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Dans l’espace, ces nouvelles guerres qui se profilent

Considéré comme un des derniers far west restants par l’Amiral Vandier, Major Général des Armées, l’espace est un enjeu de souveraineté majeur. Un domaine dans lequel les États ne sont plus seuls mais doivent désormais prendre en compte des géants du privé comme SpaceX et Starlink d’Elon Musk. Chaque année, cette entreprise américaine envoie quelque 60 satellites vers l’orbite basse de la Terre. À date, en janvier 2024, son entreprise compte quelque 5 300 satellites positionnés en orbite basse autour de la Terre. Jeff Bezos (Amazon) a aussi de grandes ambitions spatiales. Bref, la conquête de l’espace par des milliardaires est une réalité.

Pour mieux comprendre cette situation et les enjeux actuels, Les Napoleons ont accueilli à l’Unesco le 11 janvier dernier trois experts en la matière. À commencer par le colonel Alexis Rougier, Chef d’état-major du Commandement de l’Espace. Il était accompagné de Raphaël Costa, auteur, enseignant et membre de l’institut Droit, Espaces et Territoire, ainsi que d’Hélène Huby, cofondatrice et PDG de The Exploration Company, spécialiste européen de la fabrication de capsules spatiales.

Satellites placés dans la basse couche de l’espace par les firmes d’Elon Musk. Crédit :
Vito Technology.

Une disruption qui a débuté il y a 10 ans

“Depuis une décennie environ, nous avons constaté une disruption du milieu spatial. Une disruption du fait de la miniaturisation et de la baisse des coûts de lancement, qui font qu’aujourd’hui, littéralement, l’espace augmente de manière exponentielle, explique le colonel Rougier. Entre 2013 et 2023, le nombre de lancements a été multiplié par trois et le nombre de satellites envoyés a été multiplié par treize. On était à 200 satellites envoyés dans les années 2013, on en est à 2 800 aujourd’hui.

“Chaque jour qui passe, vous utilisez à peu près une vingtaine d’applications au niveau spatial, souligne le colonel. Par exemple, cela concerne plus de 50 % des indicateurs sur le réchauffement climatique dans toutes les activités humaines (la finance, l’agriculture, etc.).” C’est un domaine en pleine expansion. D’ailleurs, la loi de programmation militaire 2024-2030 alloue 6 milliards d’euros au renforcement de l’action de la France dans l’espace.

L’espace, une opportunité… mais aussi une menace

L’espace est une opportunité non seulement pour le civil, mais également pour les militaires. Ils l’utilisent notamment pour observer et pour écouter ce qui se passe dans les milieux terrestres, maritimes, aériens… L’espace est aussi utile pour se positionner (cf. le GPS européen Galileo) ainsi que pour télécommuniquer.

“C’est une opportunité civile ou militaire mais ça va aussi de pair avec ses risques et ses menaces, ajoute le colonel. C’est là que les militaires interviennent. Voilà donc un lieu de compétition du fait de cette immense opportunité. Je vous citerai un seul exemple d’une menace un peu emblématique parmi bien d’autres. C’est le fameux Louch Olymp dont vous avez dû entendre parler en 2018. Ce satellite russe s’est approché d’un peu trop près d’un de nos satellites d’intérêt stratégique, Athena-Fidus, un satellite franco-italien de télécommunications militaires.” Il a été soupçonné de vouloir espionner nos activités.

Programme Yoda : surveiller l’espace depuis l’espace

Représentation dans l’espace d’un satellite patrouilleur du programme YODA. Crédit : Armée de l’air.

Preuve de l’évolution de la situation dans l’espace, “en 2019, l’OTAN et la France ont déclaré l’espace comme étant le cinquième milieu de conflit de l’unité, après la terre, la mer, l’air et la cyber. Et dans ce milieu-là, il faut nous défendre, vous défendre, pour nous permettre de préserver nos intérêts. C’est pour cela que l’on a imaginé les patrouilleurs guetteurs.” Les premiers engins spatiaux de ce type seront envoyés en 2025. Dans le cadre du programme Y.O.D.A. (Yeux en Orbite pour un Démonstrateur Agile), ils auront pour missions protéger les satellites militaires français de manœuvres suspectes ou carrément hostiles.

Autre point de surveillance nécessaire : les débris qui flottent dans l’espace. “Nous aussi, militaires, devons faire en sorte que l’espace soit dans une logique de développement durable. On estime que des objets de plus de 10 cm qui tournent autour de la Terre, il y en a à peu près 37 000. Et des objets de plus d’environ 1 cm, il y en a plus d’un million. C’est sur un territoire immense mais ils ont la particularité de tournoyer à 8 km/seconde. Une pointe de critérium a l’effet d’une balle de fusil à ces vitesses-là. On peut imaginer ce que ça peut donner sur un satellite, sur une capsule.” La France, avec les Américains, a signé un moratoire sur les tests de missiles anti-satellites afin de ne pas créer davantage de déchets dans l’espace.

