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Colère des Gilets jaunes : regardons les inégalités en face

Le 03/12/2018 par WeDemain

D’abord une évidence : la colère actuelle de nombreux Français qui se disent oubliés et maltraités par la société repose sur leur sentiment croissant d’inégalité et d’injustice. De fait, les écarts entre les individus se sont accrus entre les extrêmes de la pyramide sociale, que ce soit en matière financière (revenus, dépenses, patrimoines…) ou culturelle (accès, choix et usages des offres existantes). Dans le premier domaine (financier), ces écarts ont atteint des niveaux très élevés.

Cela amène à se poser une question : un être humain (patron, sportif, acteur, chanteur, animateur, financier ou héritier…) peut-il dans certains cas en “valoir” plusieurs milliers d’autres, au seul prétexte qu’il se situe en haut dans la pyramide, qu’il est plus connu ou qu’il dispose de talents particuliers ? 

Beaucoup le pensent et trouvent ces différences acceptables, voire indispensables au fonctionnement de la société. Ils les justifient généralement par l’existence de “marchés” concurrentiels, d’apports particuliers des “élites” ou des “célébrités” à l’économie (profits, dépenses, investissements) ou à la société ( divertissement, confort, etc.). Ces apports seraient le résultat de capacités rares, donc légitimement valorisées, selon la “loi” de l’offre et de la demande. Mais n’existe-t-il pas des limites à ce qui est “acceptable” ?
 

Les différences de capacités entre les individus ne sauraient évidemment être niées, même s’ils naissent en principe “égaux”. Il est non moins évident qu’elles sont souvent innées, tant en matière physique qu’intellectuelle ou mentale. D’autres sont acquises au cours de l’enfance, généralement grâce au milieu familial, aux réseaux et autres opportunités auxquelles il permet d’accéder.

Quel est alors le « mérite » personnel de celui qui est doté de ces atouts, s’il “réussit” sa vie (notamment professionnelle) mieux que ceux qui ne les ont pas reçus en cadeau, à leur naissance ou lors de leur développement ? Personne n’est véritablement responsable de son apparence, de son caractère ou de ses dispositions. Chacun peut, sans doute, les améliorer au cours de son existence. Mais on peut aussi considérer que c’est plus facile à ceux qui disposeront des moyens nécessaires (argent, temps, relations…) et de certains traits de caractère (volonté, motivation, persévérance, confiance en soi…), en grande partie aussi “innés” ou développés dans un environnement familial favorable. On en revient alors à la question initiale. 
  

Cette question peut être reformulée ainsi : pourquoi celui qui a eu le plus de “chance” devrait-il être en plus récompensé pour cela ? Ne devrait-il pas au contraire faire preuve de gratitude envers le sort initial qui lui a été favorable, d’humilité et d’empathie à l’égard de ceux qui ont été moins dotés ? S’il ne se comporte pas spontanément ainsi, la société ne devrait-elle pas lui suggérer de le faire en limitant les récompenses qu’elle lui attribue ?

Les nombreux avantages (fortune, gloire, et autres traitements de faveur…) accordés à ceux qui sont déjà privilégiés par leur hérédité et leur milieu d’origine sont en réalité des “primes” supplémentaires, souvent injustes ou en tout cas excessives. Il ne paraîtrait donc pas insensé que les “Tranquilles” (par nature beaucoup moins sensibles à la conjoncture et aux difficultés qu’elle engendre), peut-être aussi les “Agiles” (plus vulnérables mais dotés de capacités de rebond en cas de difficulté) se sentent redevables envers les “Fragiles” (ceux qui restent aux marges de la société et s’éloignent de plus en plus de son centre). Surtout dans la période de transition inédite et difficile que nous traversons.
 

Plutôt que de  récompenser la “chance” des uns par des salaires mirobolants, des marques de considération et bien d’autres privilèges, la société serait ainsi en droit (et en devoir) de compenser la moindre chance des autres. Elle le fait en partie avec la redistribution. Mais, bien que coûteuse, elle s’avère aujourd’hui impuissante à réduire les écarts.

Au lieu (ou en plus) d’agir par le bas, on pourrait alors le faire par le haut, de diverses façons. En incitant les “Tranquilles” au partage, au don, à l’implication dans des actions humanitaires, environnementales. En plafonnant certains de leurs avantages, notamment financiers, à des niveaux “acceptables” (à définir). En décidant d’une progressivité accrue des droits de succession des plus riches, afin de ne pas accroître mécaniquement les écarts, que l’on ne saurait pour le coup justifier par le “mérite” des héritiers.

Or, la logique de “marché” qui prévaut dans le recrutement, la rémunération et le traitement des “élites” contemporaines aboutit exactement à la conséquence inverse, avec la hausse des inégalités (saisissante entre le premier et le dernier centile), cause de la grande frustration qui s’exprime aujourd’hui.  
 

Faut-il donc récompenser la “chance” des uns ou compenser la “malchance” des autres ? Probablement les deux, mais dans quelle mesure, et de quelles façons ? Le débat sur ce sujet, présenté volontairement ici en forme de provocation, me paraît essentiel pour inventer un avenir acceptable par tous.

Mais il faudra le conduire de façon collective, apaisée, réaliste, rationnelle, hors des idéologies ou des habitudes. En privilégiant l’éthique de responsabilité sur celle de conviction. En se situant davantage sur le terrain de la philosophie et de la “morale” que sur celui de la politique ou de l’économie. La colère de nombreux Français pourrait alors s’estomper. Ils pourraient non seulement se réconcilier avec les “élites” de la nation, mais aussi entre eux. Une utopie réalisable. 
 

Dans “Francoscopie”, un livre qu’il publie tous les deux ans depuis 1985, le sociologue Gérard Mermet analyse notre époque. Il livre cette année une édition spéciale sur la France de 2030.

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