Partager la publication "L’épidémie va-t-elle provoquer un exode des citadins vers la campagne ?"
Marie et Pablo, réfugiés dans une maison du Perche, font partie des Parisiens qui s’accommodent assez bien du confinement. “Ici, nos deux enfants peuvent jouer dehors, ils sont heureux… et moins sur notre dos !” Leurs rêves de campagne ont même été confortés par la crise. “Cela fait réfléchir pour la suite…”
Comme eux, 17 %, des habitants de la capitale ont fui la ville dès le début du confinement, et plus d’un million de personnes avaient quitté l’Ile-de-France à la fin du mois de mars. Dans le même temps, les professionnels de l’immobilier observent une hausse des demandes de maison de campagne : 60 % des recherches sur seloger.com concernent des demeures avec jardin. Tandis que celles d’appartements parisiens ont baissé de 20 % depuis le confinement…
Rêves passagers liés à la crise sanitaire ou début d’un véritable “exode urbain” ? Le XXIe siècle verra-t-il un retour à la campagne, une sorte de “contre-urbanisation” ?
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Tel est le scénario le plus probable selon cet article du géographe américain Joel Kotkin “L’âge de la dispersion” – les citoyens délaissant demain des mégalopoles devenues hors de prix, étouffantes mais aussi menaçantes.
Car si la crainte des épidémies avait disparu depuis un siècle, le coronavirus a réactivé l’idée que la ville est dangereuse pour la santé. N’est-ce pas à Milan, à Madrid ou à New York que le virus a le plus tué ?
Une idée à nuancer toutefois : la ville moderne n’est pas la cité insalubre du Moyen Âge et, rapporté au nombre d’habitants, l’espace urbain n’est pas forcément le plus létal. La commune périurbaine de Castiglione d’Adda en Lombardie a été bien plus touchée que Milan. La région de Mulhouse l’une des plus impactées. C’est ce que rappellent Patrick Poncet et Olivier Vilaça dans cette tribune.
Ces deux géographes pointent surtout l’influence des pratiques sociales dans la contamination – la promiscuité, la mobilité, le respect des gestes barrières, les rassemblements sportifs ou religieux (évangéliques à Mulhouse)… Ils estiment même que les villes et leur bonne offre de soin peuvent protéger davantage que les campagnes isolées, notamment les plus âgés.
Si l’on souhaite quitter la ville aujourd’hui, c’est donc moins pour ses dangers viraux que pour fuir “son inconfort, sa spatialité pauvre, ses espaces vécus abougris”, estiment les géographes.
Un inconfort qui risque de s’accroître du fait des crises climatiques annoncées, inondations, canicules, pics de pollution… Cette crise, souligne le géographe Michel Lussault, révèle la “vulnérabilité” d’un système reposant sur des villes-mondes, “où chaque anicroche, en raison des effets de seuils, peut provoquer des conséquences peu maîtrisables”.
Autre facteur qui pourrait accélérer le départ des villes : l’essor du télétravail – qui concerne 30 % des salariés actuellement dont 50 % des cadres, contre 3 % auparavant. Selon cette tribune de l’économiste Olivier Babeau dans Le Figaro, l’attractivité des villes est principalement due à leur capacité à offrir des emplois et à la concentration des services, de la vie sociale. Avec le développement du travail à distance, de la fibre dans les territoires, des démarches en lignes, des communications virtuelles “les attraits que l’on trouvait à la concentration seront désormais accessibles depuis n’importe où”.
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Un scénario auquel d’autres refusent de croire. La ville reste et restera attractive, estime Christine Leconte, présidente de l’ordre des architectes d’Île-de-France dans Les Echos, car elle offre un “accès aux services publics, à un grand panel culturel”. La grande ville est en effet la mieux dotée en bonnes écoles, en offres de soin, en théâtres, en restaurants, mais aussi en festivité et convivialité. Le confinement aura d’ailleurs eu cette vertu : nous rappeler le plaisir du partage et du contact en face à face avec ses proches. Plaisir que ne sauraient remplacer éternellement les “apéros Skype” zoom et autres chats.
Habiter hors des villes peut aussi avoir un coût élevé, à commencer par celui du litre d’essence, comme l’a rappelé avec force le mouvement des gilets jaunes. Profiter de la campagne au printemps pendant le confinement est une chose. Prendre les transports en hiver tous les jours pour aller travailler à 50 km en est une autre…
Alors, où se situe l’avenir ? Peut-être dans un entre-deux, entre mégalopoles étouffantes et isolement des campagnes : dans des villes à taille humaine.
Sur le portail SeLoger.com, les biens les plus recherchés sont actuellement les maisons dans les villes moyennes de 50 000 habitants, proches de grandes agglomérations (sauf Île-de-France).
“Il faut mettre en valeur l’extraordinaire chance qu’à la France d’avoir plusieurs milliers de villes petites et moyennes. La grande leçon de la pandémie sera justement leur valorisation”, estime l’architecte urbaniste Alain Sarfati dans cette chronique.
Reste toutefois à les rendre attrayantes, rappelle-t-il : “Il ne suffit pas de les fleurir et d’interdire l’accès aux véhicules automobiles. (…) L’urgence est de susciter la renaissance de leurs activités, la réimplantation des ateliers, des usines, la ré-industrialisation.” Pour lui, après le confinement, nous retrouverons le plaisir du “small is beautifull” car nous aurons compris que la démesure, la mondialisation, a ses limites. “Aujourd’hui, les parapluies se conçoivent aussi à Cherbourg, tout est possible….”
Une dynamique qui semble d’ailleurs déjà à l’œuvre aux États-Unis, note aussi Joël Kotkin : depuis quelques temps, les millenials et les “classes créatives” fuient les villes géantes des côtes atlantique et pacifique. Même la Silicon Valley serait en voie de “dispersion”, selon lui. Uber délocalise à Dallas, Apple à Austin, Lyft à Nashville. L’Inde et la Chine tentent également de diriger les migrations hors des grandes villes. En Europe, des entreprises de la tech déménagent dans des capitales de taille moyenne, comme Bratislava, Prague, Bucarest, pour leurs législations plus souples et leurs loyers plus accessibles d’abord, mais aussi pour leur qualité de vie.
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