Partager la publication "Électricité : pourquoi les prix augmentent (et devraient continuer à grimper)"
Entre 2007, date symbolique en France puisqu’elle marque l’éligibilité de l’ensemble des consommateurs aux tarifs de marché, et 2022, le prix moyen du mégawatt-heure (MWh) de l’électricité pour les ménages est passé de 114 euros à 207 euros, soit 93 euros par MWh d’augmentation. Ce sera encore 20 euros de plus à partir du 1er février. Malgré une stabilisation des marchés de gros, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a annoncé une augmentation à partir de cette date-là entre 8,6 % et 9,8 % selon les contrats. Cette nouvelle hausse porte l’augmentation totale du tarif de base sur les deux dernières années à 44 % après les révisions de février 2022 (+4 %), février 2023 (+15 %) et août 2023 (+10 %).
La taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) qui avait été limitée à 1 euro par Mwh dans le cadre du bouclier tarifaire passera en effet à 21 euros. Celle-ci retrouvera le niveau qu’elle avait avant la mise en place de ce bouclier au 1er février 2025 (32,44 euros du MWh). Autrement dit, hors retournement politique, on peut s’attendre à une nouvelle annonce d’augmentation de 11 euros/MWh l’année prochaine.
À première vue, le constat est sans appel : l’ouverture à la concurrence ne semble pas avoir rempli son objectif de baisse des tarifs pour le consommateur. Les deux finalistes de la dernière élection présidentielle, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, en avaient d’ailleurs ouvertement débattu durant l’entre-deux-tours. Et, si les remèdes proposés différaient, tous deux s’accordaient sur le fait que le marché européen de l’énergie était inefficient et concourrait, sous sa forme actuelle, à l’augmentation des prix.
C’est également la conclusion du comité social et économique central d’Électricité de France (EDF) qui avait lancé une pétition pour la sortie du marché européen de l’électricité et le retour à un service public de l’énergie. Celle-ci a recueilli plus de 250 000 signatures.
Mais cette envolée des prix est-elle réellement liée à la libéralisation du secteur, qui était justement supposée stimuler la concurrence et donc l’innovation, notamment dans le déploiement des énergies renouvelables (EnR), et la baisse des prix ? En réalité, le constat apparaît plus nuancé.
Tout d’abord, une partie de cette augmentation s’explique par les taxes qui pesaient pour 25 % sur la facture du consommateur en 2007 (soit 31 euros/MWh, en euros 2020), et pour 34 % en 2020 (soit 61,5 euros/MWh). Autrement dit, sur le relèvement des taxes explique à lui seul 31,5 euros/MWh sur les 57 euros/MWh d’augmentation des prix moyens constatée (soit 55,3 % du total).
Une autre partie de l’augmentation repose sur les coûts inhérents aux réseaux de transport qu’il a fallu à plusieurs reprises réévaluer pour tenir compte des nécessaires investissements dans la maintenance, mais aussi la modernisation de ces infrastructures essentielles. Cette modernisation apparaît d’autant plus nécessaire que la production d’électricité se décentralise (notamment avec le déploiement des EnR), et que les nouveaux usages se développent. Ces tarifs d’acheminement de l’électricité (Turpe) sont ainsi passés de 41 euros/MWh en 2007 à 53,5 euros/MWh en 2020, soit 21,9 % de l’augmentation totale constatée.
Un rapide calcul nous permet donc de déduire que les coûts de fourniture, ou dit autrement, les facteurs de marché, n’expliquent en moyenne que 22,8 % (100 %-55,3 %-21,9 %) de l’augmentation des prix constatée sur la période, soit environ 13 euros/MWh. Pour les opposants au marché européen de l’énergie, ces 22,8 % résiduels résonneraient donc comme un constat d’échec et justifieraient un retour à des marchés de nationaux.
