Partager la publication "Comprendre les puits de carbone : une solution pour atteindre la neutralité carbone en France"
Dans l’Union européenne, et dans la plupart des pays développés, un objectif de « neutralité carbone » a été fixé d’ici 2050. Il s’agit de compenser les émissions de CO2 anthropiques vers l’atmosphère par des absorptions de CO2. Comment ? En utilisant des systèmes qui piègent plus de CO2 atmosphérique qu’ils n’en émettent. Les plantes en sont un premier exemple. On les appelle « puits de carbone ».
En effet, tous les scénarios climatiques de référence s’alignent. Une fois mises en place les multiples solutions de réduction des émissions de CO2 d’origine fossile (sobriété énergétique, efficacité des systèmes énergétiques, substitution par les énergies renouvelables, etc.), il restera des émissions incompressibles dans le temps imparti, dans les secteurs de l’agriculture et de l’industrie notamment, qui devront être compensées par des puits de carbone.
Un « puits de carbone » piège donc plus de CO2 atmosphérique qu’il n’en émet dans l’atmosphère. Et ce, grâce à un réservoir qui séquestre durablement du carbone d’origine atmosphérique sous forme liquide, gazeuse, ou solide. Tels que les sols superficiels (le premier mètre tout au plus), les plantes, certains écosystèmes aquatiques… Ou encore des cavités souterraines, des structures géologiques poreuses en sous-sols profonds (plusieurs dizaines voire centaines de mètres)… Voire des matériaux à longue durée de vie (proche et au-delà de la centaine d’années).
Aujourd’hui, les principaux puits de carbone à l’échelle de la planète sont des puits naturels comme les océans, et les sols supports de la biomasse (forêt, tourbière, prairie, etc.). Ceux-ci peuvent stocker le CO2 mais aussi le méthane, l’autre gaz à effet de serre carboné très important. Face à l’urgence climatique, les niveaux de puits doivent être accrus.
La première question est celle de la préservation des puits « naturels » existants et de l’augmentation de leur efficacité. Ces actions s’accompagnent du développement de nouveaux puits dits « technologiques ».
À l’échelle du territoire français, où en sommes-nous en termes de capacités de puits pour piéger notre CO2 excédentaire ? Quelles nouvelles solutions devrons-nous développer et mettre en place ?
C’est à ces questions que tentent de répondre le rapport et les fiches de synthèse récemment publiés par un groupe de chercheurs membres de l’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (ANCRE).
À l’échelle du territoire français, l’absorption nette de ces gaz à effet de serre a été chiffrée à 14 millions de tonnes de CO₂ équivalent sur l’année 2020, contre 50 millions de tonnes de CO2 équivalent en 2005 (CO2 et méthane principalement).
D’après la Stratégie nationale bas carbone, la trajectoire des émissions nationales visant la neutralité carbone en 2050 exige de passer de 460 millions de tonnes de CO2eq émises par an en 2015, à 80 millions de tonnes de CO2 équivalent par an d’ici 2050. Une telle trajectoire devra ainsi s’accompagner d’un puits annuel d’au moins 80 millions de tonnes de CO2 équivalent pour atteindre la neutralité.
Un tel objectif nécessite ainsi le développement de ces puits d’un facteur 6. Il faudra avoir recours à des solutions de préservation et d’augmentation des puits naturels ainsi que des solutions technologiques.
Aujourd’hui, les forêts françaises et l’usage du bois d’œuvre constituent le principal puits national. Et ce, grâce à l’absorption du CO2 atmosphérique par la végétation via la photosynthèse. Après une forte augmentation jusqu’en 2008, on observe une tendance à la baisse via des épisodes de tempêtes, d’incendies, et la baisse du marché des produits issus du bois récolté. C’est sur ce dernier levier que la Stratégie nationale bas carbone souhaite jouer. Comment ? En redynamisant fortement les produits bois via notamment le développement des matériaux à longue durée de vie.
Les terres agricoles participent également aux puits de carbone français, en particulier via les prairies. Leurs surfaces ayant connu une baisse importante, en particulier entre 2005 et 2010, il convient aujourd’hui de les préserver et de redéployer des pratiques agricoles « stockantes » : développement de l’agroforesterie, des cultures intermédiaires, allongement des rotations des prairies temporaires, réimplantation des haies notamment.
