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Fabrice Bonnifet : “Tout le monde ment à tout le monde”

Face aux limites planétaires, Fabrice Bonnifet, Président du C3D, appelle à une refonte radicale de notre modèle économique lors du premier Forum de l’Économie Légère. Il insiste sur l’urgence d’adopter une économie respectueuse du capital naturel pour préserver le bien-être collectif.

Le 03/10/2024 par Florence Santrot
Fabrice Bonnifet
Fabrice Bonnifet dénonce l'illusion de la "croissance verte". Crédit : Edouard Monfrais-Albertini.
Fabrice Bonnifet dénonce l'illusion de la "croissance verte". Crédit : Edouard Monfrais-Albertini.

Fabrice Bonnifet est Directeur Développement Durable & Qualité, Sécurité, Environnement Groupe Bouygues. Mais il est aussi Président du C3D, le Collège des Directeurs du Développement Durable. À ce titre, il est intervenu lors du premier Forum de l’Économie Légère, organisé par WE DEMAIN et Serge Orru à l’Hôtel de Ville de Paris ce jeudi 3 octobre 2024. Il a livré un discours percutant sur l’urgence de repenser notre modèle économique face aux limites planétaires.

En introduction, Fabrice Bonnifet a cité une phrase d’Alexandre Soljenitsyne : “Nous savons qu’ils mentent. Ils savent qu’ils mentent. Ils savent que nous savons qu’ils mentent. Nous savons qu’ils savent que nous savons qu’ils mentent. Et pourtant, ils persistent à mentir.” Cette citation, initialement utilisée pour dénoncer les dérives du communisme en URSS, est aujourd’hui, selon lui, applicable à notre société qui persiste dans le déni face à l’insoutenabilité de la croissance infinie sur une planète finie.

Une critique de la “soutenabilité faible” et de l’absence du capital naturel dans les bilans financiers

Fabrice Bonnifet a remis en question la notion de “soutenabilité faible”, qui suppose que les différents types de capitaux sont substituables et que l’utilisation du capital naturel n’est pas une limite à la croissance grâce aux innovations techniques. “Non, le capital naturel n’est pas remplaçable par les autres formes de capitaux, humains ou financiers”, a-t-il affirmé. Il a souligné que, bien que les techniques évoluent, elles ne peuvent compenser la perte des ressources naturelles indispensables.

Autre regret de Fabrice Bonnifet : le capital naturel n’apparaît pas dans les bilans des entreprises, qui ne considèrent que le capital financier. “Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de constater que les entreprises ne font si peu, au-delà du cadre légal, pour protéger à la fois les ressources naturelles et les écosystèmes qui ne leur coûtent strictement rien”, a-t-il déploré. Selon lui, cette omission participe à une surexploitation des ressources et à une dégradation continue des écosystèmes.

L’illusion du découplage technologique et d’une “transition” galvaudée

Le Président du C3D a mis en garde contre l’idée que la technologie permettra de découpler la croissance économique de la dégradation environnementale. Il a comparé cette croyance à “ceux qui promeuvent le glyphosate pour booster la croissance durable des plantes tout en taisant ses effets délétères”, qualifiant la “croissance verte” de chimère. Il a souligné que, malgré les avancées technologiques, les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter et que le pic planétaire des émissions de carbone n’a toujours pas été franchi.

Critiquant l’usage galvaudé du terme “transition”, il explique que “jusqu’à présent, nous n’avons strictement rien remplacé. Nous ne faisons que mélanger et empiler les sources énergétiques les unes sur les autres.” Pour lui, la véritable transition écologique ne pourra survenir sans adopter un nouveau modèle économique axé sur la frugalité et le respect des limites planétaires.

Vers une économie légère

Fabrice Bonnifet a plaidé pour l’adoption de l’Économie Légère, une approche qui reconnaît la finitude des ressources et la nécessité de maintenir le capital naturel à un niveau constant. “Le but est de faire émerger une approche selon laquelle la soutenabilité forte de la croissance implique le maintien à un niveau constant du capital naturel”, a-t-il expliqué. Il a insisté sur le fait que cette nouvelle économie ne ressemblera en rien à celle que nous connaissons aujourd’hui et qu’elle nécessite une refonte complète de nos modes de production et de consommation.

Conscient de l’urgence, il a lancé un appel aux décideurs : “Si nous voulons réussir la remontada de l’humanité, il va falloir jouer un tout autre match que durant les 90 premières minutes. Car si nous faisons ce que nous avons toujours fait, nous obtiendrons ce que nous avons toujours obtenu.” Il a exhorté à repenser collectivement notre manière de vivre ensemble, en planifiant la réduction de la consommation superflue dans un esprit de justice sociale.

Pour lui, il y a une nécessité d’“alléger l’empreinte écologique de l’économie, pour préserver le bien-être.” Il a appelé à la lucidité et à la responsabilité collective pour construire un avenir durable, soulignant que “la dignité, c’est un mot pour dire la vérité, sans prétendre disposer de toutes les solutions.”

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