Partager la publication "Euro 2016 : L’émotion collective, un socle pour bâtir la nécessaire réconciliation nationale"
Il est cependant des moments où l’émotion peut être bonne conseillère. Pas la colère, qui a comme l’affirme le dicton l’effet inverse. Je parle ici de la sensation “positive” qui nous envahit et nous réchauffe le cœur lorsque le monde nous paraît beau, débarrassé de la méchanceté, de la cupidité ou de la jalousie, et que l’on oublie les menaces qui pèsent sur lui. Lorsqu’il nous rapproche des autres êtres humains, que l’on considère alors enfin comme nos “semblables”. Lorsque par exemple l’équipe nationale de football se comporte dignement dans une compétition internationale.
L’émotion pour conduire à la raison
Elle peut alors permettre d’engager des débats apaisés sur les décisions à prendre, les réformes à mener pour que le pays sorte de la crise profonde dans laquelle il est plongé. En laissant au vestiaire les préjugés, les prismes idéologiques, les soupçons ou les antinomies envers les autres parties prenantes.
On rêve ainsi que les “partenaires sociaux” ne se comportent plus en adversaires, et qu’ils placent au-dessus de tout l’intérêt général plutôt que corporatiste, guidés en cela par les attentes exprimées par l’ensemble des citoyens plutôt que de leurs seuls mandants.
Remettre en cause les habitudes
Pour mette en cause les habitudes, dont certaines interdisent par principe tout changement. Pour modifier les attitudes, celles notamment qui empêchent de débattre, d’entendre et éventuellement prendre en compte les arguments de l’interlocuteur. Pour accroître aussi les aptitudes de chacun à intégrer le réel et à évoluer.
Pour prendre enfin de l’altitude face aux événements, plutôt que de garder le nez sur le guidon. Il ne s’agit pas en effet de privilégier le court terme en maintenant les “acquis” d’hier, qui sont souvent générateurs des inégalités d’aujourd’hui et qui le seront des conflits de demain.
Une volonté collective de gagner
Et il faudra leur appui pour décider et appliquer les changements, afin de redresser le pays. Mais notre histoire récente a montré à plusieurs reprises que l’émotion collective ne suffit pas pour créer l’union sacrée. On l’avait constaté après la victoire à la Coupe du monde de 1998, dont l’effet a été éphémère (voir Chronique du 14 juin sur “L’effet Euro”).
On l’a surtout vérifié, dans un tout autre contexte, bien plus émouvant encore, lors des attentats de 2015. Le rassemblement (presque) unanime de la population contre la terreur fut de courte durée, comme le sentiment d’appartenance à une collectivité nationale soudée et capable de réagir dans l’union, lorsque la patrie est en danger.
Le retournement de “Tous Charlie”
C’est ainsi que l’on vit en quelques jours le consensus national (“Tous Charlie”) exploser, et laisser place au “chacun pour soi” ou, pire encore, au “chacun pour moi”. Les responsables politiques, notamment ceux de l’opposition, ont largement contribué à ce retournement, ne voulant pas faire le jeu de la majorité et être complices de son retour en grâce. Il n’est pas certain que leurs électeurs leur en soient gré, si l’on examine l’image et la popularité de ceux qui ont pris ces initiatives.
Agir soi-même plutôt que par procuration
En faisant comprendre à ceux qui tenteront (immanquablement) de briser le rêve qu’ils seront sanctionnés (d’autant que le moyen de le faire n’est pas éloigné). En se disant qu’il ne reste pas beaucoup de temps, dans un pays en difficulté, une Europe désunie et un monde fragile. En se rappelant la joie de réussir ensemble, lorsque cela se produit. En démontrant ainsi qu’il faut “savoir émotion garder” (au sens de conserver, faire durer), lorsqu’elle permet de retrouver la raison.
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