sont des phénomènes naturels, qui se caractérisent par des fluctuations de température entre l’océan et l’atmosphère dans l’océan pacifique équatorial. En général, les vents alizés soufflent d’est en ouest le long de l’équateur. Ils poussent les eaux chaudes de la surface de l’océan Pacifique vers l’ouest, où elles s’accumulent près de l’Indonésie et de l’Australie. L’eau froide remonte alors du fond de l’océan dans l’est du Pacifique. En remplaçant l’eau chaude, cela entraîne des eaux relativement fraîches à la surface des côtes sud-américaines.
Lorsque le phénomène El Niño survient, les alizés faiblissent ou s’inversent. Cela réduit leur force ou les fait souffler d’ouest en est. Dans ce cas, l’eau chaude accumulée dans l’ouest du Pacifique se déplace vers l’Est en suivant l’équateur. Le réchauffement de la surface de la mer dans l’Est du Pacifique provoque alors une augmentation de plusieurs degrés de la température de l’eau. Avec de vastes répercussions sur les conditions météorologiques et climatiques à l’échelle mondiale.
Ces phénomènes peuvent durer plusieurs mois ou plusieurs années, et leur intensité est variable. Ils perturbent la météo localement (plus de pluies à certains endroits, plus de sécheresses à d’autres) et influencent le climat global, en particulier lors d’évènements El Niño intenses.
Reprenons un à un les différents éléments décrits ci-dessus, et regardons ce qu’il en est en ce moment :
En conclusion, tous les paramètres sont réunis pour des températures records au cours des prochains 12-18 mois. Du coup, les 1,5 °C en moyenne globale, soit la limite la plus ambitieuse de l’accord de Paris sur le climat, pourrait être dépassés sans attendre 2030. Avec toutes les incidences sur les systèmes naturels et humains bien documentées dans le rapport spécial du GIEC 2019.
Une augmentation de 1,5 °C ne semble pas énorme. Mais il faut se souvenir que 70 % de notre planète est couverte d’eau. Et celle-ci a une inertie thermique supérieure à la terre et se réchauffe moins vite. De plus, le réchauffement se répartit inégalement. Les hautes latitudes se réchauffent beaucoup plus vite que les tropiques, avec des pics de 4° attendus sur ces régions.
Est-on sûr que cela va se passer ? Non, mais la probabilité qu’on dépasse dès maintenant un seuil qu’on pensait atteindre entre 2025 et 2040 est importante. Comme les émissions de gaz à effet de serre ne diminuent pas, il faudrait que des phénomènes naturels soient à l’œuvre au cours des prochains mois pour contrecarrer la tendance prévue.
Par exemple, si le phénomène El Niño s’avère moins puissant qu’envisagé, ou si un autre volcan envoyait du SO2 massivement dans toute l’atmosphère, alors seulement dans ce cas de figure les records de températures pourraient ne pas être battus dès maintenant. À plus long terme, l’avenir nous dira quand les fluctuations naturelles domineront les contributions anthropiques pour expliquer les variations de température, selon l’efficacité des mesures prises dans le cadre des accords internationaux pour réguler le climat.
À propos de l’autrice : Cathy Clerbaux. Directrice de recherche au CNRS (LATMOS/IPSL), professeure invitée Université libre de Bruxelles, Sorbonne Université.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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