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Face à la 6e extinction de masse, les enjeux de la COP15 Biodiversité

Après de multiples reports dus à la pandémie de Covid-19, la conférence internationale de l’ONU sur la biodiversité – plus précisément la 15e réunion de la Conférence des parties (COP15) à la Convention sur la diversité biologique (CDB) – se tient à partir de ce mercredi 7 décembre 2022 à Montréal. De la même manière que le cadre de la lutte contre les changements climatiques évolue lors des “COP climat” (comme lors de la récente COP27 de Charm el-Cheikh), celui de la protection des écosystèmes terrestres fait l’objet d’examens et de révisions lors des “COP biodiversité”.

La COP15 de Montréal a ceci de particulier qu’y sera présenté le nouveau cadre mondial pour la prochaine décennie. Il sera négocié par les gouvernements des 196 États membres de la CDB dans le but de prendre les mesures nécessaires pour préserver la biodiversité en danger.

Deux zèbres dans la savane du lac Naïvasha au Kenya (2012). Stéphanie Carrière/IRD, Fourni par l’auteur

La COP15 face à la sixième extinction de masse

Il y a urgence, d’abord parce que les précédents engagements pris par la CDB (pour la période 2011-2020 et connus sous la dénomination “objectifs d’Aichi”) n’ont pas été atteints, notamment parce que ces engagements n’avaient pas été assortis de mécanismes (des pénalités par exemple) permettant de veiller efficacement à leur respect.

Il y a urgence, aussi et surtout, parce qu’aujourd’hui, comme c’était déjà le cas il y a dix ans, nous savons que ce sont les activités auxquelles les sociétés humaines ne sont probablement pas prêtes à renoncer qui détruisent la biodiversité (c’est-à-dire la diversité génétique au sein des espèces, la diversité des espèces, les écosystèmes et leur bon fonctionnement).

Ces activités concernent la conversion des écosystèmes naturels en zones agricoles et urbaines, l’exploitation directe de la biodiversité par la pêche et l’exploitation forestière, l’usage des combustibles fossiles qui conduit aux changements climatiques, et les industries conduisant à une pollution mondiale de l’air, des eaux et des sols (métaux lourds, pesticides, engrais, perturbateurs endocriniens…), comme le soulignent les rapports de l’IPBES, la plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, aussi surnommée le “GIEC de la biodiversité”.

On estime ainsi que 75 % de la surface des écosystèmes continentaux et que 40 % des océans ont été fortement dégradés et qu’un million d’espèces sont menacées d’extinction à brève échéance.

Plantation d’eucalyptus brûlés le long de la route nationale 7 au sud d’Antsirabé, à Madagascar (2010). Stéphanie Carrière/IRD, Fourni par l’auteur

S’ajoute à ce constat alarmant qu’une partie des “limites planétaires” ont été dépassées, faisant craindre un basculement vers un futur très incertain et une biosphère désormais beaucoup moins accueillante pour les sociétés humaines et l’ensemble du vivant. Bref, la COP15 a fort à faire.

Des défis étroitement interconnectés

Les textes préfigurant le futur cadre de la protection de la biodiversité au niveau mondial de la COP15 fixent actuellement 21 cibles assorties d’indicateurs pour évaluer l’efficacité des mesures qui seront prises. L’un de ces objectifs vise par exemple à restaurer un certain pourcentage (qui reste à négocier) des écosystèmes continentaux et marins.

Ces cibles sont regroupées en quatre volets principaux : la conservation de la biodiversité, son utilisation durable, le partage équitable des bénéfices issus de la biodiversité, et les outils pour mettre en œuvre la stratégie. Ce dernier volet vise en particulier à réunir les moyens financiers nécessaires pour atteindre tous les objectifs.

En soi, ce découpage est pertinent. L’enjeu essentiel consistant bien à trouver des mesures efficaces pour conserver la biodiversité, tout en permettant aux humains d’y avoir accès pour bénéficier des “services écosystémiques” qu’elle rend.

L’humanité dépend étroitement de cette biodiversité pour se loger, se nourrir, se soigner ; mais ce n’est pas tout : en assurant le fonctionnement des écosystèmes et de la biosphère, elle contribue également à réguler le climat et la composition de l’atmosphère, et à fournir de l’eau potable.

Légumes-tubercules vendus sur le marché de Luganville au Vanuatu (2011). Stéphanie Carrière/IRD, Fourni par l’auteur

Rappelons que les écosystèmes naturels absorbent environ 50 % de nos émissions de CO₂, ce qui contribue à atténuer les effets du réchauffement climatique global en cours. Rappelons aussi que 75 % des plantes que nous consommons dépendent des pollinisateurs (des insectes essentiellement).

