Cyril Dion : “Face à l’urgence climatique, la démocratie délibérative est indispensable”

C’est une première en France. Suite au Grand débat national, Emmanuel Macron avait annoncé la mise en place d’une assemblée citoyenne de 150 personnes tirées au sort. Sa mission : faire des propositions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) françaises. 
 
Le tirage au sort, réalisé à partir de l’annuaire téléphonique, aura lieu dès la mi-août et jusqu’à la mi-septembre. Puis, la “Convention citoyenne pour le climat” sera officiellement lancée le 4 octobre. Elle se réunira durant 6 week-ends, toutes les trois semaines, afin de rendre ses conclusions à l’exécutif et aux parlementaires en février 2020.
 
Pour présider cette Assemblée : Thierry Pech (essayiste) et Laurence Tubiana (économiste). Trois “garants” seront par ailleurs chargés de veiller à l’indépendance et au bon déroulement des travaux : Anne Frago (directrice du service culture et questions sociales de l’Assemblée nationale), Michèle Kadi (ancienne directrice des missions institutionnelles du Sénat) et… l’écrivain et réalisateur Cyril Dion. Interview.
       
Retrouvez le portrait de Cyril Dion, “Nous sommes tous dans le déni”, dans la revue We Demain n°26, disponible en kiosque ou sur notre boutique en ligne

 

  • We Demain : Vous avez fait des films, écrit des livres… C’est la première fois que vous vous engagez dans une action politique. Pourquoi avoir accepté cette mission ? 

     
Cyril Dion : 
Il s’agit d’une action politique dans ses débouchés mais, au départ, c’est une action citoyenne. C’est le collectif des Gilets citoyens, dont je fais partie, qui a élaboré cette proposition d’Assemblée citoyenne tirée au sort. Je milite pour une démocratie délibérative depuis des années. La dernière partie de mon film Demain, sorti en 2015, y était déjà consacrée.

Je pense que nous ne nous en sortirons pas sans cela. Notre modèle de démocratie représentative ne permet pas de prendre les mesures radicales nécessaires pour faire face aux défis actuels. L’objectif de la Convention citoyenne est de formuler des propositions pour réduire d’au moins 40 % nos émissions d’ici 2030. Le “au moins” est important car, en réalité, il faudrait plutôt arriver à moins 50 % ou moins 65 %.
 
Et donc tendre vers la décroissance… Je ne vois pas comment un gouvernement libéral prendrait de telles mesures. La démocratie délibérative permet d’aller beaucoup plus loin, comme on a pu le voir dans d’autres pays. Notre pari est de créer un rapport de force avec le gouvernement, depuis l’intérieur. D’élaborer des propositions dans un cadre approuvé par le gouvernement, puis d’obtenir un référendum.
 

  • Concrètement, quel va être votre rôle ?

   
Nous sommes trois garants, un nommé par l’Assemblée nationale, un par le Sénat et l’autre – moi – par le Conseil économique, social et environnemental (CESE).
 
Mon rôle est de surveiller que tout se passe bien, et d’engager un rapport de force si ce n’est pas le cas. Le Président a promis que les propositions de la Convention seraient portées au Parlement ou au référendum sans filtre, cette notion est fondamentale. Je dois donc veiller à ce qu’il respecte sa parole. Si ce n’est pas le cas, je réagirai : d’abord de façon informelle, puis dans les médias et, en dernier recours, je démissionnerai.
 

  • Vous avez rencontré Emmanuel Macron. Avez-vous eu l’impression d’une prise de conscience du gouvernement quant à l’urgence climatique ?

    
Je pense que les politiques en ont conscience dans une certaine mesure, mais une conscience plutôt cérébrale. Le problème ce n’est pas “la conscience”, c’est la structure même de nos sociétés, de nos économies, calibrées pour aller chercher la croissance et qui fonctionnent avec une logique de marché. Il n’y a aucun gouvernement qui sait comment s’en sortir.
 
Ils sont prêts à prendre des mesures, mais jusqu’à un certain point. Pour la taxe kérosène par exemple, ils redoutent un problème de compétitivité face aux autres pays. Même chose pour la taxe carbone.
 
