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Déforestation importée : la législation européenne peut-elle changer la donne ?

En décembre 2022, le parlement européen s’est mis d’accord pour édicter une nouvelle législation destinée à bannir de ses importations les produits qui seraient issus de zones déforestées. Il s’agit d’une avancée majeure sur la question de la “déforestation importée”. C’est-à-dire la déforestation qui existe du fait de la demande de marchés distants, en particulier celui de l’Union européenne (UE).

On ne peut que se réjouir d’un texte dont l’ambition est de mettre en valeur le rôle des marchés dans les dynamiques qui contribuent au changement climatique. Ainsi que de responsabiliser les producteurs qui se conduisent mal, menacés d’amendes s’ils sont pris en défaut. Mais, si on applique le cadre qui vient d’être approuvé à la question de la déforestation au Brésil, peut-on en attendre des changements rapides ou significatifs ?

La question du contrôle : pas si simple

Le parlement européen insiste sur le fait que les produits seront contrôlés en fonction d’une traçabilité qui sera reliée à une base de données tirée d’imagerie satellitale proposée par Airbus et permettant d’identifier les parcelles déforestées. On ne doute absolument pas de la grande précision des données géographiques qui seront produites. Mais l’association de telle ou telle carcasse de viande ou telle ou telle cargaison de soja à des parcelles interdites risque d’être plus délicate.

Il ne faut en effet pas perdre de vue qu’une grande partie de la déforestation qui se produit au Brésil, en particulier en Amazonie, est déjà illégale, si bien que les produits qui en proviennent sont déjà interdits…

Faux certificats, abattages illégaux…

Si les produits sont mis sur les marchés, c’est en se dissimulant. Notamment en faisant croire qu’ils proviennent de régions où ils seraient légaux, par le biais de faux certificats ou de diverses techniques. Comme le rachat en argent liquide de troupeaux illégaux qui se trouvent subrepticement insérés juste avant leur abattage dans le cheptel de fermes autorisées.

L’Union européenne sera-t-elle plus forte que les autorités brésiliennes, sachant que, à la différence de ces dernières, elle n’aura pas accès au terrain pour mener des contrôles ? On peut se demander s’il n’y a pas un peu d’illusion technologique dans cet aspect de la législation.

Quelles forêts ? Quelle déforestation ?

Comme l’ont fait remarquer de nombreuses ONG, le focus mis sur les forêts signifie que l’espace principalement concerné pour le moment, au Brésil, concerne le biome amazonien.

Or, s’il est attaqué par la croissance de l’espace agricole, notamment du fait du développement des pâturages pour l’élevage bovin, cet espace n’est pas (et de très loin) le cœur du système agricole brésilien. Celui-ci bat dans les savanes du centre du pays (le cerrado), qu’il transforme de manière intense depuis quatre décennies, entraînant des conversions massives de végétation naturelle vers des parcelles agricoles.

Front de déforestation dans l’État du Roraima, 2016. Francois-Michel Le Tourneau, Fourni par l’auteur

Le parlement européen a indiqué qu’il comptait ajouter le cerrado rapidement dans les zones interdites à la déforestation. Cela pourrait transformer l’interdiction de la déforestation en interdiction de la conversion de végétation, avec de très larges répercussions, y compris en Europe. Si elle est adoptée (ou quand elle le sera), cette mesure aura probablement plus d’impact au Brésil que les termes acceptés actuellement. Elle entraînera certainement aussi davantage de réactions…

Une faible part sous embargo

La question de la date de référence pour le suivi des parcelles constitue un autre point fondamental. Pour le moment, s’agissant des forêts, c’est la fin 2019 qui a été retenue. De ce fait, toutes les parcelles déforestées avant cette date ne sont pas interdites. Sachant que la déforestation des trois dernières années a été grosso modo de 35 500 km2 (chiffres INPE arrondis), sur environ 800 000 km2 déforestés dans le biome amazonien au Brésil, ce sont donc 4,3 % de l’espace agricole amazonien qui seraient interdits d’exportation dans l’UE à l’heure actuelle.

Si l’on envisage une trajectoire de 10 000 km2 de déforestation par an sur la prochaine décennie (on espère évidemment que ce sera bien moins !), on atteindrait autour de 16 % à l’horizon 3032 – ce qui signifie que 84 % des zones déforestées en Amazonie pourraient encore exporter leur production en UE. Le même raisonnement s’applique au cerrado, bien évidemment, et on verra si la date qui sera retenue dans ce cas sera la même ou non. Dans les deux cas, ce sera une faible proportion de la surface agricole brésilienne qui sera, dans les faits, sous embargo.

Aider le Brésil à mettre en place des moyen pour un programme de suivi environnemental

On a déjà souligné plus haut qu’une partie de la déforestation intervenue en Amazonie avant 2020 est considérée comme illégale par le gouvernement brésilien, qui est lui-même en train de mettre en place (difficilement) un programme de suivi environnemental (le cadastre environnemental rural ou CAR) destiné à cartographier ces aires et à obtenir des propriétaires qu’ils les reboisent.

