Sans coopération internationale et financements suffisants accordés aux pays en développement pour leur transition lors de la COP29 à Bakou, la cruciale COP30 de Belem (Brésil) l’an prochain aurait du mal à tenir son objectif. Il faudra renforcer tous les plans climat nationaux pour limiter le réchauffement “bien en dessous de 2°C”, alors même que la barre de +1,5 °C menace déjà.
L’argent est le nerf de la guerre, pour le climat comme par ailleurs. C’est également la question qui, depuis le début des conférences des Nations-Unis pour lutter contre le réchauffement planétaire – les “COP” – achoppe et mine les autres négociations climatiques entre États-nations. La COP29 de Bakou, en Azerbaïdjan, dont l’objectif principal est de flécher des centaines de milliards de dollars annuels des pays riches vers les pays en développement pour leur transition, arrivera-t-elle à conjurer ce mauvais sort ? Rien n’est moins sûr.
Des responsables “historiques” déterminés en 1992
Le passif de 30 ans de COP a nourri la défiance du Sud vis-à-vis du Nord. Dès le départ, les pays en développement sont apparus comme les premières victimes du changement climatique, et souvent lourdement, alors qu’ils n’en sont pas responsables. En guise de compensation, ils ont demandé que les pays développés participent à leur lutte contre le réchauffement, et que les plus vulnérables soient dédommagés des préjudices irréversibles déjà causés.
En 1992, les Nations-Unies ont identifié les grands responsables historiques du réchauffement climatique, désignés pour fournir une aide financière et technologique. Parmi eux, les États-Unis, l’Union européenne, le Japon, la Grande-Bretagne, la Suisse ou encore l’Australie. À l’époque, des pays comme la Chine ou la Russie n’étaient pas considérés comme contributeurs. Aujourd’hui, cette distinction est de plus en plus contestée, alors que la Chine talonne désormais l’Union européenne en termes d’émissions cumulées.
Une promesse de financement non tenue avant 2022
Les pays en développement ont dû attendre des années avant d’obtenir des engagements concrets. En 2009, lors de la COP15 de Copenhague, les nations industrialisées ont promis 100 milliards de dollars annuels pour aider les pays les plus vulnérables à financer leur transition. Mais cet objectif, fixé pour 2020, n’a été atteint qu’en 2022 – et encore, avec un total de 116 milliards de dollars, majoritairement composés de prêts. Ces prêts, loin de représenter un don, alourdissent les dettes des pays bénéficiaires et creusent un fossé entre promesses politiques et réalité économique.
Pour les dégâts irréversibles subis par les pays les plus touchés, comme les petits États insulaires menacés de submersion, un Fonds “dommages et préjudice” a été créé en 2022, lors de la COP27 en Égypte. Cependant, sa dotation initiale de 700 millions de dollars reste dérisoire face aux besoins. António Guterres, secrétaire général de l’ONU, n’a pas manqué de dénoncer cette faiblesse en la comparant au salaire annuel des dix footballeurs les mieux payés du monde.
Des besoins d’argent qui s’alourdissent
Depuis cette époque, la situation climatique s’est considérablement aggravée. Selon une étude récente du Climate Policy Initiative, les besoins financiers mondiaux pour limiter le réchauffement à +1,5 °C atteindraient 10 000 milliards de dollars par an entre 2030 et 2050. Hors Chine, les pays en développement auraient besoin de 2 400 milliards de dollars annuels, d’après des experts mandatés par les Nations-Unies. Ces chiffres astronomiques montrent l’urgence d’agir à Bakou, où les négociateurs doivent redéfinir les engagements de 2009.
Face à ces demandes, l’Inde propose un montant d’aide de 1 000 milliards de dollars, tandis que les pays africains avancent un besoin de 1 300 milliards. Ces montants sont jugés irréalistes par les pays occidentaux, qui privilégient une stratégie de triplement progressif des aides actuelles.
Un groupe plus large de contributeurs ?
Par exemple, l’Union européenne, le plus gros financeur actuel (28,5 milliards d’euros de sources publiques et 11,9 milliards de financements privés en 2022), demande “un groupe plus large de contributeurs”, en pensant notamment à la Chine et aux pays du Golfe au Moyen-Orient. Autant de pays jusqu’alors réfractaires à cette idée, la Chine soulignant néanmoins avoir déjà mobilisé depuis 2016 24,5 milliards de dollars “pour investir dans l’action climatique dans d’autres pays en développement”.
Ce serait pourtant justifié. Au hit-parade des responsables de la crise climatique, les États-Unis arrivent aujourd’hui largement en tête, avec 432 milliards de tonnes de CO2 émises du début de l’industrialisation à 2022, selon les données scientifiques de Global Carbon Project. Ils sont suivis par l’Union européenne (298,5 MdtCO2), elle-même désormais talonnée par la Chine (272,5 MdtCO2). La Russie, 4ème émetteur mondial, arrive pour sa part à 121 MdtCO2 cumulées émises, assez loin devant le Royaume-Uni par exemple (80 MdtCO2).
Des taxes mondiales pour trouver l’argent ?
Outre les fonds publics, qui “ne suffisent pas”, les regards sont tournés vers les financements privées et des “solutions innovantes”, avec par exemple des “taxes de solidarité dans des secteurs tels que le transport maritime, l’aviation et l’extraction de combustibles fossiles”, souligne António Guterres. Des taxes sur les transactions financières ainsi que sur le patrimoine des milliardaires – qui échappent largement à l’impôt – sont également évoquées.
