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Donald Trump : Make Stupid Decisions Great Again

Avant de quitter ses fonctions de premier ministre du Canada, Justin Trudeau a qualifié la politique tarifaire de Donald Trump de “très stupide”. Cette description pourrait s’appliquer à de nombreuses politiques de l’administration Trump, mais le mot le plus objectivement correct est “stupide”. De fait, le quotidien le plus populaire au Québec, Le Journal de Montréal, a publié en une au début février la photo de Trump avec le mot “stupid(e)” en caractères de 350 points. Certains pourraient appeler cela une opinion, mais la science de la stupidité nous dit qu’il s’agit plutôt d’une définition.

Des recherches récentes ont permis de qualifiées précisément les actions mal calculées des décideurs : la stupidité. Il ne s’agit pas de simples insultes, mais d’un phénomène qui se caractérise par un ensemble d’actions qui sont manifestement dysfonctionnelles, ou tellement contraires à toute ligne de conduite raisonnable qu’elles semblent impliquer un agenda caché.

This is today's edition of Le Journal de Montréal, Québec's most right-wing tabloid.

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— Jean-Denis Rouette (@jdrouette.bsky.social) 3 février 2025 à 19:24

La stupidité ne fait que des perdants

Selon la vision de la stupidité humaine de Carlo Cipolla, historien italien de l’économie aujourd’hui décédé, les interactions se répartissent en quatre catégories :

  1. Les interactions intelligentes qui sont bénéfiques pour tous — un jeu à somme positive comme la notion de richesse par la spécialisation et le commerce du philosophe écossais Adam Smith ;
  2. Les interactions inefficaces qui entraînent une perte dans un jeu à somme nulle ;
  3. Les interactions malfaisantes qui entraînent un gain dans un jeu à somme nulle ;
  4. Les interactions stupides qui font que toutes les parties subissent une perte.
  5. Le libre-échange est basé sur une interaction intelligente. Dans la vision transactionnelle à somme nulle de Trump, pour chaque gagnant, il y a un perdant.

Il ne semble pas comprendre que les droits de douane ne sont efficaces que si les autres pays ne ripostent pas. Mais d’autres pays ripostent, et comme le monde en est maintenant témoin, la guerre commerciale qui en résulte peut décimer l’économie mondiale.

Les mesures protectionnistes de Trump visant à relancer l’économie américaine peuvent donc être considérées comme des interactions « stupides » qui accentuent les risques d’une dépression économique prolongée.

À lire aussi : Faut-il (re)lire Machiavel pour sauver les démocraties ? Oui

La stupidité en tant que comportements

Les chercheurs contemporains ont également identifié trois ensembles de comportements qui incarnent la stupidité :

L’ignorance tranquille (ou confiante), qui consiste à prendre des risques sans avoir les compétences nécessaires pour les assumer. Il ne s’agit pas seulement d’ignorer son ignorance — ce qui s’explique par l’effet Dunning-Kruger — mais d’être sûr de soi malgré les preuves du contraire.

Trump sait peut-être qu’il ne sait pas, c’est pourquoi il a délégué de nombreuses tâches au milliardaire Elon Musk et à l’architecte des tarifs commerciaux Pete Navarro.

L’échec par distraction signifie que les gens savaient ce qu’il fallait faire ce qui ne leur a pas évité de faire quelque chose de stupide par manque d’attention. Les organisations ont beau créer des des programmes, ils seront ignorés si les problèmes qu’on tente de résoudre n’ont pas un impact sérieux sur les objectifs de l’organisation.

Un exemple est la récente frappe américaine contre les Houthis yéménites. Les responsables américains ont ignoré des éléments de sécurité essentiels en partageant des informations via des connexions non sécurisées, ainsi qu’avec le rédacteur en chef du magazine The Atlantic.

Quand le pouvoir balaie le contre-pouvoir

Le manque de contrôle signifie que les décideurs autocratiques compromettent leurs organisations en ne tenant pas compte des objections de ceux qui sont responsables de mettre en œuvre les plans du dirigeant.