Mettre des moyens pour aider le Brésil à avancer beaucoup plus vite sur ce système aurait peut-être plus d’effets à court terme que d’envisager un contrôle depuis l’Europe, en ouvrant la voie non seulement à une stabilisation de la déforestation, mais à une récupération d’une partie des zones perdues.

Vers deux marchés d’exportation ?

Le risque le plus sérieux que court la législation européenne est d’être contournée par la dissociation, de la part des exportateurs brésiliens, de leurs produits en deux marchés : une production écologiquement correcte, destinée à l’Europe (vendue sans doute plus cher), et une production peu regardante sur les conditions environnementales, destinée aux autres marchés, en particulier au marché chinois.

Face à cela, les tenants du texte européen considèrent que le fait que l’Europe est globalement le premier marché mondial limite ce risque.

Exportations brésiliennes de soja et viande bovine en fonction des pays de destination ; le rapport entre les polygones correspond au rapport de valeur entre les productions. COMEXSTAT, Fourni par l’auteur

Or, vu du Brésil, on peut questionner cette évaluation. L’Europe n’est importatrice que de 14 % du soja brésilien et 8,8 % de la viande bovine brésilienne (données COMEXSTAT) – comme le montre le graphique ci-dessus –, les deux productions qui sont les grands vecteurs de déforestation (en Amazonie ou dans les autres régions du Brésil).

La Chine, elle, est responsable de 70 % et 49 % des mêmes, et l’Asie en général de 80,6 et 62 %. Il n’y a que dans le domaine des tourteaux de soja que la part de l’UE est plus significative et qu’elle fait jeu égal avec la Chine (44,7 % contre 43 %), mais les tourteaux et assimilés ne représentent que 14,4 % de la valeur combinée des exportations des trois produits.

L’Union européenne n’est pas un marché majeur pour le Brésil

Le Brésil exporte dix fois plus de soja en grains vers l’Asie que de tourteaux en direction de l’Union européenne… qui n’est donc clairement pas, pour les exportateurs brésiliens, un marché aussi majeur que nous l’imaginons.

Par ailleurs, si une partie significative des tourteaux est exportée depuis l’État du Mato Grosso (qui se trouve écologiquement situé dans le cerrado et en Amazonie), plus de la moitié provient du sud du Brésil (États du Paraná, Rio Grande do Sul et Paraná), qui ne sont pas des zones de déforestation. Le Brésil peut donc très aisément fournir l’UE en produits correspondant à ses critères, provenant du sud du pays, tout en fournissant ce qu’il produit en Amazonie à la Chine ou à d’autres pays qui n’ont pas les mêmes critères écologiques.

Basé sur ces chiffres, on peut s’interroger sur la possibilité que la législation européenne, aussi dissuasive qu’elle soit au vu des sanctions envisagées, puisse réellement changer la donne en Amazonie ou au Brésil d’une manière générale, d’autant que si l’on a parlé ici de la possibilité de trouver des marchés alternatifs à l’international, il y a aussi la possibilité de concentrer les productions à bas standards écologiques pour le marché interne (notamment la viande) et de réserver les produits avec des standards (et une qualité) plus élevés pour l’exportation.

Une question de méthode

L’Union européenne considère que sa législation fera figure d’exemple et qu’elle sera peu à peu reprise dans d’autres pays. Mais on peut questionner cet aspect en fonction de la philosophie sous-jacente.

En effet, l’UE considère qu’elle peut définir à la place des États ce qu’ils devraient faire ou non de leur espace naturel, y compris en l’observant à distance pour mener ses contrôles.

Vu la manière dont elle est pointilleuse sur les questions de sa propre souveraineté, il n’est pas très probable que la Chine nous emboîte le pas sur ce chemin. Le risque est donc que nous, consommateurs européens, puissions nous targuer de consommer en étant écologiquement corrects sans changer grand-chose à la situation globale puisque les marchés les plus importants des produits qui motivent la déforestation se trouvent en dehors de l’UE (tout au moins s’agissant du Brésil).

Deux angles morts

Redisons-le, la lutte contre la déforestation est légitime et nécessaire et la responsabilisation des citoyens européens est bienvenue. Deux angles morts semblent néanmoins pouvoir être soulignés ici.

Le premier est qu’il serait beaucoup plus convainquant pour le reste du monde de voir l’Europe proposer un nouveau modèle social ou culturel reposant sur la diminution de la consommation (la désormais incontournable sobriété) plutôt que de fixer des conditions à une consommation toujours plus grande par ses citoyens de produits qui ont un fort impact sur l’environnement (la viande notamment).

Le second est que, dans le système économique et écologique actuel, les parcelles en végétation naturelle ne rapportent rien, alors qu’une fois converties en espaces agricoles elles produisent des revenus pour leurs propriétaires (tout en ayant un coût environnemental faramineux payé par tous, bien sûr).

Ce n’est pas par haine des arbres que les fermiers brésiliens déboisent, mais parce que cela a du sens sur le plan économique. Inverser cela par des politiques ambitieuses de paiement pour services environnementaux serait sans doute le moyen le plus efficace pour limiter drastiquement la déforestation.

À propos de l’auteur : François-Michel Le Tourneau. Géographe, directeur de recherche au CNRS, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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