“Il y a plus d’1 million de débris d’environ 1 cm qui tournoient dans l’espace à la vitesse de 8 km/seconde”

Colonel Alexis Rougier, Chef d’état-major du Commandement de l’Espace.

Tirs de missiles, sabotages, armes laser… l’espace, une zone de guerre comme les autres ?

Quelles sont les réponses possibles dans l’espace en cas de conflit ? “Dans le cas de Louch Olymp, nous avons été contraints de couper nos télécommunications le temps que le satellite ne s’éloigne, se remémore Alexis Rougier. Mais il y a une dizaine de menaces actives aujourd’hui dans l’espace. Le 15 novembre 2021, quelques semaines avant l’invasion russe de l’Ukraine, on a assisté à un tir anti-satellite russe. Cela a créé plus de 1 500 débris dans l’espace. Dans le passé, il y en a eu d’autres : un tir chinois en 2007, un américain en 2008, un indien en 2019…

Il y a aussi l’exemple d’un chalutier de pêche russe qui a “malencontreusement” coupé un câble sous-marin reliant la Norvège aux îles Svalbard. Celles-ci accueillent le plus grand champ d’antennes spatiales, comme par hasard. Heureusement, le câble était doublé donc il n’y a pas eu de rupture de télécommunication. Reste que le sabotage est une autre menace bien réelle. “Il y a aussi les armes laser. Des dispositifs chinois, russes… travaillent à pouvoir atteindre avec des lasers les satellites, probablement pas pour les détruire, parce qu’il faudrait une énergie importante, mais pour les éblouir, les empêcher de fonctionner ou griller leurs capteurs.”

Jusqu’à présent utilisés en astronomie, les lasers pourraient aussi devenir des armes anti-satellites. Crédit : US Air Force.

L’espace, une zone de non-droit ?

À l’instar de la haute-mer, l’espace n’est pas perçu comme une zone de non-droit mais est reconnu comme une zone internationale. Depuis les années 1960-70, en pleine guerre froide, les États ont adopté une série de traités qui régissent la vie dans l’espace. La priorité était de faire en sorte qu’il ne soit pas possible d’avoir une guerre spatiale nucléaire. Le Traité de l’Espace, signé et entré en vigueur en 1967, interdit la mise en orbite d’armes de destruction massive. “Mais rien n’interdit d’autres armes dans l’espace, ou le transit d’armes de destruction massive via l’espace”, pointe Raphaël Costa.

Autre règle adoptée internationalement : la liberté de circulation dans l’espace. “Cela distingue le droit de l’espace du droit aérien où, tant qu’on est dans l’espace aérien d’un État au-dessus de son territoire, on est soumis à sa volonté. C’est différent pour l’espace”, ajoute l’enseignant. Et d’ajouter : “Il y a des principes de responsabilité dans l’espace. Les États sont responsables en cas de dommages causés par leurs objets spatiaux, sur Terre ou là-haut. Avec une spécificité : même un satellite privé lancé dans l’espace est la propriété légale, entre guillemets, de l’État qui l’a envoyé. C’est-à-dire qu’abîmer ce satellite, ou le détruire, ou se l’accaparer, revient en réalité à un acte d’agression envers un État.”

Il n’y a pas d’altitude précise pour désigner l’espace mais la définition effective de la frontière entre aérien et espace se situe à 100 km.

Si un satellite privé détruit un autre satellite – privé ou public –, cette destruction engagera donc la responsabilité de l’État l’immatriculation de l’entreprise. Et pas de l’entreprise directement. Derrière, le pays pourra éventuellement se retourner vers l’acteur privé mais pas au niveau international. C’est pourquoi, aussi, dans le cas de SpaceX, par exemple, les États-Unis ont dû approuver le déploiement de Starlink. Et ils sont censés s’assurer que Starlink et SpaceX appliquent les principes du Traité de l’Espace.

L’avènement des activités lucratives privées dans l’espace

Illustration de la capsule Nyx de The Exploration Company pour transporter des marchandises dans l’espace, réapprovisionner les stations spatiales mais aussi transporter des humains. Crédit : The Exploration Company.

“Il est prévu que le marché spatial croisse jusqu’à environ 1 trillion d’ici 2040, explique Hélène Huby, PDG de The Exploration Company. Le principal levier de cette croissance est la communication. Par exemple, les véhicules autonomes, par exemple, vont tous avoir besoin de communiquer beaucoup d’informations en permanence, à tout moment, n’importe où sur la Terre. Car beaucoup de calculs doivent être faits et de données traitées. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce besoin de communication exponentielle.”