Des pratiques stockantes spécifiques peuvent également être développées à travers l’implantation de la biomasse en milieux urbains : agriculture urbaine, jardins partagés, abords des infrastructures de transport, toits et façades végétalisés, ou encore végétalisation de friches industrielles et commerciales.
Les milieux aquatiques représentent des puits de carbone sur des échelles de temps supérieures à la centaine d’années, mais dont le potentiel est encore mal évalué.
Le stockage peut provenir :
Pour ces milieux, la priorité revient à une meilleure connaissance par observation et modélisation des bilans d’émissions/absorption, qui sont encore difficiles à estimer.
L’avenir de ces puits naturels face à l’évolution de certaines activités humaines (urbanisation…) et aux effets du changement climatique reste cependant incertain. Et peu étudié.
Ainsi, le recours à des systèmes technologiques de captage et de stockage est envisagé en parallèle. Le captage en milieu concentré (fumées ou effluents d’usines par exemple) est déjà déployé. Mais le captage du CO2 atmosphérique doit encore être amélioré. En particulier son efficacité : le CO2 est bien plus dilué dans l’atmosphère que dans les fumées d’usine.
Parmi ces technologies, sont aujourd’hui en cours d’expérimentation le captage direct dans l’air ou encore le captage de CO₂ biogénique au sein de bioraffineries. La première solution, appelée « DACS » pour Direct Air Capture and Storage, commence à être démontrée. Par exemple sur le site d’Orca en Islande. Mais elle est encore difficilement reproductible sans être confrontée à des verrous en termes de bilan énergétique et donc de bilan d’émissions de GES.
Le CO2 émis par des bioraffineries (chaudières biomasse, méthaniseurs, usines de production de bioéthanol, etc.) est issu de la transformation de la biomasse ayant elle-même absorbé du CO2 atmosphérique durant sa croissance via la photosynthèse.
Au sein de la bioraffinerie, ce CO2 peut être capté avec les mêmes technologies que celles déployées à l’heure actuelle sur les cheminées d’usines ou centrales thermiques. Une fois capté, ce CO2 peut ensuite être recyclé ou séquestré dans un réservoir qui peut être géologique ou dans des sols plus superficiels (en tant qu’amendement pour les sols agricoles, dans d’anciennes mines ou carrières) ou encore dans des matériaux à longue durée de vie pour la construction du bâti ou d’infrastructures (charpentes, isolants, revêtement de route, bétons, etc.).
Si les solutions de puits de carbone semblent potentiellement nombreuses, d’importantes actions sont encore à mener. Objectif : développer une meilleure connaissance des flux naturels et une plus grande maîtrise des pratiques stockantes liées à la gestion de la biomasse. Mais aussi améliorer l’efficacité, la durabilité et les coûts des technologies dédiées.
Ces améliorations doivent encore être démontrées sur des systèmes complets à grande échelle. Il faudra en parallèle veiller à ce que ces technologies ne se substituent pas aux efforts de réduction d’émissions de GES. Ceux-ci restent le premier levier pour l’atteinte de la neutralité carbone.
Enfin, de nombreuses actions d’accompagnements seront nécessaires, des cadres réglementaires aux normes de comptabilisation des bilans d’émissions. Mais aussi en passant par le soutien à la recherche et au développement et par l’amélioration de l’acceptabilité des nouvelles technologies. Un chantier important qui implique dès aujourd’hui les acteurs de la recherche, de l’industrie, les collectivités et les pouvoirs publics.
À propos des auteurs :
Daphné Lorne. Analyste prospectiviste biocarburants transport, IFP Énergies nouvelles.
Guillaume Boissonnet. Directeur de Recherche – Economie Circulaire du Carbone, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Jack Legrand. Professeur Emérite, Génie des Procédés, Université de Nantes.
Monique Axelos. Chercheur en alimentation et bioéconomie, Inrae.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Chaque année, comme un rituel bien huilé, le Black Friday déferle dans nos newsletters, les…
Fondé par une femme, Jay Graber, le réseau social Bluesky compte plus de 20 millions…
À la COP29 de Bakou, les pays en développement attendent des engagements financiers à la…
Pourquoi et comment un groupe français de services numériques décide de mettre la nature au…
Face aux pressions anthropiques croissantes, les écosystèmes côtiers subissent une contamination insidieuse par des éléments…
Alors que l’incertitude géopolitique mondiale s’intensifie et que Trump promet un virage radical sur les…