Partager la publication "Comment retrouver des sols plus sains ? Des solutions pour la gestion durable des terres"
On estime aujourd’hui que 70 % des écosystèmes terrestres (libres de glace) ont été transformés par rapport à leur état naturel, et que 35 % des terres sont utilisées à des fins agricoles. En raison de pratiques inadaptées, un cinquième (soit plus de 2 milliards d’hectares) des sols sont par ailleurs désormais considérés comme dégradés. Si cette détérioration se poursuit à un rythme similaire, il y aura près d’un milliard d’hectares supplémentaires de terres dégradées d’ici à 2030. Cela équivaut au total mondial des engagements de restauration des pays.
Pour rappel, la Convention des Nations unies de lutte contre la désertification définit les terres comme “le système bioproductif terrestre qui comprend le sol, la végétation, d’autres biotes et les processus écologiques et hydrologiques qui opèrent dans le système”. Elles sont ainsi considérées comme un bien public fournissant de la nourriture, de l’eau, du bois de chauffage, des plantes médicinales. Les terres régissent les cycles du carbone et de l’azote, tout en apportant aux populations sécurité, statut, identité sociale, mais également dignité.
Alors que leur rôle dans les systèmes alimentaires est essentiel, la capacité des terres à soutenir la production de nourriture pour l’homme et les animaux d’élevage et sauvages, apparaît pourtant en danger.
La dégradation des terres est l’aboutissement d’un long processus. Il y a plus de 12 000 ans que les activités humaines (chasse, pêche, défrichement, agriculture) ont altéré les écosystèmes, détournant à leurs profits les services rendus par les terres. Cette révolution, parfois nommée “Révolution néolithique”, a façonné les sociétés et les populations.
L’expansion agricole s’est ensuite répandue sur tous les continents, accélérant ces transformations et conduisant, dans les années 1960, à ce qui est communément appelé la “Révolution verte“. Fondée sur les progrès scientifiques et techniques, notamment dans le domaine de la fabrication des engrais, de la sélection variétale et de la mécanisation, elle a été soutenue par une politique d’intensification agricole qui a participé à la dégradation des terres.
Dans le même temps, la population humaine a bondi. On estime que 8,5 milliards de personnes peupleront la planète d’ici à 2030. Une démographie qui va de pair, inévitablement, avec l’augmentation de la consommation alimentaire. Dans la première moitié de ce siècle, il faut s’attendre à une progression de 70 % de la demande mondiale d’aliments destinés à la consommation humaine ou animale.
En parallèle, les manifestations répétées des changements climatiques d’origine anthropique (sécheresses, inondations, fortes chaleurs) viennent fragiliser davantage la capacité des systèmes alimentaires à répondre aux besoins d’une population mondiale en pleine croissance. Ainsi, en combinant des données agricoles avec une base de données sur les catastrophes météorologiques extrêmes en Europe, une étude a montré, en 2021, que les pertes agricoles liées à la sécheresse avaient triplé sur la période 1990-2015 par rapport à la période 1965-1990.
Les sécheresses et les vagues de chaleur historiques ont réduit les rendements céréaliers européens en moyenne de 9 % et 7,3 %. Ceux des cultures non céréalières ont diminué de 3,8 % et de 3,1 % au cours de la même série d’événements. En France, la sécheresse de 2005 a mené à des pertes de rendements allant de 7 à 18 % pour le blé et pouvant atteindre près de 20 % pour le maïs.
On parle de sols dégradés, mais que sont des sols « sains » ? Des chercheurs les ont définis comme « des sols qui abritent une diversité d’organismes contribuant à sa fertilité, qui ne polluent pas leur environnement et qui sont riches en matières organiques ». Ils sont alors en mesure d’assurer l’ensemble des services qu’ils peuvent rendre aux écosystèmes (production, atténuation et adaptation au changement climatique notamment).
