Élection présidentielle américaine : Donald Trump, ou le culte de l’inculture

[Article paru en septembre dans le numéro 15 de We Demain ]

C’est une rage que l’Amérique n’avait pas vue venir. L’élection présidentielle devait se jouer entre deux grandes familles de patriciens issus du meilleur establishment washingtonien : les Bush et les Clinton. Puis Donald Trump vint. Et tout bascula !

Donald Trump, tout le monde le connaît aux États-Unis. C’est un héros des médias. Auteur de plus de vingt livres qui tournent tous autour de la même obsession : comment gagner du fric, “The Donald” a produit et animé pendant des années une émission de télé-réalité, The Apprentice.

L’objectif en est de se faire embaucher et la réplique du milliardaire pour départager les candidats est toujours la même : “You’re fired” (vous êtes viré).

Défiance envers le gouvernement

“You’re fired”, voila ce que dit le candidat à la classe politique américaine dans un pays où, selon un sondage réalisé au second semestre 2015, 19 % seulement des personnes interrogées ont confiance dans le gouvernement, 74 % pensent que les élus placent leurs intérêts personnels avant celui du pays et 55 % que les Américains ordinaires régleraient mieux que les politiciens le problème du chômage.
 

“Je veux que vous imaginiez combien notre avenir peut être meilleur si nous déclarons notre indépendance vis-à-vis de ces élites qui nous ont conduit d’un désastre à un autre”, assénait Trump fin juin dans un discours à Pittsburgh, capitale ruinée de la sidérurgie.

Les petites classes moyennes et le monde ouvrier en ébullition

C’est entendu, le constat est le même sur les deux rives de l’Atlantique. Ici, comme en Amérique, les petites classes moyennes et le monde ouvrier sont en ébullition.

Menacé par la mondialisation, ayant l’impression de ne plus avoir voix au chapitre, déplorant chaque jour un peu plus la désindustrialisation et la disparition des services publics quotidiens, ce que l’on appelait jadis le prolétariat se révolte contre sa classe politique. Il brûle d’une rupture radicale.

Trump sait répondre à cette colère montante. Le candidat n’est pas simplement un démagogue enragé. Il donne à voir une autre Amérique, celle des aciéries à l’abandon, des mines de charbon fermées et des municipalités en faillite. Et certains faits lui donnent raison.
 

“Nous avons reconstruit la Chine et maintenant notre pays tombe en morceaux. Nos aéroports ressemblent à ceux du tiers-monde !” fulmine-t-il à la télévision.

Isolationnisme radical

Il brasse un grand mélange d’idées picorées à droite et à gauche, dont la seule constante est un isolationnisme radical. Son grand projet est contenu dans son slogan de campagne : “Make America great again” (“Rendre sa grandeur à l’Amérique”). Slogan qui, selon Paul Krugman, Prix Nobel d’économie 2008, en dissimulerait un autre : “Make America white again” (“Redonner la puissance à l’Amérique blanche”).

Les classes ouvrières et les non diplômés, en particulier les WASP (White Anglo-Saxon Protestant), ressentent durement la précarisation voire la disparition des emplois qualifiés et correctement payés. Le poids des classes moyennes diminue rapidement et régulièrement.

Au-delà du Parti républicain

Il est passé de 54,2 % de la population adulte en 1996 à 50,6 % en 2012 – en France, la baisse est beaucoup plus faible, de 68,9 % en 1996 à 67,4 % en 2012. Cela a un impact direct sur la fiche de paie des Américains.

Un groupe de recherche de l’institut Brookings a calculé que le revenu moyen des hommes âgés de 30 à 45 ans sans diplôme a chuté de 20 % entre 1990 et 2013. Pour les titulaires de l’équivalent d’un bac+2, la baisse est de 13 % sur la même période.

Trump a senti tout cela mieux que d’autres. Son message porte bien au-delà du Parti républicain. Une étude de 2014 du Pew Research Center montre que des positions radicales, proches de celles aujourd’hui défendues par le magnat de l’immobilier, sur la limitation de l’immigration ou la restriction des accords commerciaux bénéficient d’un soutien important (de l’ordre de 40 %) chez les électeurs de la classe ouvrière blanche qui votent habituellement démocrate.

La dénonciation du traité de libre échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique (NAFTA) est d’ailleurs une position que Trump partage avec Bernie Sanders, candidat aux primaires du Parti démocrate qui se présente comme socialiste.

Rupture culturelle

Mais la fracture sociale s’accompagne d’une rupture culturelle. Le discours de Trump s’adresse à ceux qui n’ont plus confiance dans les médias traditionnels, assimilés à de simples porte-parole de l’élite. Un sondage réalisé en mai par l’institut Public Policy Polling montre que parmi les soutiens du milliardaire, 65 % pensent que le président Obama est musulman (13 % seulement répondent qu’il est chrétien) et 59 % qu’il n’est pas né aux États-Unis (23 % seulement sont de l’avis inverse).

Dans un autre domaine, 27 % pensent que la vaccination provoque l’autisme et 29 % n’en sont pas sûrs, 44 % déclarant croire que ce n’est pas le cas. Et le meilleur pour la fin : 7 % des partisans de Donald Trump pensent que le père de Ted Cruz (autre candidat aux primaires républicaines) a participé à l’assassinat de John F. Kennedy et 38 % n’en sont pas certains (55 % pensent que c’est faux).

