Partager la publication "Christian Kroll (Ecosia) : “Nous ne nous contentons pas de planter des arbres, nous les faisons grandir”"
Sans doute avez-vous déjà entendu parler du moteur de recherche écologique Ecosia. Peut-être même l’utilisez-vous. De prime abord, Ecosia est similaire à ses concurrents, Chrome, Firefox ou encore Safari. Comme eux, le moteur de recherche d’origine allemande, créé en 2009, génère des revenus à partir des clics de ses utilisateurs sur les annonces qui s’affichent au-dessus et à côté de ses résultats.
La différence est dans l’utilisation de l’argent ainsi généré. Ecosia reverse 80 % de ses bénéfices à des associations à but non lucratif qui mettent en place des programmes de reforestation à travers la planète. Ce lundi 16 mai 2022, le moteur de recherche écologique a passé un cap important : plus de 150 millions d’arbres plantés – et vivants – depuis le lancement du projet. A l’occasion de l’intervention du fondateur, Christian Kroll dans le cadre du salon ChangeNOW, WE DEMAIN a pu le rencontrer et faire le point sur cette initiative à succès.
WE DEMAIN : Ecosia vient de passer un cap important cette semaine…
Christian Kroll : Oui, nous sommes très fiers d’avoir atteint les 150 millions d’arbres plantés depuis la création du moteur de recherche. Le rythme est bon même si ce n’est jamais assez par rapport à ce qu’il faudrait faire pour sauver notre planète. C’est peut-être une goutte dans l’océan mais on progresse peu à peu. Sinon, en ce qui concerne Ecosia, nous approchons la centaine d’employés donc nous commençons vraiment à avoir suffisamment de monde pour développer plus rapidement de nouveaux projets, qui devraient sortir d’ici peu.
Et puis Android, le système d’exploitation mobile détenu par Google, a commencé à suggérer Ecosia parmi les moteurs de recherche par défaut des nouveaux smartphones. Nous espérons que cela aura un effet très positif sur le nombre de nos utilisateurs. Enfin, nous avons lancé il y a quelque temps une fonction shopping. Si vous voulez acheter un sac à dos par exemple, nous allons mettre en avant des recommandations écoresponsables en premier avant des suggestions plus classiques.
Vous avez une démarche écologique y compris en tant qu’entreprise ?
Oui, nous avons décidé, en réaction de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, d’investir 20 millions d’euros dans les énergies renouvelables, en plus de ce que nous faisions déjà. L’essentiel de nos bénéfices vont dans la plantation d’arbres mais nous en gardons toujours un peu sur notre compte en banque par sécurité ou pour un projet imprévu. Et c’est le cas pour les énergies renouvelables aujourd’hui.
20 millions d’euros, c’est beaucoup. C’est presque la totalité des revenus d’une année. Mais j’espère que nos concurrents vont nous suivre. Si Google faisait la même chose, nous règlerions une partie du problème de la transition énergétique dans le monde. Nous n’attendons qu’une chose : que les autres compagnies tech nous copient. Ce serait formidable !
Vous affichez un nombre d’arbres plantés sur la page d’accueil de votre moteur de recherche. Qu’est-ce qui se cache concrètement derrière ce chiffre ?
Quand on plante des arbres, il est important de le faire de la bonne manière. Nous ne plantons pas nous-mêmes des arbres mais nous travaillons avec des associations, des ONG et des entreprises dont c’est la spécialité. Au total, nous soutenons entre 50 et 60 projets mais nous avons aussi rejeté de nombreux dossiers car ils n’apportaient les garanties suffisantes. Ce qui est important, c’est de planter des arbres aux endroits où ils devraient être plantés, pour ne pas déstabiliser l’écosystème, dont les sols.
Nous concentrons nos efforts dans des zones où la biodiversité a été fortement malmenée, à la fois pour la restaurer l’environnement mais aussi pour proposer aux populations de nouvelles sources de revenus. Ils peuvent par exemple récolter des fruits à coque des arbres plantés pour les revendre. À chaque fois, nous cherchons à comprendre pourquoi les arbres ont disparu, nous nous demandons si ça changerait quelque chose si nous replantions des arbres à cet endroit et comment pouvons-nous être sûrs qu’ils vont survivre longtemps. Notre démarche s’inscrit sur le long terme et nous voulons donner les meilleures chances de survie à ces arbres. S’ils meurent, nous les retirons du compteur.
Nos programmes de reforestation ne se limitent pas aux arbres. Nous prenons en compte la biodiversité des lieux, la question de l’eau, des populations, etc.
Christian Kroll
Après la plantation, vous suivez l’épanouissement des arbres sur le long terme ?
Oui. plutôt que de dire qu’Ecosia plante des arbres, il serait plus juste de dire que nous faisons grandir des arbres. En général, nous ne faisons pas pousser des plants en pépinière avant de les mettre en terre et de les arroser… car c’est beaucoup trop cher. Dans le cadre des projets que nous soutenons, nous aidons des zones à régénérer des forêts. Par exemple, une de nos toutes dernières collaborations est localisées au nord du Burkina Faso, en Afrique. Là-bas, c’est presque le désert. Ce serait fou de se décider d’un coup à planter des arbres. Ils mourraient très vite dans ces conditions.
Ce que nous y faisons, c’est creuser de grands trous dans la terre puis, quand il pleut – cela arrive seulement quelques jours dans l’année mais il tombe l’équivalent d’une année de pluie à Paris, ce qui crée de grosses inondations mortelles – alors les trous se remplissent d’eau. Celle-ci va pénétrer peu à peu dans les sols plutôt que de tout emporter sur son chemin. Tant qu’elle est encore dans les trous, nous y mettons des graines d’arbres de la région. Ils vont commencer à pousser. Il leur faut plusieurs années pour créer des racines très résistantes, mais une fois qu’elles sont là, l’arbre grandit et est très fort. Mais c’est du long terme. Beaucoup d’organisations, hélas, annoncent planter des arbres mais ne se soucient pas de ce qu’ils deviennent ni si la méthode est la bonne…
Où sont situés les projets de reforestation d’Ecosia ?
En général, ils sont situés dans des pays en voie de développement, dans les tropiques pour la plupart. C’est dans cette zone qu’on a le meilleur bénéfice en termes d’euro investi. Car nous avons non seulement un impact sur la biodiversité, sur le réchauffement climatique mais aussi sur le bien-être des populations (revenus supplémentaires tirés de l’exploitation raisonnée des forêts, bois de chauffage, nourriture grâce à une meilleure biodiversité et au recul des zones désertiques, etc.). Nous sommes beaucoup au Burkina Faso, au Brésil, à Madagascar et en Éthiopie. Mais nous avons aussi un petit projet en Normandie par exemple, quelques centaines d’arbres dans une ferme. Mais nous ne plantons pas généralement dans les pays développés car ils ont déjà les ressources pour la reforestation… même s’ils ne le font pas toujours.