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“En Ukraine comme ailleurs, l’environnement est une arme de guerre”

“La situation est dramatique. C’est la fin de l’écologie d’une certaine façon”. Ben Cramer ne mâche pas ses mots quand on évoque la Guerre en Ukraine. Ce chercheur associé au GRIP (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité) à Bruxelles travaille sur l’empreinte des activités militaires et le dérèglement climatique. Et il n’est pas optimiste quant aux suites du conflit qui se tient actuellement à l’Est de l’Europe.

Ben Cramer. DR

Nucléaire, pollution, famines, généralisation des fake news, militarisation de l’Europe, impact de cette guerre sur l’environnement et sur les populations… Ben Cramer décrypte pour WE DEMAIN la situation actuelle en Ukraine et ses conséquences en Europe et dans le monde. Le spécialiste en géopolitique et environnement ne cache pas son pessimisme pour l’avenir. Et pas seulement pour l’Ukraine.

Entretien avec Ben Cramer sur la guerre en Ukraine et les risques pour l’environnement

WE DEMAIN : L’environnement est une victime collatérale de la guerre ?

Ben Cramer : Non, cela va beaucoup plus loin : l’environnement est une arme de guerre. On observe une destruction volontaire de tout ce qui peut être détruit, sans distinction. C’est la politique de la terre brûlée. Par exemple, on assiste à la militarisation de l’eau. L’eau est devenue une arme de guerre, l’armée russe s’assure de la rendre impropre à la consommation. De même, si on parle de santé, selon l’OMS, il y a 18 hôpitaux qui ont été bombardés, qui ont été pris pour cible par les Russes depuis le 24 février. C’est pour cela que je suis si pessimiste. On est clairement dans une confrontation où cela signe l’arrêt de mort de tout ce qui est vivant, que ce soit la nature ou l’humain. La situation est dramatique. C’est la fin de l’écologie, d’une certaine façon.

Alors comment aborder la question de l’écologie en temps de guerre, en Ukraine ou ailleurs ?

Une chose est très claire : on ne peut pas s’occuper de l’environnement si on ne s’occupe pas de la paix avant. Les écologistes doivent revoir leur copie. Par exemple, on ne peut plus faire de négociations autour du climat si on ne prend en compte la question de l’empreinte de la militarisation. Cette dernière va avoir un impact sidérant sur le climat. Comment, alors, espérer atteindre une quelconque neutralité carbone ?

Il y a aussi la question du nucléaire…

Comme l’eau, les centrales nucléaires sont devenues des cibles [la plus grande centrale d’Europe, Zaporojie, a été la cible de tirs de la part de chars russes, NDLR]. C’est la première fois dans l’Histoire qu’une armée s’attaque volontairement à une centrale nucléaire. Ce n’est pas anodin. Et cela soulève des questions : comment peut-on voir le nucléaire comme une alternative aux énergies fossiles comme le gaz et le pétrole quand il existe l’éolien ou le solaire ?

Si les installations éoliennes ou solaires sont prises pour cible, elles seront détruites et cela s’arrêtera là. Si le nucléaire est pris pour cible… les conséquences seront dévastatrices. C’est étonnant que le public et les ingénieurs n’aient pas soulevé cet argument avant. Le nucléaire est dangereux. Et encore plus dangereux en cas de guerre. C’est un argument que l’on a peu souvent évoqué car, dans notre réflexion, c’était hors limite. On se disait que personne ne pourrait sciemment s’attaquer à ces installations. Nous avions tort. Penser la guerre, c’est penser l’impensable.

Pourquoi s’en prendre au nucléaire alors que les conséquences peuvent être dramatiques pour tout le monde ?

C’est tout simplement la meilleure façon de terroriser la population. De faire en sorte qu’une partie de la population s’en aille. Cela passe par endommager des centrales, provoquer des pollutions chimiques, s’en prendre aux équipements industriels, etc. Nous n’avons pas encore un recul suffisant sur ce qui est en train de se passer. Dès qu’on pourra, il faudra inspecter les dégâts, voir les conséquences sur les sols et l’eau notamment.

Peut-on évaluer le niveau actuel de sécurité environnementale en Ukraine et dans le reste de l’Europe ?

Hélas, il n’existe pas d’échelle de sécurité environnementale. Personne n’a encore réussi à établir une gradation, comme on peut l’avoir pour un tremblement de terre avec l’échelle de Richter ou la mesure des rayonnements émis par une source radioactive avec le compteur Geiger. Il n’y a pas d’équivalent pour calculer l’effet de millions d’hectares partis en fumée par des incendies ou pour mesurer le niveau d’empoisonnement de l’eau. Or les Russes ciblent particulièrement les châteaux d’eau en Ukraine pour empêcher la population d’avoir accès à de l’eau potable.

Autre chose de certain : cette insécurité environnementale va avoir des répercussions bien au-delà du périmètre du conflit. L’Ukraine, comme la Russie, sont de gros exportateurs de céréales. On peut donc s’attendre à des prix qui flambent et des famines. Cela va ricocher un peu partout, à n’en pas douter…

La guerre nucléaire est-elle encore un tabou ?

Rien n’est moins sûr… Vladimir Poutine, en tant que stratège, a forcément pensé aux solutions extrêmes. Même si cela nous paraît inimaginable, il faut bien comprendre qu’aujourd’hui, cela fait clairement partie des options à sa disposition et qu’il a déjà réfléchi à y avoir recours. Ça ne veut pas dire pour autant qu’il y aura passage à l’acte pour autant.

Ce serait tout de même difficile à justifier…

On sent qu’il y a une vraie volonté de trouver toutes sortes de prétextes pour justifier ce conflit. Alors un peu plus, un peu moins… Vladimir Poutine a militarisé les fake news. La propagande a toujours fait partie de la guerre mais on est réellement entrée dans une guerre hybride où les armes et les fausses informations jouent un rôle aussi important l’une que l’autre.

Que pensez-vous de cette volonté de l’Europe de sortir de la dépendance énergétique au plus vite ?

C’est une bonne nouvelle dans ce chaos. Mais cela ne veut pas forcément dire, hélas, que cela passera exclusivement par des énergies propres. Après, il semble difficile de tout couper rapidement. Il va être compliqué de faire passer cette idée qu’il faut se serrer la ceinture, moins se chauffer, etc. Même si cela pourrait être une bonne nouvelle in fine, tendre vers la sobriété heureuse… Basculer dans une décroissance forcée pourrait avoir ses avantages mais cela semble peu probable. Mais une chose est sûre : le mythe de la paix via le commerce a pris un coup dans l’aile.

Ben Cramer est l’auteur de “Guerre et paix… et écologie, les risques de la militarisation durable” aux éditions Le Souffle d’Or, 176 pages, 2014, 13 euros.

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