Trump jubile. Rien ne vient davantage renforcer sa dénonciation des élites que de voir ses supporteurs refuser la vérité officielle. Et c’est une longue tradition des hommes politiques de premier plan que de simplifier à outrance voire de travestir les faits pour établir une proximité, une intimité même, avec leurs électeurs.

Tordre la réalité

L’ancien président George W. Bush avait abusé du procédé. Dans un article publié en mars, Matt Taibbi, du magazine Rolling Stone, se souvient du mentor de celui-ci, Karl Rove :
 

“Rove considérait, avec raison, qu’après une génération collée devant la télé et les films de Hollywood, de très nombreux Américains étaient convaincus que ceux qui lisent des livres, apprécient la peinture ou font attention à l’orthographe sont des serial killers […]. Cela lui a permis de vendre Bush à l’opinion comme [le héros ordinaire] qui ne connaît rien à rien, mais qui bon sang ! est certain de ce qu’il ne connaît pas.”

Donald Trump n’a pas eu besoin de conseiller spécial pour valoriser l’ignorance ou tordre la réalité dans ses discours. Dès son premier livre, The Art of the Deal (L’Art des affaires), en 1987, il annonçait la couleur :

“Je joue avec les fantasmes. Les gens ne pensent pas toujours à voir grand par eux-mêmes mais ils sont très excités par ceux qui le font à leur place. C’est pourquoi une petite exagération ne fait jamais de mal. Les gens veulent croire que quelque chose est plus grand, plus gros et plus spectaculaire. J’appelle cela la vérité par l’hyperbole.”

Primauté de l’anti-intellectualisme

La haine de la complexité devient, dès lors, une qualité indispensable. Dans ce même ouvrage, le milliardaire indique sa ligne directrice :
 

“J’aime à penser que j’ai de l’instinct. C’est pour cela que je n’emploie pas beaucoup de comptables pour empiler les données. Je n’ai pas confiance dans les analyses à la mode du marketing sophistiqué. Je fais mes propres analyses et j’en tire seul mes propres conclusions.”

Le livre The Art of the Deal s’est vendu à des centaines de milliers d’exemplaires. La revendication de la primauté de l’instinct et de l’anti-intellectualisme rencontre un profond écho parmi les soutiens de Donald Trump. Ce dernier a déclaré haut et fort : “J’aime les gens sans éducation.” Il a raison. D’un point de vue électoral, ces “gens sans éducation” sont un réservoir de voix qui ne cesse de grossir. Car le système éducatif des États-Unis est dans un état déplorable.

En 2014, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié les résultats d’une étude de deux ans portant sur 166 000 jeunes adultes de 22 pays occidentaux. Il s’agissait de tester les savoirs fondamentaux en calcul et en compréhension du langage, ainsi que la capacité à régler des problèmes en utilisant les technologies numériques et les outils de communication. Les jeunes Américains (âgés de 16 à 24 ans) sont systématiquement en queue de classement.

Réussite scolaire

En ce qui concerne la compréhension du langage, les premiers sont les Finlandais, avec un score de 296,7. La moyenne est de 277,9 et les Américains obtiennent 260,9, ce qui leur vaut l’avant-dernière place, devant les Italiens. Les Finlandais arrivent également premiers pour les capacités de calcul avec un résultat de 284,9.

Les Américains sont derniers, avec un score de 240. Pour le troisième exercice, sur la capacité à résoudre les problèmes, les chercheurs expriment les résultats sous la forme de pourcentages. Avec 37,6 % de réussite, les jeunes Américains sont là aussi bon derniers.

Mais parmi eux, ceux qui fréquentent les établissements les plus huppés ont un taux de réussite aux tests supérieur de 60 % à ceux issus d’environnements défavorisés. L’étude de l’OCDE établit clairement une corrélation entre l’investissement dans l’éducation et la réussite scolaire. Aux États-Unis, le Congrès, dominé depuis 2014 par les républicains, a imposé depuis 2013 une baisse de 5 % du financement annuel fédéral des établissements scolaires, quels que soient les besoins locaux.

“Je suis la Force”

Pour les régions prospères comme la Californie, cette restriction des fonds fédéraux est relativement indolore. Mais pour des villes en difficulté comme Detroit – qui avait dû se déclarer en faillite en 2013, une situation dont elle est sortie fin 2014 –, son impact est considérable. Moins de livres, moins de profs et la disparition des bibliothèques conduisent à l’affaiblissement durable des capacités de compréhension des classes populaires.

En 1957, Elia Kazan avait réalisé un film prémonitoire, Un homme dans la foule. Le long métrage raconte l’ascension fulgurante d’un chanteur de country misérable et alcoolique jusqu’aux portes de la Maison Blanche. Au sommet de sa popularité, Larry “Lonesome” Rhodes s’exclame à la radio, tout enivré de lui-même : “Je ne suis pas qu’un bateleur d’estrade, je suis une influence, un forgeur d’opinion, je suis une force, je suis la Force.”

Puis il oublie que les micros sont toujours ouverts. Et laisse éclater tout son mépris pour les gens qui le suivent aveuglément, sa haine des femmes et la bêtise de ses promesses. Les propos sont retransmis en direct. La campagne de Larry Rhodes se termine misérablement. Cette mésaventure n’arrivera pas à Donald Trump. Il a déjà dit tout cela. Ouvertement.

Guillaume D’Alessandro.

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