Partager la publication "En Chine, le boom du business anti-pollution"
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Quand, à Pékin, on dit que l’air est bon, que l’on peut sortir, faire du sport, on est à 150 mg/m3 de polluant. En France, le niveau maximal, c’est 125 mg/m3, et là, la consigne, ce serait : “Restez à la maison, calfeutrez-vous et surtout laissez votre voiture au garage ! » Julien Chol a 29 ans. Passé par l’École Centrale, ce jeune entrepreneur a décidé de tenter sa chance en Chine en 2005. Son créneau ? Des masques permettant de respirer sans risque dans l’atmosphère empoisonnée de ce pays.
Un million de morts par an
En Chine, la pollution fait partie du décor. Le gouvernement a beau multiplier les plans et durcir les normes, rien n’y fait : les niveaux de particules fines explosent dans les métropoles en plein boom, submergées d’automobiles et alimentées au charbon. Un air vicié qui tue chaque année plus d’un million de personnes, selon une récente étude de l’OMS. Si les Chinois semblent – pour l’instant – renoncer à s’attaquer aux racines de cette pollution, ils ne renoncent pas à s’en protéger. Certaines entreprises l’ont si bien compris qu’aujourd’hui le marché de l’anti-pollution chinois est en plein boom.
Avant d’arriver en Chine, Julien Chol avait tenté sans succès de commercialiser purificateurs d’air et masques anti-pollution en Europe. Envoyé à Pékin pour le compte d’EDF, il avait abandonné l’idée de réussir dans le secteur. Sauf qu’une fois sur place, le besoin est tout autre : «
Pékin est l’une des villes les plus polluées au monde. Les Chinois sont assez fatalistes là-dessus, mais si on leur propose des solutions, ils sont preneurs. » Aujourd’hui, son entreprise,
China Pollution, distribue des masques Respro, qui filtrent bien mieux que de simples masques chirurgicaux.
Des affaires à faire avec l’air
Ces masques respiratoires ne sont plus l’apanage d’une minorité d’expatriés inquiets d’évoluer dans l’atmosphère polluée de la capitale : ils sont utilisés par toute la population, bien obligée de continuer à vivre et travailler au milieu du smog permanent. Sur le site de vente en ligne Taobao, le Bon Coin chinois, il s’en écoulerait jusqu’à 30 000 par semaine.
Refusant l’apparence médicale un peu glauque de ces masques, de plus en plus de jeunes Chinois leur adjoingnent la fonction d’accesoire de mode. En témoigne l’explosion des ventes de modèles recouverts de nounours ou de groins de cochons. D’autres modèles visent un public plus masculin, comme le « bandit », qui imite les écharpes portées par les manifestants pour échapper au gaz lacrymogène.
Mais le commerce le plus fleurissant est certainement celui des purificateurs d’air. Pour voitures ou pour appartements, ils sont vendus entre 150 et 1 500 euros. Philips, Sharp, Blueair… Les grandes compagnies mondiales se ruent sur un marché qui pèse chaque année au moins 30 % de plus que la précédente. Sam Li, directeur des ventes de Blueair China, l’affirme sans ambages : «
La pollution nous a permis d’augmenter nos ventes. Et comme elle n’est pas près de disparaître, on peut s’attendre à une demande durable. »
« Les fabricants de purificateurs d’air capitalisent sur le smog », titrait le
South China Morning Post récemment.
Airpocalypse
En janvier 2013, alors que le brouillard lié à la pollution est tel que les pékinois parlent d’ « airpocalypse », Chen Guangbiao est même allé jusqu’à commercialiser… des canettes d’air pur ! Importées de la province du Yunnan, connue pour la qualité de son air, ces objets ont été revendus dans les rues l’équivalent de 60 centimes d’euros. « Vierge Tibet » ou encore « Taïwan post-industriel » étaient autant de saveurs évocatrices dans une ville à l’air aussi peu respirable. Déjà milliardaire, l’homme assure ne pas avoir voulu faire fortune, mais militer avec l’ironie pour arme.
[Vidéo : des canettes d’air pur à Pékin]
C’est que derrière la bataille commerciale se joue une guerre de l’information : en Chine « communiste », tout le monde ne respire pas le même air. Si les autorités persistent à affirmer que l’atmosphère est propre à Pékin ou Shenzen, cela fait bien longtemps les dignitaires du régime et les grands dirigeants ont équipé leurs bureaux de purificateurs perfectionnés. Ils feraient même partie de leur nécessaire de voyage ! Ces
révélations, venues des fabricants eux-mêmes, ont suscité l’indignation générale il y a deux ans. De plus en plus de chinois investissent depuis dans leur propres instruments de mesures. Une lutte des classes atmosphérique que le business de l’anti-pollution, aussi cynique qu’il puisse paraître, aura eu le mérite de mettre à jour.