Selon les projections de RTE (gestionnaire du réseau national de transport d’électricité haute tension), une France isolée à horizon 2050-2060 coûterait plusieurs milliards supplémentaires par an aux contribuables. En effet, pour réduire nos émissions de CO2 et notre dépendance aux fossiles, nous avons déjà fermé et planifié la fermeture de l’équivalent de près de 10 gigawatts (GW) de centrales thermiques. De plus, nos centrales nucléaires vieillissantes connaissent des périodes d’arrêts et de surveillance prolongées qui ne permettent pas leur pleine exploitation.
Tout cela fait de la France un importateur d’électricité, notamment pour couvrir ses pics de consommation. En 2022, RTE nous rappelle d’ailleurs que la France aura « a été importatrice nette (plus d’importations que d’exportations) d’électricité pour la première fois depuis 1980 (bilan net de 16,5 TWh en import) » !
Cela ne peut signifier que deux choses. D’une part, la France a de plus en plus de difficultés à couvrir ses besoins énergétiques intérieurs. D’autre part, il lui est parfois profitable d’importer de l’énergie, notamment quand les prix de marché sont bas.
Au milieu de cette dynamique de marché, EDF est l’objet d’un curieux paradoxe. Il faut comprendre que le principal acteur du marché de la production d’électricité en France reste tenu de céder à ses concurrents un plafond de 100 TWh/an d’énergie nucléaire à un tarif « Arenh » (accès régulé à l’énergie nucléaire historique) fixé depuis 2012 à 42 euros/MWh. Cette disposition engage à peu près le quart de la capacité de production nucléaire d’EDF. Elle a permis l’instauration d’une concurrence sur le marché de la fourniture, l’électricité d’origine nucléaire étant fortement compétitive, notamment pour couvrir les besoins « de base ». Elle est d’ailleurs très fortement demandée actuellement du fait de l’envolée des prix de marché.
L’Arenh, qui n’a pas été révisé depuis 2012, est supposé couvrir les coûts de production en électricité d’origine nucléaire d’EDF. Or, ce n’est plus le cas si l’on en croit la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et l’opérateur historique. Ils estiment respectivement ces coûts de production à 48,36 euros/MWh et 53 euros/MWh. Autrement dit, EDF cède une partie de sa production nucléaire à perte… ce qui, du point de vue du contribuable français qui a participé à la constitution du parc d’EDF et figure à son actionnariat, s’apparente à une double peine puisque, dans le même temps, il est également percuté par l’augmentation des prix.
Il ne faut pas occulter qu’EDF est à la fois un leader de la fourniture d’électricité, mais aussi un très important exportateur. Et s’il perd de l’argent sur les 100 TWh concédés au tarif Arenh, il en gagne sur le reste de sa production. À plus forte raison quand les prix de marché s’envolent ! Par ailleurs, son coût de revient reste très compétitif, du fait notamment de sa rente de nucléaire et hydraulique.
Au bilan, malgré le paradoxe de l’Arenh, cette situation lui permet de générer des gains importants qui bénéficient à l’État actionnaire… et, d’une manière ou d’une autre, au contribuable. Les mesures de type « bouclier énergétique », par exemple, n’étaient-elles pas indirectement prélevés sur les bénéfices d’EDF ?
Enfin, il faut garder à l’esprit que l’ouverture à la concurrence répondait à d’autres objectifs que la seule baisse des prix. Il s’agissait aussi de réagir face à une série de problématiques identifiées dès le milieu des années 1990. À cette époque, déjà, l’Union européenne avait anticipé une forte augmentation de la demande mondiale en énergie. Ainsi que les tensions subséquentes sur l’accès aux ressources fossiles dont l’Europe reste fortement dépendante. La souveraineté énergétique européenne ne peut, dans ce contexte, faire l’économie d’une réelle politique de l’énergie unifiée. Une politique permettant à la fois de peser sur les marchés et de planifier la sortie progressive des énergies fossiles. Le mode de financement des énergies renouvelables (EnR) et de leurs coûts associés à leur intégration au réseau explique ainsi en partie les hausses de prix.
