Partager la publication "COP15 Biodiversité : de grandes ambitions… mais quel financement ?"
Après deux années de reports, la COP15 sur la biodiversité se tiendra finalement du 7 au 19 décembre à Montréal. Le sommet doit permettre d’établir un nouveau cadre mondial pour mettre un terme à l’érosion de la biodiversité d’ici à 2030. Le rendez-vous semble crucial : aucun des précédents objectifs portant sur la période 2010-2020 n’a pas été atteint et la pression sur les milieux naturels ne cesse de s’accroître. Et la question du financement de la problématique est centrale.
Les espèces disparaissent à un rythme sans précédent, plus d’un million est menacé d’extinction et 75 % de la surface terrestre a déjà été altérée par l’homme. Des tensions se cristallisent notamment autour de la question du financement du nouveau cadre mondial, condition indispensable à la réussite d’un accord ambitieux. La mobilisation de tous les acteurs, publics comme privés, est nécessaire pour sauver la biodiversité.
Sont notamment concernées les aires protégées, instrument phare en matière de protection de la biodiversité. Rien que pour atteindre l’objectif de sauvegarder 30 % des habitats terrestres et marins à l’horizon 2030, on estime que les besoins de financement de ces zones s’élèveront entre 149 à 192 milliards de dollars par an. Face à ces montants considérables, les experts indiquent qu’il faut créer des écosystèmes de financement favorables permettant de diversifier les mécanismes et les sources. À ce titre, plusieurs outils présentent un grand intérêt et gagneraient à être développés.
C’est le cas des Fonds fiduciaires de conservation qui contribuent, moins par des volumes importants que par leur action continue, stable et de long terme à construire cet écosystème de financement. Ils sont une centaine actuellement dans le monde, dont huit soutenus par l’Agence française de développement et le Fonds français pour l’environnement mondial. De leur évaluation, nous avons tiré plusieurs enseignements utiles dans la perspective d’opérer un changement d’échelle.
Les Fonds fiduciaires pour la conservation sont des institutions privées, juridiquement indépendantes, qui se donnent pour objectif de fournir des financements pérennes dédiés à des actions de conservation. Ils agissent tels des “contrats d’assurance vie” pour les aires protégées.
Ainsi des ressources collectées auprès des bailleurs internationaux, des États ou des acteurs du secteur privé permettent de générer, via des investissements diversifiés sur les marchés de capitaux, un rendement financier. Celui-ci est ensuite reversé sous forme de subventions à des aires protégées ou à des organisations non gouvernementales (ONG) agissant en faveur de la biodiversité. Ces fonds viennent ainsi compléter les appuis déjà apportés par les États et les ressources tirées du tourisme.
Le premier enseignement qui ressort de notre étude est leur capacité à atteindre leurs objectifs de rendement financier, de l’ordre de 4 % en moyenne, tout en limitant la prise de risque. Les politiques d’investissement encadrant la structuration du portefeuille financier des fonds et définissant les objectifs de rendement ont été largement respectées et appliquées de manière performante.
D’autant, second enseignement, que cela se fait avec une grande stabilité. L’outil présente en effet une capacité à créer des moyens additionnels significatifs et surtout réguliers pour la conservation de la biodiversité terrestre, marine et côtière. Même en pleine crise sanitaire, ces fonds ont été en mesure de continuer à allouer des subventions alors que de nombreux financements n’étaient plus assurés par ailleurs.
La gouvernance des fonds et leur mode de fonctionnement interne ont également fait l’objet d’une analyse. Elle met en avant une conformité aux normes de pratiques élaborées par la Conservation Finance Alliance (CFA) qui anime la communauté des fonds et promeut le développement de leurs expertises. Est à souligner, d’autre part, un effet d’apprentissage : les créations les plus récentes bénéficient des enseignements et de l’expérience des plus anciennes.
La communauté internationale s’est progressivement engagée à augmenter les superficies à conserver et le nombre des aires protégées marines et terrestres et les Fonds fiduciaires de conservation ont su répondre aux évolutions en la matière. Nouvelles activités, croissance, diversification des sources de financement, exigences accrues en termes de suivi des activités, tout ceci a pu être observé.
Les huit fonds ont su mobiliser de nouvelles ressources de manière dynamique, et prouvé leur rôle de catalyseur de financement. Des outils innovants ont été adoptés, tels que les paiements pour services écosystémiques, qui visent à rémunérer des actions de restauration ou de protection des écosystèmes. En Mauritanie par exemple, le Fonds Bacomab s’est ainsi positionné dans les accords de pêche avec l’Union européenne. Il bénéficie depuis d’un transfert financier lié au service rendu par le Parc national du Banc d’Arguin, principal bénéficiaire du Bacomab, pour le renouvellement de la ressource halieutique.
Nos travaux relèvent néanmoins des limites dans le suivi des normes éthiques appliquées aux investissements. Il semble qu’il y ait un vrai enjeu de renforcement des ambitions en la matière, de leur formulation à leur mise en œuvre effective. Si l’évaluation note les progrès importants déjà réalisés, des réflexions sont en cours pour un meilleur encadrement avec un recours croissant à des investissements dits socialement responsables, respectant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.
L’analyse avait également vocation à juger de l’impact sur le terrain des financements alloués par ces fonds et plus précisément de leur contribution effective à la conservation de la biodiversité. Si des efforts se poursuivent pour une meilleure prise en compte des risques environnementaux et sociaux dans la définition et le suivi des activités, il ressort que les impacts ne sont pas aisément mesurables et attribuables aux appuis des Fonds fiduciaires pour la conservation.
Certains ont su développer des outils de suivi adaptés et accompagner les aires protégées sur ces sujets : c’est le cas de la Fondation pour les aires protégées et la biodiversité de Madagascar, qui a mis en place, avec les aires protégées qu’elle soutient, des indicateurs lui permettant de rendre compte des impacts des activités financées sur l’amélioration de la biodiversité. Mais beaucoup ont encore à franchir ici une nouvelle étape pour accompagner leur essor.
Ces mécanismes de financements apparus à la fin des années 1990 se sont multipliés et n’ont cessé de se perfectionner au cours des trente dernières années, tout en assurant leur mission première : financer de manière stable et pérenne la protection de la biodiversité. Certes, il leur reste vraisemblablement à renforcer encore les normes éthiques de leurs placements et la mesure des impacts de leurs activités.
Mais le bilan semble largement positif, surtout mis au regard des crises récentes qui ont parfois amené des réductions drastiques de financement public de la conservation face aux priorités de santé publique ou de lutte contre l’insécurité. Les négociateurs présents à la prochaine COP15 disposent ainsi d’arguments solides pour ne pas oublier d’inclure ces mécanismes dans la création d’un écosystème de financement de l’accord mondial pour la biodiversité post 2030.
À propos des auteurs :
Claire Cogoluènhes. Chargée d’évaluations, Agence française de développement (AFD).
Julien Calas. Chargé de recherche biodiversité, Agence française de développement (AFD).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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