Les individus ont également tous besoin d’un contact étroit et régulier avec la nature pour s’assurer d’une bonne santé physique et mentale.

La question centrale des inégalités d’accès à la biodiversité

Le partage entre humains des bénéfices liés à la biodiversité représente un autre enjeu crucial, à toutes les échelles.

L’asymétrie des échanges commerciaux et la mondialisation permettent encore aujourd’hui aux pays les plus riches d’exploiter la biodiversité et les écosystèmes des pays les plus pauvres. Une partie de la déforestation est ainsi due à la capacité des pays développés à acheter des bois tropicaux et les produits issus des systèmes agricoles remplaçant les forêts, comme le soja ou l’huile de palme.

Au sein même des pays, il existe également des inégalités d’accès à ces bénéfices et vis-à-vis des efforts demandés pour préserver l’environnement, souvent liées aux contextes sociaux économiques. Une difficulté supplémentaire est liée au fait que les efforts de conservation de la biodiversité sont disparates entre les pays, au moins pour des raisons de niveau de développement.

COP15 : les conditions pour des mesures de protection efficaces

Les antagonismes entre la préservation et l’utilisation de la biodiversité sont aujourd’hui évidents. De même que la compétition vis-à-vis des ressources et des services générés par la biodiversité. Prenons l’exemple des aires protégées marines et terrestres : si augmenter leur surface – comme le propose le futur cadre mondial pour la biodiversité de cette COP15– est bénéfique, cela impose aussi une limitation de son usage dans ces espaces.

Inversement, permettre l’agriculture à un endroit donné, y compris une agriculture durable agroécologique, transformera nécessairement les écosystèmes naturels et leur biodiversité. De même, partager dès aujourd’hui, de manière équitable, les bénéfices de la biodiversité et les efforts pour la conserver “produira” des perdants et des gagnants (parmi les groupes sociaux, les pays, les régions…).

Enfin, il est sans doute difficile de protéger toute la diversité (espèces emblématiques et ordinaires, tous les écosystèmes et tous les aspects de leur fonctionnement, grands espaces encore sauvages ou microbiotes intestinaux…).

À l’heure actuelle, le cadre qui doit être adopté à Montréal lors de la COP15 ne fait pas état de ces incompatibilités ; et il n’indique pas non plus comment résoudre ces conflits.

Flore aquatique du lac Naïvasha, au Kenya (2012). Stéphanie Carrière/IRD, Fourni par l’auteur
Allée des baobabs à proximité de la ville de Morondava, à Madagascar (2008). Stéphanie Carrière/IRD, Fourni par l’auteur

De nombreux freins à débloquer

Si les orientations décidées lors de cette COP15 vont dans le bon sens, on est encore en droit de douter que cela soit suffisant : les mesures visent surtout les pressions directes sur la biodiversité, mais ne ciblent pas les causes systémiques et politiques sous-jacentes.

Par exemple, augmenter les surfaces d’aires protégées pourrait être vain, si l’on ne transforme pas le système économique (l’hyperconsommation des pays les plus riches, par exemple) à l’origine des pressions sur la biodiversité.

Ainsi, les doctrines économiques néo-libérales, les accords de libre-échange commerciaux, et la compétition économique entre pays limitent l’efficacité et la portée des mesures environnementales.

Une partie du texte du futur cadre mondial pour la biodiversité vise directement l’agriculture (l’une des activités les plus dommageables à la biodiversité), mais l’ensemble du texte reste flou quant aux voies pour atteindre une agriculture durable, alors que cela impliquerait une transformation radicale des systèmes alimentaires (impliquant notamment de consommer moins de viande) et une reconfiguration des échanges mondiaux de denrées.

De même, si le partage des bénéfices de la biodiversité, comme le prévoit le Protocole de Nagoya, porte essentiellement sur l’accès aux ressources génétiques – point important pour empêcher la biopiraterie –, les autres enjeux d’inégalités d’accès à la biodiversité que nous avons évoqués sont, eux, très peu abordés. Pas plus que ne le sont les inégalités liées aux spécificités historiques, économiques des pays, et de leurs besoins actuels vis-à-vis de la biodiversité.

Or vouloir conserver la biodiversité à l’échelle mondiale implique de réduire les écarts entre les modèles politiques et économiques des pays et leur niveau de développement. Reste donc à voir si le futur cadre mondial débattu à la COP15 à Montréal peut contribuer à rectifier le tir.

À propos des auteurs :
Sébastien Barot.
Chercheur en écologie, IEES-Paris, vice-président du conseil scientifique de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), Institut de recherche pour le développement (IRD).
Stéphanie Carrière : Directrice de recherche en écologie et ethnoécologie, Institut de recherche pour le développement (IRD).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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