Partager la publication "Christophe Cordonnier (Lagoped) : Coton, polyester… “Il faut accepter que les données scientifiques remettent en question nos certitudes”"
Fondée en 2018, Lagoped est une marque française de vêtements techniques spécialisée dans l’outdoor. Engagée dans une démarche écologique et responsable, l’entreprise met l’accent sur la durabilité de ses produits, la transparence de sa chaîne de production et l’utilisation de matières recyclées. En 2023, elle est la première marque de l’industrie de la mode à afficher l’Éco-Score de l’ensemble de ses vêtements.
Depuis, Lagoped a levé 4,4 millions d’euros pour accélérer son développement et renforcer sa mission en faveur de la mode durable. Nous avons rencontré Christophe Cordonnier, cofondateur de Lagoped, pour discuter de l’impact de l’Éco-Score sur leur activité, de leur vision de la mode durable et des défis actuels de l’industrie textile. Il livre à WE DEMAIN son analyse sur les enjeux écologiques du secteur et partage les convictions qui animent la marque depuis sa création.
Christophe Cordonnier : L’impact est surtout qualitatif. Nous avons reçu des retours très positifs de nos clients sur notre honnêteté, notre transparence et la cohérence de notre démarche. Ces valeurs reviennent souvent dans les commentaires. Il est difficile de mesurer un impact quantitatif précis, mais la progression des ventes en ligne de Lagoped suggère que l’éco-score y contribue certainement. Pour nous, cela représente une étape dans la cohérence de notre démarche et dans le souhait d’expliquer notre processus et nos choix.
Malheureusement, je n’ai pas entendu parler d’autres marques dans le textile et la mode qui l’ont adopté. Alors même que l’Éco-Score doit devenir obligatoire au plus tard en 2027. Pire, nous avons le sentiment que beaucoup de marques ont plutôt mis leurs efforts, leurs ressources, leur temps et leur argent dans la lutte contre l’Éco-Score plutôt que dans sa mise en place. Je pense qu’il verra le jour de manière obligatoire mais la question est de savoir à quel point on lui aura tordu le bras d’ici là. Sous quelle forme, sous quelle version et est-ce qu’il ne dira pas l’inverse de ce qu’il devait dire, c’est une vraie question…
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Souvent, elles reprochent le fait que, selon les critères de l’Éco-Score, le coton bio ou la laine vierge ont de moins bons scores que le polyester recyclé. Cela vient choquer les croyances des 10-15 dernières années. Ils ont du mal à admettre que quand on extrait des matières naturelles, forcément le dommage est plus grand que quand on n’en extrait pas et qu’on recycle. Je ne suis pas du tout fan du pétrole mais l’extraction de pétrole a un impact carbone moindre que la production de coton [produire 1kg de polyester génère 14,2kg CO2 eq. quand produire 1kg de coton génère 16,4kg CO2 eq, selon l’ADEME, NDLR].
Je pense qu’il faut accepter que les données scientifiques puissent remettre en question nos certitudes. L’Éco-Score est basé sur une analyse complète du cycle de vie des produits, prenant en compte l’impact environnemental de l’extraction des matières premières. Les matières naturelles agricoles ont effectivement un poids environnemental élevé en raison de l’utilisation de terres, d’eau, de pesticides, etc. Le polyester en a moins. Il est important de regarder l’impact global plutôt que de se focaliser sur des idées préconçues. Mais je conçois que, quand tout son univers s’est construit autour d’un concept, il faut du temps pour faire marche arrière. C’est comme quand on a découvert que la Terre n’était pas plate.
Que ce soit clair, je ne défends pas du tout les microplastiques. Mais des études menées par l’IFREMER montrent que, sur les collectes en mer, on trouve davantage de particules cellulosiques que de particules plastiques. Alors, oui, la cellulose est biodégradable mais pas ce qu’il y a dessus. Si vous faites un coton vierge, pas teint, pas traité, alors il n’y a pas de problème. Mais les marques produisent du coton ou du coton bio qui est teint, qui est traité, qui est adouci, qui est lavé…
Donc il y a énormément de produits néfastes qui sont relargués à chaque lavage et qui finissent aussi dans la nature. La première chose à faire est de moins laver ses vêtements. 14 % de l’impact environnemental d’un vêtement c’est l’usage. Mais je reconnais que ce n’est pas facile à faire passer comme message.
C’est une question complexe. Shein, Temu… ces marques profitent de modèles économiques basés sur la surproduction et la consommation rapide, souvent au détriment de l’environnement et des conditions de travail. Pour les freiner, il faut mettre en place des réglementations plus strictes sur l’importation et la gestion des déchets textiles. Le traité de Bâle, par exemple, interdit l’exportation de déchets dangereux. Cela pourrait être une piste si on considère que ces vêtements jetables sont des déchets.
De plus, l’instauration de taxes environnementales sur les produits à fort impact pourrait dissuader ce type de production. Enfin, sensibiliser les consommateurs sur les conséquences de l’ultra fast fashion est essentiel pour réduire la demande. On prend conscience que, oui, trois t-shirts, ça va, mais une pile de t-shirts de 50 mètres de haut, là, ça commence à être problématique. Mais c’est un long processus…
Il est souvent mis en avant, mais c’est une définition juridique qui ne prend pas en compte l’ensemble du cycle de production. Par exemple, une marque peut fabriquer en France avec des matières premières venant d’Inde ou du Bangladesh. Cela cache aussi parfois de cocher des cases pour vendre. Si vous faites du made in France, que vous êtes B Corp. et que vous donnez au 1 % pour la planète, vous êtes la star de l’écoresponsabilité. Mais, fondamentalement, vous n’allez pas du tout adresser les 90 % d’impact sur la matière et les conséquences sociales et environnementales.
Le vrai problème est que, pour moi, le made in France est une impasse. Parce que nous manquons de ressources humaines pour produire à grande échelle. C’est bien d’en parler, mais c’est des plans à 20-25 ans. Il faudrait ouvrir aujourd’hui des écoles, valoriser le métier, former des jeunes pour un résultat dans plusieurs décennies. En revanche, je pense que l’Éco-Score, en intégrant le sourcing dans l’évaluation, remet en question l’importance accordée au made in France. Ce qui est nécessaire en revanche, et ce à quoi on travaille, c’est de donner la traçabilité à toutes les étapes depuis la matière première. Comme ça, si on voit “made in France” puis en dessous, “made in Bangladesh”, “made in Thailand”… cela permet de relativiser. Concernant Lagoped, du fil au tissu jusqu’à la finalisation du vêtement, tout est fait en Europe.
Il faut limiter l’extraction de nouvelles matières premières et réutiliser ce qui est déjà en circulation. Cela permet de réduire l’impact environnemental et de créer des emplois locaux. Il est également important de produire des vêtements durables, réparables, et de consommer moins. Cependant, pour l’industrie, cela implique de gagner moins d’argent et de croître moins rapidement, ce qui est un véritable défi.
Nous voulons continuer à développer une démarche cohérente et intelligente, en limitant notre impact environnemental tout en proposant des produits de qualité. Nous espérons que d’autres marques nous rejoindront dans cette voie et que des outils comme l’éco-score seront adoptés plus largement pour guider les consommateurs vers des choix plus responsables.
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