Partager la publication "Écoféminisme : écologie et droits des femmes, même combat ?"
En ce 8 mars 2022, la forte présence des femmes dans les luttes écologistes se confirme chaque jour un peu plus. On peut citer Greta Thunberg, 19 ans, bien sûr, mais aussi Camille Etienne (@graine_de_possible sur Instagram, 23 ans) ou encore Lucie Pinson, 37 ans, à la tête de l’ONG “Reclaim Finance“, qui milite pour le désinvestissement dans les énergies fossiles. Mais les racines de l’écoféminisme remontent au XXe siècle. Direction l’Amérique du Nord.
Dans les années 1980, aux États-Unis, la contestation anti-nucléaire bat son plein. Le 17 novembre, à Arlington (Virginie, États-Unis), plus de 2 000 femmes se rassemblent pour la Women’s Pentagon Action. Elles chantent, hurlent, pleurent et jettent des sorts au Pentagone pour protester contre les guerres qui agitent le pays, la nucléarisation et la destruction de la planète. L’année suivante, le même rassemblement réunit le double de participantes. L’écoféminisme est né.
À la même époque, de l’autre côté de l’Atlantique, le plus grand camp écoféministe de l’histoire voit le jour à Greenham Common, en Angleterre (voir photo ci-dessus). Dans les années 1990, les mobilisations s’essoufflent. L’histoire du mouvement est peu à peu oubliée.
Retour en force de l’écoféminisme au XXIe siècle
“Plus je lis sur la crise climatique, plus je réalise à quel point le féminisme est crucial. Nous ne pouvons pas vivre dans un monde durable, à moins que tous les genres et les personnes soient traitées de façon égale.”
Voilà ce que tweetait Greta Thunberg au matin du 8 mars 2019, Journée internationale des droits des femmes. Depuis trois ans, la jeune Suédoise de 19 ans et son combat pour le climat ont trouvé un écho international. En Belgique, c’est Anuna De Wever, 20 ans, qui s’illustre. Elle s’identifie comme gender-fluid et rattache la lutte pour l’environnement au plaidoyer pour l’égalité entre les genres. Ces figures féminines interpellent.
Le mouvement écoféministe semble trouver un nouvel élan depuis quelques années. A l’initiative de Greta Thunberg, les jeunes n’hésitent plus à se mobiliser pour le climat. Le 8 mars 2019, lycéens et étudiants lancent un quatrième utimatum au gouvernement : la lutte pour l’écologie sera féministe ou ne sera pas.
Les deux luttes convergent-elles ? Pourquoi relier féminisme et écologie ? Quel peut être le rapport entre domination masculine et destruction de l’environnement ? WE DEMAIN a discuté avec Jeanne Burgart-Goutal, professeure de philosophie. Elle a publié en mars 2020 un ouvrage “Être écoféministe” aux éditions L’Échappée. Entretien.
WE DEMAIN : D’où vient l’écoféminisme ?
Jeanne Burgart-Goutal : L’écoféminisme est un mouvement social et un courant d’idées qui allie écologie et féminisme. C’est l’écrivaine Françoise d’Eaubonne qui a en parlé la première. On a souvent négligé l’histoire des luttes écoféministes qui est essentielle pour comprendre d’où vient ce ce concept. Le mouvement n’est pas né en France mais plutôt aux États-Unis et en Grande-Bretagne, à la fin des années 1970 et au début des années 1980.
Aux États-Unis, de très nombreux mouvements sociaux agitaient le pays : civil rights, lutte féministe, prise de conscience écologiste… Il y avait une recherche de convergence, un peu comme aujourd’hui en France. Et l’écoféminisme a articulé et cristallisé toutes ces luttes.
L’écoféminisme est donc cette lutte “intersectionnelle”, comme on la qualifie aujourd’hui, contre toutes les formes d’oppression ?
Dès 1975, la théologienne Rosemary Radford Ruether parlait “d’interconnexion” des dominations de genre, de race, de classe… Le féminisme intersectionnel dont on parle beaucoup aujourd’hui n’est donc pas une nouvelle trouvaille : l’écoféminisme des débuts en parlait déjà et élargissait même cette interconnexion à la domination humain / non humain.
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Plus largement, qu’est-ce qui unit les luttes écologistes et féministes ?
Les théoriciennes de l’écoféminisme établissent de nombreux liens entre ces deux luttes, qu’ils soient psychologiques, économiques, inconscients… Mais c’est tout de même la lutte anticapitaliste qui apparaît comme le lien le plus évident. Elles dénoncent un“capitalisme patriarcal” ou le “patriarcat capitaliste”. L’avènement du capitalisme constitue selon elles une aggravation de la condition féminine et de l’exploitation de la nature. Beaucoup d’écoféministes considèrent qu’il s’agit des “fonctions cachées” du système capitaliste.
N’est-ce pas sexiste de dire que la femme serait plus sensible à la nature ?
On a souvent accusé l’écoféminisme d’essentialisme, d’attribuer des caractéristiques innées aux femmes. En France, cette pensée est considérée comme très conservatrice. Mais dans le monde anglosaxon, qui a été le nid de l’écoféminisme, c’est beaucoup moins gênant. Ces termes d’essence, de nature, d’inné sont progressistes, comme ils l’étaient dans la pensée hippie.
Est-ce que l’écoféminisme peut changer le monde ?
Mon scepticisme naturel me pousse à penser qu’un seul mouvement ne peut pas changer le monde ! Mais incontestablement, l’écoféminisme peut contribuer à créer un imaginaire radicalement différent de ce qui nous est proposé. Je pense que la pensée écoféministe peut ouvrir un espoir grâce à la radicalité et à l’utopisme de ses idées, ainsi qu’aux images séduisantes qui y sont rattachées : la sorcière, la terre, la nature… C’est un mouvement qui est dans l’affect donc très mobilisateur.
Malgré mon “mauvais esprit” et mes doutes de prof de philo, mon rapport au monde a radicalement changé depuis que j’étudie l’écoféminisme. Je ne fais plus, ne vois plus, n’entends plus les choses de la même manière !
Pour plus d’informations, vous pouvez écouter le podcast de la conférence “Écoféminisme : quand les femmes défendent la planète”, avec Jeanne Burgart-Goutal, juste ici 👇
Cet article a été initialement publié le 8 mars 2019.