Se pose aussi le problème de l’opinion. Si on dit au gens qu’il faut réduire le nombre de véhicules de 50 %, arrêter de consommer, arrêter de prendre l’avion sur les lignes intérieures, arrêter de manger de la viande… Ils ne vont pas être d’accord. Les politiques se réfugient toujours derrière cet argument, qui est une réalité politique : ils ont besoin de contenter la majorité pour être réélus.
 
C’est le problème de la démocratie représentative : c’est un modèle qui ne convient pas à l’urgence. C’est pourquoi il faut permettre aux gens de délibérer, en leur donnant tous les tenants et les aboutissants des problèmes.
 

  • Des citoyens “non spécialistes” sont-ils légitimes pour trancher ces questions ?

      
Les gens vont se réunir toutes les trois semaines, ils seront formés, de la même manière qu’un jury d’assises. Nous leur donnerons tous les éléments pour leur permettre de délibérer. Et ils seront représentatifs de toute la société française. Nous allons leur indiquer les principaux postes émetteurs de GES en France. Et même s’il y a des thèmes proposés dans la lettre de mission, l’Assemblée pourra se saisir de tous les thèmes souhaités.
 

  • Qu’adviendra-t-il des conclusions rendues début 2020 ? Comment ne pas rester une simple caution du gouvernement ?

    
Nous allons engager une discussion, et un bras de fer si nécessaire, pour que le Président respecte sa parole : lancer un référendum à choix multiples. D’autres sujets iront au Parlement car la Constitution de la Ve République ne permet pas de traiter de questions de fiscalité par référendum (par exemple pour la taxe carbone).
 
Nous aimerions aussi que certaines propositions entrent en application directe par décret. C’est l’Assemblée elle-même qui déterminera quel thème sera soumis à référendum.
 
Ailleurs, ce système a fait ses preuves. En Irlande par exemple, cela a permis l’adoption du mariage pour tous et le droit à l’avortement, alors que c’est un pays très catholique. Grâce à cette méthode, le Texas, État pétrolier par excellence, est devenu celui qui a le plus d’éoliennes aux États-Unis. C’est un processus qui permet d’aller au-delà des clivages traditionnels et des logiques politiciennes soumises aux lobbies.
 

  • Pensez-vous que l’on puisse pousser la démocratie délibérative plus loin ? Peut-être dans d’autres domaines ?

     
Oui, que c’est totalement fondamental. La Suisse a un référendum d’initiative citoyenne qui permet aux gens, régulièrement, de proposer des projets à l’Assemblée par la suite soumis à votation. J’espère que cette expérience va prouver à un maximum de gens que c’est un système qui marche.
 

  • Il y aura des intérêts contradictoires au sein même de l’Assemblée. La taxe carbone a par exemple créé des tensions, on l’a vu avec la crise des Gilets jaunes… Selon vous, comment réconcilier fin du monde et fin du mois ? Comment éviter de faire de “l’écologie punitive” ?

      
Les écolos sont souvent taxés de bobos. Ici, des gens de tous horizons, précaires ou moins précaires, seront forcés de trouver des modalités qui conviennent à l’ensemble.
 
Ceux qui parlent “d’écologie punitive” ne se rendent pas compte que, dans quelques années, ce sera pire que la punition. Nous serons obligés d’avoir un discours de vérité, qui invitera chacun à arrêter d’être un enfant.
 
C’est comme si on était face à un danger grave, comme une guerre mondiale par exemple, et qu’on répondait tranquillement, “je veux continuer de profiter de mon confort”… Là, on est face à une situation catastrophique, qui peut devenir hors de contrôle. Quand on est en danger de mort, on doit trouver un moyen de se sauver, se donner des règles collectives. Et je préfère que nous nous les donnions par des voies démocratiques.
 

  • Comptez-vous vous engager d’avantage en politique par la suite ?

    
Ah non, jamais de la vie ! (Rires.)
 
Le but, c’est l’inverse. Je préfère essayer de résoudre le problème collectivement. L’engagement politique individuel, même de personnes très qualifiées, ne suffit pas. On l’a vu en France avec Nicolas Hulot, aux États-Unis avec Barack Obama… Aujourd’hui, le blocage ne vient pas des hommes politiques mais du système.
   

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