Le secrétaire général de l’ONU préconise en plus que les banques multilatérales de développement soient soutenues “afin d’accroître leur capacité de prêt”. La question des bénéficiaires des aides n’est pas non plus tranchée : qui reçoit plus ou moins ? Pour l’atténuation du réchauffement ? Pour l’adaptation au changement climatique ?
“Le monde doit payer, sinon l’humanité en paiera le prix”
Résultat : les négociateurs de la COP29 se retrouvent face à des dizaines d’options opposées, avec l’objectif de trouver un consensus en quelques jours, dans une “ambiance tendue”. Mission impossible ? Une chose est certaine pour le secrétaire général de l’ONU : “Les pays en développement ne doivent pas partir de Bakou les mains vides. Un accord est essentiel. Le monde doit payer, sinon l’humanité en paiera le prix.”
Élection de Trump, choix du pays organisateur… De mauvais signaux
Malheureusement, le contexte semble peu propice à une vraie coopération mondiale. L’élection de Donald Trump à la Maison blanche secoue le spectre d’une nouvelle sortie des États-Unis de l’accord de Paris. À Bakou, le retrait des négociations de la délégation argentine est interprété par la presse de ce pays comme un signal envoyé par le président argentin climato-négationniste Javier Milei au président élu américain, également dans le déni face à la réalité scientifique du réchauffement.
Le choix de l’État pétrolier et autocratique de l’Azerbaïdjan comme pays organisateur de cette COP29 – effectué à l’ombre de la Russie face aux candidatures de la Bulgarie et de l’Arménie – a semé la polémique. Si bien qu’en France, par exemple, un appel au boycott a réuni des personnalités aussi différentes qu’Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Laurent Wauquiez.
De fait, aucun haut représentant français n’est présent à Bakou, ni Emmanuel Macron pour cause d’intervention armée de l’Azerbaïdjan contre les Arméniens dans le Haut-Karabakh, ni la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, pour cause de “propos inacceptables” du dirigeant azerbaïdjanais Ilham Aliev parlant “des crimes de la France dans ses prétendus territoires d’outre-mer”.
Des dirigeants du G20 qui brillent par leur absence
Au-delà des bonnes raisons de chacun, les faits sont là: alors que même les Nations-Unies exhorte les pays riches à mettre sérieusement la main au portefeuille, la plupart des dirigeants du G20 – qui se réunissent lundi et mardi à Rio – brillent par leur absence à Bakou, de l’Américain Joe Biden à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, en passant par le chancelier allemand Olaf Scholz et donc le président français.
Du côté des pays en développement, certains n’y croient plus: la très vulnérable Papouasie-Nouvelle Guinée a décidé de ne pas faire le déplacement, qualifiant l’événement de “perte de temps totale”. La question se pose également en Afrique pour les prochaines éditions. Comme si, à force de contradictions, de lenteurs, de promesses non tenues et d’hypocrisie, les COP perdaient leur crédibilité.
Le financement conditionne le niveau d’ambition des plans climat
Un échec de la COP29 ne signifierait pas seulement celui de l’Azerbaïdjan, mais aussi celui des négociations entre États-nations, sous-tendant le système des COP. Le financement des pays en développement conditionne le niveau d’ambition de leur politique face au réchauffement planétaire. Or, cette ambition, comme celle des pays riches, doivent être largement revues à la hausse dès le début d’année prochaine, en vue de la cruciale COP30 de Belem, au Brésil, avec des financements forcément massifs.
Le but est de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 60 % à l’horizon 2035, contre -43 % d’ici 2030 si l’on veut limiter le réchauffement à +1,5 °C, selon un récent rapport de l’ONU. Un défi immense: à ce jour, si les plans des États-nations sont pleinement mis en œuvre, la baisse ne serait que de 2,6 % à la fin de la décennie, estime le même rapport. Ce qui mènerait plutôt à un réchauffement de l’ordre de +3 °C. Un réchauffement catastrophique selon le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC).
Tic-tac, tic-tac…
C’est donc l’accord de Paris même, avec son objectif de limiter la fièvre planétaire “bien en dessous de 2 °C” qui sera mis en péril dès lors que l’argent nécessaire à cette transition ne serait pas au rendez-vous, tant au Nord qu’au Sud. Une situation d’autant plus dramatique que les pays en développement demeurent en première ligne des désastres climatiques, certains pouvant finalement ne plus rien avoir à perdre. Par exemple, au-delà de +1,5 °C, c’est l’existence même des petits États insulaires qui est en jeu.
Les statistiques laissent une place infime au doute (moins de 1 % selon l’agence américaine National Oceanic and Atmospheric Adiministration, NOAA) : 2024 va établir un nouveau record et être la première année à dépasser +1,5 °C de réchauffement par rapport à l’époque préindustrielle. Le célèbre climatologue James Hansen estime, lui, que l’accélération actuelle du réchauffement peut mener à +2 °C à horizon 2040, bien avant les prévisions du GIEC. Et les émissions de CO2 dues à la combustion des énergies fossiles augmentent encore en 2024, selon le dernier rapport du Global Carbon Project, rassemblant plus de 120 scientifiques. Tic-tac, tic-tac…
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