Agir sur la santé des sols pour que les systèmes alimentaires soient plus durables exige donc des solutions adaptées localement, c’est-à-dire déterminées en fonction du stock de matière organique du sol et de sa biodiversité. Autrement dit, de sa capacité à générer durablement les services écosystémiques nécessaires pour répondre aux besoins d’aujourd’hui sans compromettre leur capacité à répondre à ceux de demain.
Si on envisage la gestion des terres sous l’angle de leur potentiel, et non seulement de la production, il est ainsi possible de proposer des modes d’usage des terres qui tiennent aussi en compte des enjeux de biodiversité et des autres services rendus par les terres (services culturels, etc.). Il est contre-productif de vouloir, au détriment des enjeux de biodiversité par exemple, faire travailler une terre au-delà de son potentiel. Il n’y a donc pas un mode unique de gestion des terres, ce dernier dépend du contexte local.
Pour répondre à ces dégradations des terres, de nombreux projets existent. L’Initiative “4 pour 1000 des sols pour la sécurité alimentaire et le climat” est l’une des plus ambitieuses et emblématiques. Cette démarche internationale fédère tous les acteurs volontaires du public et du privé (États, collectivités, entreprises, organisations professionnelles, ONG, établissements de la recherche…) afin d’apporter des solutions concrètes au défi posé par les dérèglements climatiques et la sécurité alimentaire.
À l’échelle des territoires, de nombreuses démarches s’attachent à définir avec les acteurs locaux des solutions de gestion durable. C’est le cas du projet DSCATT, « Dynamique de la séquestration du carbone dans les sols des systèmes agricoles tropicaux Sénégal, Zimbabwe) et tempéré France) ». Initié en 2019, il vise à explorer le potentiel de séquestration du carbone dans les sols cultivés tout en considérant le développement durable des systèmes agricoles dans un contexte de changements globaux ».
La séquestration du carbone exprime le stock net entre tous les flux de carbone provenant de l’atmosphère qui entrent dans le sol via la biomasse végétale et tous les flux de carbone émis depuis le sol vers l’atmosphère. Car les sols ont eux aussi la capacité de piéger le CO2 de l’atmosphère.
Connaître ce potentiel est un élément clé pour l’aide à la décision et le déploiement de pratiques adaptées à la diversité des contextes, en fonction du type d’agriculture et de la nature des sols. Le stock de carbone organique est en effet l’un des déterminants majeurs de nombreuses fonctions du sol.
Le projet DSCATT étudie l’impact de différents agrosystèmes (agroforesterie, agriculture de conservation, systèmes agrosylvopastoraux) : sur les stocks de carbone organique dans les couches superficielles des sols, mais également dans les couches profondes, sur lesquelles peu de données sont disponibles mais qui pourraient représenter un grand réservoir.
Au Sénégal, le site étudié est situé dans le parc naturel de Sob, à 135 km à l’est de Dakar, qui jouit d’un climat de type subsahélien, avec une pluviométrie annuelle moyenne de 500 mm et une température moyenne de 29,6 °C.
Le système agroforestier étudié était composé principalement d’arbres Faidherbia albida, qui perdent leurs feuilles à la saison des pluies. Les cultures en dessous (arachide, mil) bénéficient donc pleinement de la lumière lors de leur croissance.
Elles y sont donc plus productives et apportent davantage de carbone qu’une culture installée sans arbre. Leurs racines alimentent quant à elles les couches superficielles du sol en matière organique.
Les arbres, de leur côté, acheminent via leurs racines plus de carbone organique dans les couches profondes du sol. L’introduction d’arbres dans les terres arables augmente ainsi le potentiel de stockage du carbone dans le sol du système, en comparaison avec un système de culture où l’arbre est absent.
Maintenir, par des usages des terres appropriés, des sols sains, éviter leur dégradation et les restaurer lorsque nécessaire sont des enjeux majeurs pour conserver des systèmes alimentaires durables.
À propos de l’auteur : Jean-Luc Chotte. Directeur de recherche, président du Comité scientifique français de la désertification, Institut de recherche pour le développement (IRD).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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