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Clean Cooking  : l’Afrique au défi d’un enjeu alimentaire et environnemental

Près d’un milliard de personnes en Afrique subsaharienne dépendent de la biomasse (bois de feu, charbon de bois, résidus agricoles) pour cuisiner. Cela représente 83 % de la population de cette région. Plus d’un milliard de tonnes des émissions de carbone émises chaque année proviennent de la combustion du bois et du charbon pour la cuisine. Plus de la moitié du bois coupé dans le monde sert à la cuisson et au chauffage. 

Encore à l’heure actuelle, malgré le développement d’énergies renouvelables comme le solaire, le bois et son charbon restent la principale source d’énergie en Afrique. Or, 2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (1 gigatonne de CO2eq) provient de la combustion du bois et du charbon. Mais l’Agence internationale de l’énergie (AIE) en est persuadée : “cuisine propre” (clean cooking) est non seulement possible en Afrique mais c’est aussi une opportunité. Pour appuyer ses propos, l’AIE organise le 14 mai prochain un nouveau sommet “Clean Cooking in Africa” au siège de l’Unesco à Paris.

Un enjeu de santé pour l’Afrique

La cuisson au feu de bois ou au charbon est un vrai problème sanitaire. Dans 32 pays d’Afrique, plus de 75 % de la population n’a pas accès à une cuisine propre. Et cela a de lourdes conséquences. Chaque année, on enregistre plus de 4 millions de décès dus à la pollution de l’air intérieure liée au mode de cuisson (quelque 500 000 rien que pour l’Afrique subsaharienne). Ces méthodes provoquent troubles respiratoires aigus, maladies cardiaques, cancers, cataractes, etc.

Qui plus est, ce sont avant tout les femmes et les enfants qui subissent les conséquences de ce mode de cuisson : en moyenne, ils passent 10 à 20 heures par semaine à récolter du combustible, bien souvent non géré de manière durable. Ce sont eux aussi qui passent le plus de temps près des foyers polluants à respirer un air vicié. Le développement d’une cuisson propre en Afrique pourrait donc favoriser l’équité des sexes (les femmes n’étant plus reléguées à aller chercher du bois), réduire l’impact carbone du secteur de la cuisine et lutter contre la déforestation.

Des besoins colossaux de financement pour le clean cooking

Selon un rapport de la Banque mondiale, il faudrait dédier chaque année 150 milliards de dollars pour donner un accès universel à des services énergétiques modernes (électriques principalement) pour la cuisson d’ici 2030. Néanmoins, L’AIE propose des objectifs un peu moins ambitieux mais aussi bien moins coûteux : en dédiant 8 milliards de dollars par an, on pourrait déjà développer des services de cuisson améliorés à l’horizon 2030. Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie, prévient : “sans résolution du problème de la cuisson propre en Afrique, le plan mondial de décarbonisation n’aurait aucun sens.”

Le sommet Clean Cooking in Africa du 14 mai prochain vise à inciter les dirigeants du monde entier à s’engager à financer ces investissements. L’événements sera coprésidé par la Présidente de la République-Unie de Tanzanie, Dr Samia Suluhu Hassan, le Premier ministre de Norvège, Jonas Gahr Støre, le président du Groupe de la Banque africaine de développement, Dr Akinwumi A. Adesina et le Dr Fatih Birol. 

Quelles alternatives au bois et au charbon pour du clean cooking ?

Voici quelques exemples de solutions de cuisson propre et abordables déjà imaginées – en Afrique et ailleurs – pour les ménages à faibles revenus :

Les foyers améliorés

Les foyers améliorés ou cuisinières économes en bois/charbon sont une option peu coûteuse et plus efficace que les feux ouverts traditionnels. Ils réduisent la consommation de combustible et les émissions de fumée. Ainsi, au Bangladesh, il existe les cuisinières Bondhu Chula, fabriquées avec de l’argile et du ciment. De même, l’Ouganda a développé des foyers améliorés artisanaux produits localement.

Une cuisinière Bondhu Chula au Bangladesh. Crédit : DR.

Les cuisinières à biocombustibles

Certaines cuisinières fonctionnent avec des biocombustibles comme les résidus agricoles compressés en briquettes. En Ouganda à nouveau, près de la ville de Kampala, la société Green bio Energy récupère les peaux de banane pour en faire des briquettes qui serviront de combustibles. En Sierra Leone, West Wind Energy fabrique près de 2 000 cuisinières plus propres (fonctionnant notamment avec la biomasse)

La cuisinière fabriquée par West Wind Energy en Sierra Leone. Crédit : DR

Les cuisinières à gaz ou électriques

Bien que plus coûteuses à l’achat, ces cuisinières propres permettent d’économiser sur le combustible à long terme. Au Kenya, le système Circle Gas est porteur d’espoir : ces cuisinières à gaz sont dotées d’un compteur intelligent pour ne payer que le gaz consommé. Différentes familles peuvent donc partager une même cuisinière… et partager les frais équitablement. Encore en Ouganda, des cuisinières électriques à batterie Fenix (une filiale d’Engie) utilisent l’énergie solaire.

Le système Circle Gas. Crédit : DR.

Les réchauds améliorés portables

Ces réchauds portatifs sont plus efficients et peuvent remplacer les feux ouverts traditionnels. Ainsi, en Zambie, EcoZoom est un réchaud à pression qui réduit la consommation de charbon. Dans la même idée, l’organisation à but non lucratif Energy 4 Impact collabore en Afrique avec des centaines de petits producteurs et distributeurs de foyers améliorés, au Kenya mais pas que, afin de favoriser le développement de ce marché.

Le réchaud EcoZoom utilisé en Zambie. Crédit : Vitalite Zambia.

Des solutions existent donc mais le chemin sera sans doute très long. Les efforts pour déployer à grande échelle des solutions de cuisson propre en Afrique peinent encore à se concrétiser, notamment à cause de défis liés à l’adéquation des technologies aux besoins et habitudes locaux. Et par manque de financement.

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