On pense immédiatement à SpaceX et Starlink. La valorisation de SpaceX est aujourd’hui de près de 200 milliards. D’autres projets de ce type émergent en Chine, en Europe comme Iris², une initiative de constellation de télécommunication sécurisée européenne. “Personnellement, je suis convaincue que, dans 10 à 15 ans, 50 % de nos communications transiteront par l’espace, soutient Hélène Huby. Cela réduira de façon drastique le coût de l’accès à l’espace. Il y a une vingtaine d’années, il était à 25 000 dollars par kilogramme. Aujourd’hui, il est de 5 000 dollar par kilogramme et avant 2040, il sera de 500 ou de 100 dollars par kilogramme.”

“D’ici 2040, le coût de l’accès à l’espace sera de 100 ou 500 dollars par kilogramme quand il est de 5 000 dollars aujourd’hui.”

Hélène Huby, PDG de The Exploration Company.

Starlink et la guerre en Ukraine, une étude de cas

Jusqu’à présent, des acteurs privés – tels Dassault, Safran, Thales – agissaient en back-office d’actions étatiques. Ce qui est nouveau, c’est qu’on retrouve désormais des entreprises privées en front-office dans le spatial. Le parfait exemple de cela est Elon Musk et Starlink.

“Au début de la guerre avec la Russie, Starlink a mis ses capacités de connexion par satellite à disposition de l’Ukraine, rappelle le colonel Rougier. Mais, à un moment, un certain nombre de drones ukrainiens devaient frapper la Crimée. Elon Musk a alors considéré que les Ukrainiens avaient dépassé une certaine limite et a déconnecté à ce moment-là Starlink. Et d’ailleurs, le Sénat américain a fait une étude sur cette affaire-là, pour essayer de reprendre un peu le contrôle sur Starlink. C’est un champ encore nouveau, un mélange de capacités opérationnelles et de droits.”

France et Europe en pointe mais…

“En France, qui fait partie des toutes premières puissances spatiales, nous avons une vraie souveraineté en termes de lanceurs. Et nous travaillons main dans la main avec, à la fois nos alliés et les entreprises privées. Notre outil opérationnel est construit en collaboration avec une industrie de confiance. Nous travaillons avec des entreprises sur lesquelles on a un contrôle juridique un peu plus robuste. Et nous travaillons aussi avec un troisième cercle de ce qu’on appelle des ‘nice to have’.”

L’Europe compte d’autres nations spatiales importantes, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni. Nous sommes en pointe dans les télécommunications, dans l’observation… Galileo est un un très bon exemple de cette souveraineté européenne en matière de positionnement. Nous sommes aussi présents dans des domaines comme l’informatique quantique, qui sont intéressants pour le spatial.

Lancement du satellite d’exploration américain James Webb par ArianeGroup le 25 décembre 2021. Crédit : NASA/Bill Ingalls.

Fin 2021, le lancement par ArianeGroup du plus grand satellite jamais créé, baptisé James Webb, a aussi été une réussite. Ce télescope de la NASA a bénéficié du plus gros budget jamais vu, 10 milliards de dollars. Et il a été tellement bien lancé par ArianeGroup qu’il a gagné 15 jours sur sa trajectoire.

“Il y a néanmoins un vrai risque de décrochage, alerte le colonel Rougier. Je vais vous donner le nombre de lancements sur l’année 2023. Les États-Unis, c’est une grosse centaine de lancements. La Chine, c’est une soixantaine. La Russie, une petite vingtaine. L’Europe réunie, trois. Voilà. Certes, il y a une crise des lanceurs en raison du passage de Ariane 5 à Ariane 6 mais il faut vraiment garder un certain dynamisme face aux autres nations.”

De nouvelles stations spatiales à l’horizon

À date, il y a deux stations spatiales en activité : ISS et une station chinoise. Dans une dizaine d’années, il y en aura probablement 4, 5, 6 autour de la Terre. L’Inde veut sa station pour 2035, le Japon y réfléchit, tout comme l’Arabie saoudite. Quatre stations spatiales sont en projet aux Etats-Unis et deux verront sans doute le jour.

“Il va y avoir un mix de stations spatiales privées et publiques, estime Alexis Rougier. Elles accueilleront des astronautes sur lesquels on va faire des expériences pour préparer la vie de l’homme plus tard dans l’espace. Pour préparer aussi des voyages plus longs vers Mars, des voyages de 6 mois. On aura des stations civiles, des stations pour ravitailler les vaisseaux mais aussi des stations militaires, pour protéger toutes ces infrastructures spatiales absolument critiques.”

Et de conclure : “Demain, l’espace sera ce que les Américains appellent des strategic enablers, c’est-à-dire une capacité stratégique pivot de l’action militaire par sa capacité à interconnecter l’ensemble du combat qu’il soit aérien, maritime, cyber

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