En effet, les financements privés se réalisent à un taux de marché généralement compris entre 4 % et 7 % quand l’État pourrait bénéficier de conditions de financement nettement plus avantageuses. Dit autrement, la transition énergétique revient plus cher – toutes choses égales par ailleurs – quand elle fait l’objet d’investissements privés plutôt que publics. Certes, mais ce serait oublier un peu vite que les États européens, déjà lestés de dettes souveraines très importantes pour certains, ont de multiples arbitrages budgétaires à effectuer (sous contraintes de se conformer, en temps normaux, au Pacte de stabilité et de croissance). Or, ils subventionnent directement et indirectement déjà beaucoup les EnR. Que ce soit par le biais d’obligations d’achat à un tarif régulé ou de complément de rémunération au bénéfice exclusif des producteurs d’EnR. Ces dispositifs de soutien aux EnR auraient permis de subventionner, pour la France et sur seule année 2020, la production de 79 TWh d’énergies renouvelables, à hauteur de 6,2 milliards d’euros (selon le ministère de la Transition écologique).
Les EnR ont de surcroît le désavantage d’être intermittentes, mais surtout décentralisées et générées par de multiples producteurs hétérogènes. Cette dispersion rend le réseau plus délicat à piloter et équilibrer. Elle nécessite des investissements massifs pour adapter les lignes à cette nouvelle donne. Par exemple, Réseau de transport d’électricité (RTE), qui assure le transport de l’électricité en France, prévoit quelque 33 milliards d’euros d’investissements à horizon 2035 (dont 13 milliards pour la seule absorption des EnR). Elle projette aussi une progression exponentielle au-delà en fonction de la part des renouvelables dans le mix énergétique français.
En contrepartie, ces investissements ouvrent la voie à un pilotage plus intelligent de l’énergie. Ils devraient aussi permettre un développement des usages qui vont de pair, qu’il s’agisse de l’électrification massive des flottes de véhicules, les réseaux électriques « intelligents » (smart grids) permettant une production/injection d’énergie ajustable en temps réel, le pilotage distant de la demande… En bref, une optimisation qui permettra, à terme, une meilleure efficience énergétique. Et de continuer à réduire, par la densification de notre parc EnR, nos émissions de CO2. L’évolution des tarifs à l’avenir reflétera donc en partie nos choix politiques concernant l’environnement.
On comprend à la lecture de ce bref panorama que, certes, on reste loin des promesses d’une concurrence modératrice en prix, mais que l’ensemble des hausses de prix ne découlent pas des imperfections du marché libéralisé. Et que les nombreux bénéfices liés à la construction du marché européen de l’énergie ne peuvent être totalement occultés. Reste que les marges de manœuvre pour protéger le portefeuille des consommateurs et assurer la transition énergétique demeurent limitées.
Sauf à miser sur la sobriété énergétique, voir émerger des innovations radicales dans la génération d’énergie, ou à espérer des conditions macro plus favorables, la hausse des prix ne semble pas pouvoir être endiguée sur le court terme. Et ce, même s’il était décidé de plafonner les dépenses marketing des fournisseurs, EDF et ses rivaux apparus depuis 2007…
En outre, avec l’électrification à marché forcée de l’économie, et notamment la mobilité électrique, il est illusoire de penser que la facture d’électricité baissera dans les prochaines années. Les raisons sont multiples, entre des besoins en énergies qui augmentent plus vite que nos capacités de production et le vieillissement du parc nucléaire. Sur un plan fiscal, il s’agira également pour l’État de compenser le manque à gagner des taxes sur les énergies fossiles à mesure que le thermique cèdera du terrain.
À propos de l’auteur : Julien Pillot. Enseignant-Chercheur en Economie (Inseec) / Pr. associé (U. Paris Saclay) / Chercheur associé (CNRS), INSEEC Grande École.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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