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Désinformation, surinformation, fake news… tous crédules ?

Fiction et réalité. Les deux mondes compagnonnent depuis toujours. S’entremêlent. S’inspirent l’un l’autre. Parfois pour le meilleur : la fiction qui parle à notre imaginaire, à nos émotions, nous permet d’interroger le réel, “donnant du sens, de l’ordre aux expériences de la réalité”, explique l’écrivain, philosophe et sémiologue Umberto Eco, passionné par l’imbrication entre la réalité et la fiction, le vrai et le faux (1).

Terrain de jeu privilégié de notre créativité, la fiction peut être aussi thérapeutique. “Fuir l’angoisse qui nous saisit lorsque nous essayons de dire quelque chose de vrai sur le monde réel : voilà la raison pour laquelle les hommes depuis l’aube de l’humanité racontent des histoires”, dit encore l’auteur d’Au nom de la rose. Débattu depuis l’Antiquité, le thème de la porosité entre fiction et réalité revêt en ce XXIe siècle 2.0 une toute nouvelle acuité. Besoin de réenchanter un quotidien vécu notamment par les plus jeunes comme anxiogène, la fiction, à l’instar des rencontres oniriques – entre licornes et personnages de mangas – du métavers, peut devenir une façon d’être à part entière.

La fiction 2.0 est aussi intrusive que machiavélique

Le risque est celui de projeter le monde imaginaire sur le monde réel. La confusion entre réel et virtuel. Et un principe de réalité, et les repères qui vont avec, qui peu à peu vacille. Nourrie du doute contemporain généré par de nouvelles angoisses collectives, on assiste à une défiance à l’encontre des institutions politiques, médiatiques mais aussi de la science et de tous corps constitués. Boostée par la puissance de transmission et de partage du numérique, rendue plus “vraie que nature” grâce au leurre des images synthétiques de l’intelligence artificielle (IA), une “fiction” 2.0 est née. Aussi intrusive que machiavélique.

Une désinformation plurielle qui manipule notre façon de penser

Histoire commune conçue dans un entre-soi rassurant, confortant nos peurs mais aussi nos espérances, nos opinions, cette désinformation est plurielle : malveillance préméditée, raccourcis cognitifs paresseux – le raisonnement méthodique n’est pas forcément le propre de notre cerveau ! – ou parodies et canulars douteux. Quelle qu’elle soit, elle influence et manipule notre façon de penser. Fake news, deep fake, complotisme : la lutte contre ces “désordres informationnels”, comme les nomme le sociologue Gérald Bronner, membre de l’Académie de technologie et de l’Institut universitaire de France, s’apparente à un remake du combat entre obscurantisme et Lumières.

“Comment des faits imaginaires ou inventés, voire franchement mensongers, arrivent-ils à se diffuser, à emporter l’adhésion des publics, à infléchir les décisions des politiques, bref à façonner une partie du monde dans lequel nous vivons”, s’interroge l’auteur de La Démocratie des crédules et de Déchéance de rationalité (2). Mettant en cause, entre autres, “cette dérégulation du marché de l’information en ligne qui favorise l’expression de cette face obscure de notre rationalité, l’invasion du douteux et du faux dans notre espace public qui est en train de prendre possession de l’esprit démocratique”.

“Des individus vivent dans la même société mais pas dans le même monde”

Orchestrées au niveau des Etats, certaines campagnes de fake news peuvent en effet, on l’a vu aux Etats- Unis et récemment en France, cibler le processus électoral. Publié le 11 janvier, le rapport Les lumières à l’ère numérique de la commission Bronner, du nom du sociologue qui l’a piloté, dresse un inquiétant état des lieux de la désinformation sur les réseaux sociaux et des “perturbations de la vie démocratique” qu’ils génèrent. “Des individus vivent dans la même société mais pas dans le même monde, explique Gérald Bronner. Certains mondes mentaux peuvent parfois aboutir à des actions concrètes comme la défiance vaccinale.”

Relevant d’une véritable “infodémie”, les fake news sur le coronavirus furent encore plus contagieuses que le virus lui-même ! Parmi les perles recensées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : le vaccin contenant des puces 5G pour nous tracer ; le lavage de mains avec de l’urine d’enfant ou la prise de cocaïne pour éradiquer le virus… Liste non exhaustive, comme l’est celle des fake news relevant du climatoscepticisme. La crédulité humaine est un fait : en 1938, des millions d’Américains ont cru à l’annonce du débarquement des Martiens dans le New Jersey annoncée par Orson Wells sur la radio CBS.

A la croisée des arts et des sciences, le Festival Lumières sur le Quai a cette année pour thème “Fictions ou réalités ?”. Avec expositions, installations, rencontres-débats, performances artistiques et ateliers. Et pour partager, débattre, innover, et nous surprendre, chercheurs en neurosciences, créateurs, juristes et philosophes. Du 20 octobre au 6 novembre, allée Matilda, Toulouse. Retrouvez le programme détaillé sur quaidessavoirs.fr

Quel que soit l’âge ou le niveau d’éducation, tout le monde est concerné

L’envie, le besoin de croire serait même, selon certains chercheurs en psychologie sociale, inhérent à l’être humain. “Croire est naturel et délicieux”, regrettait le philosophe Alain. La surinformation, la surreprésentation des sites d’intox sur le net, le dictat médiatique du buzz ne peuvent qu’exacerber cette crédulité naturelle. Et ce, tout profil confondu, quels que soient notre niveau d’éducation ou notre âge.

Si les réseaux sociaux sont la première source d’information des jeunes, les seniors partageraient ainsi plus les fake news que leurs cadets. Selon une étude des universités de Princeton et de New York, publiée par Sciences Advances, qui a analysé les partages des internautes pendant la campagne électorale américaine de 2016, les plus de 65 ans partagèrent en moyenne sept fois plus que les millennials ou la génération Z les intox sur Facebook.

Le risque de “l’enfermement algorithmique” et de la désinformation sur les réseaux sociaux

Pour lutter contre “l’enfermement algorithmique”, ses manipulations et dérives, le rapport Bronner propose trente recommandations contre la désinformation. Parmi celles-ci, engager la responsabilité civile des diffuseurs de fausses nouvelles préjudiciables, sanctionner juridiquement ces dernières : fact-checker devenant incontournable, et s’attaquer à leur financement par la publicité. Mais aussi renforcer la recherche scientifique sur la désinformation. Objectif relevant du challenge. En août 2021, Facebook a supprimé les comptes des chercheurs de l’université de New York qui étudiaient… la désinformation sur le réseau social.

Mais l’arme fatale anti-fake news reste le développement de l’esprit critique, “une grande cause nationale”. Un esprit critique que chacun d’entre nous, dès le plus jeune âge, à l’école et tout au long de sa vie, doit acquérir et entretenir. En cultivant ce “droit au doute, sans lequel, affirme Gérald Bronner, la connaissance humaine ne peut se corriger“. Le philosophe Alain (3) disait : “Le doute, ce sel de l’esprit. (…) La fonction de penser ne se délègue point.” Afin que la croyance ne gagne pas sur la connaissance.

(1) Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs, éd. Le livre de poche, 1998.
(2) La Démocratie des crédules et Déchéance de rationalité, éd. PUF et Grasset, 2013 et 2019.
(3)
Propos sur les pouvoirs, éd. Folio Essais, 1985.

Cet article a été initialement publié dans le cadre de notre supplément “Tous crédules ?” en partenariat avec Quai des Savoirs, Toulouse Métropole. L’intégralité du dossier est disponible dans le numéro WE DEMAIN n°39, disponible dans notre boutique en ligne, en version papier et numérique.

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