Ces décideurs autocratiques tendent à sélectionner des informations biaisées pour soutenir leurs propositions. Leurs employés adhèrent aux efforts visant à utiliser l’information de manière sélective, limitent les alternatives et exécutent ces plans préconçus, ou bien ils quittent l’organisation (volontairement ou non).

Aux États-Unis, on a ainsi vu le licenciement de l’avocate Elizabeth Oyer, qui travaillait au département de la Justice. Elle n’a pas appuyé le rétablissement des droits de port d’armes de l’acteur Mel Gibson, qui avait été reconnu coupable de violence domestique en 2011. La grâce de Gibson aurait été accordée en raison de sa relation personnelle avec le président.

Les différents genres de stupidité

Les chercheurs en organisation ont utilisé le terme de stupidité fonctionnelle pour décrire ceux qui refusent d’utiliser leurs capacités intellectuelles lorsqu’ils prennent des décisions et évitent par la suite de les justifier. Cela permet aux membres du groupe d’exécuter rapidement des fonctions routinières sans trop réfléchir.

La stupidité dysfonctionnelle est un manque de réflexion, de raisonnement et de justification soutenus par l’organisation. Les organisations n’utilisent pas les ressources intellectuelles pour traiter les connaissances ou remettre en question les normes lorsqu’elles sont confrontées à des décisions nouvelles ou inhabituelles. En bloquant les communications, en étouffant les critiques et les doutes, les organisations assurent le respect des édits des supérieurs.

Un exemple de l’administration Trump est l’autorisation inconditionnelle donnée au Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE), dirigé par Musk, d’accéder à un large éventail de données gouvernementales.

Des décisions éclairs, des conséquences durables

Les efforts combinés de responsables de l’organisation à plusieurs niveaux sont nécessaires pour perpétuer la stupidité. Individuellement, cette stupidité est renforcée par le fait d’ignorer des informations cruciales en raison d’une urgence d’agir.

Par conséquent, les décisions rapides et les raccourcis pris par les individus ont des conséquences négatives. Un exemple serait le besoin apparent de l’administration Trump de faire des économies rapidement pour permettre des réductions d’impôts, au détriment d’une approche plus logique consistant à trouver des moyens de réaliser ces économies sans réduire les services légalement obligatoires.

Sur le plan organisationnel, la stupidité est renforcée lorsque les organisations ne peuvent pas traiter toutes les informations disponibles. Les données sont restreintes, les contrôles sont renforcés et les responsables de l’organisation se rabattent sur des réponses apprises auparavant et qui leur sont familières. Les plus inexpérimentés proposent des hypothèses non fondées, ou n’émettent aucune hypothèse.

À preuve les droits de douane « réciproques » de Trump qui déciment actuellement les marchés financiers du monde entier. Aucun tarif n’a été calculé en utilisant les taux tarifaires actuels, tandis que d’autres étaient basés sur les déficits commerciaux américains avec des pays. Certains tarifs semblent ne reposer sur aucune justification.

La stupidité comme agenda caché ?

Certaines actions qui semblent stupides relèvent parfois d’un agenda caché. Lorsque l’administration Trump détient et expulse par erreur toute personne en vertu de la loi sur les ennemis étrangers, est-ce un accident ou un moyen d’instiller la peur chez tous ceux que les autorités peuvent à tout moment détenir, maltraiter et expulser sans procédure régulière ?

De nombreuses mesures prises par l’administration Trump semblent stupides. Les droits de douane, par exemple, représentent une perte, un jeu à sommes transactionnelles négatif.

Les décisions de Trump témoignent d’une ignorance confiante, d’un échec distrait et d’un manque de contrôle. Elles révèlent également une stupidité dysfonctionnelle, les responsables de Trump semblant refuser d’utiliser toutes leurs ressources intellectuelles. La stupidité est également renforcée par des hypothèses non fondées. Tout cela cache-t-il un programme secret ?

“On ne peut corriger la stupidité”, dit le proverbe. Mais le fait d’avoir des administrateurs compétents en place, tandis que d’autres branches du gouvernement exercent leur rôle de surveillance prévu par la Constitution, pourrait atténuer une partie de la stupidité de l’administration Trump.

À propos de l’auteur : Jerry Paul Sheppard. Associate Professor of Business Administration, Simon Fraser University.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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