Partager la publication "Guerre en Ukraine : comprendre les effets biologiques d’une bombe atomique et d’un accident nucléaire"
Depuis quelques jours, de nombreuses personnes sollicitent les pharmacies pour obtenir des comprimés d’iode. Pourquoi ? Afin de se prémunir d’un risque nucléaire. Ces réactions de masse révèlent une légitime inquiétude face à l’actualité géopolitique en Ukraine. Mais surtout une méconnaissance des phénomènes nucléaires et de leur impact sur la santé.
Les effets biologiques et cliniques d’une irradiation sont complexes : ils dépendent très fortement de la dose et de la nature des radiations. Cet article est l’occasion de faire des rappels importants sur la radioactivité et sur les différentes formes d’irradiation accidentelles possibles. Ainsi que leurs conséquences variables sur l’être humain. La radioactivité est un phénomène qui alarme souvent car on l’assimile à des catastrophes. Elle est pourtant partout présente à l’état naturel, mais à des quantités faibles.
L’uranium 235 et 238 contenus dans la terre, le carbone 14 dans les végétaux et les animaux ou encore le potassium 40 dans notre alimentation sont autant d’éléments radioactifs naturels. Ils sont présents dans notre environnement quotidien : c’est ce qui explique que nous soyons, nous-mêmes, radioactifs.
L’unité de mesure de la radioactivité, le Becquerel (Bq), correspond à l’émission par seconde d’une particule physique (proton, neutron, électron…) ou d’un rayonnement (X, gamma), quelle que soit sa nature. Un homme de 75 kg émet ainsi 6000 Becquerels (Bq), tout comme un 1 kg de trottoir en granit. Un kg de bananes n’émet, lui, qu’une centaine de Bq. Pour un kg de nourriture, il est admis que sous les 1000 Bq, la radioactivité est considérée comme sans danger.
Pour comprendre l’origine de la radioactivité, il faut plonger brièvement au cœur de la matière et des atomes qui la constitue. On représente souvent ces derniers par leur noyau autour duquel tournent de petites particules : les électrons. Le noyau des atomes est lui-même constitué d’autres particules, les protons et les neutrons. Celles-ci, lorsqu’elles sont trop nombreuses, rendent instables l’équilibre atomique.
La radioactivité reflète la tendance des atomes “trop lourds” à retrouver spontanément une plus grande stabilité en perdant une partie des composants de leur noyau. C’est-à-dire en se cassant en deux parties souvent inégales (fission nucléaire). Ou en émettant un rayonnement alpha (noyaux d’hélium), bêta (électrons) ou gamma (photons).
Ces émissions ou désintégrations radioactives s’atténuent avec le temps à un rythme régulier et immuable. On appelle “période de désintégration radioactive” (ou demi-vie) le temps au bout duquel la quantité des désintégrations (la radioactivité) est réduite de moitié. Chaque noyau radioactif a une période qui lui est propre.
Lors d’une fission, les conséquences ne sont pas les mêmes. L’uranium 235 a la propriété de pouvoir se partager en deux atomes moins lourds sous l’action de neutrons. C’est ce qui dégage alors une énergie considérable… qui libère à son tour d’autres neutrons susceptibles de créer la fission d’autres noyaux : c’est une réaction en chaîne. Une telle réaction en chaîne peut être utilisée pour produire une explosion dévastatrice dans le cas d’une bombe atomique. Ou être maîtrisée dans un réacteur pour produire de l’électricité.
Un réacteur contient une centaine de tonnes de combustible nucléaire, enrichi à quelques % en uranium 235. Ce combustible reste au sein d’un réacteur deux à trois ans.
Outre l’énergie libérée lors de la réaction initiale de fission de l’uranium, les émissions radioactives produisent beaucoup de chaleur. Aussi, un réacteur doit-il être refroidi durablement de façon continue, même après son arrêt. Ce qui, paradoxalement, nécessite un apport indépendant en électricité. D’où l’attention portée à ce qui se passe sur le site de Tchernobyl, qui connaissait, mercredi 9 mars au soir, une coupure de courant.
Trois barrières servent à confiner le combustible nucléaire :
Il peut se produire des atteintes graves de ces barrières. À Tchernobyl, ce fut l’explosion physique liée à des erreurs de gestion du réacteur, avec ouverture de la cuve. À Fukushima, ce fut une fusion du cœur après le défaut de refroidissement du réacteur à l’arrêt suite au tremblement de terre et à l’inondation par le tsunami. Les produits de fission sont alors libérés dans l’environnement et impactent donc la santé.
La guerre en Ukraine serait susceptible de porter atteinte à un réacteur ou aux zones de stockages de matériaux radioactifs voire au dispositif d’apport d’électricité pour le refroidissement. Toutefois, en défaveur de ce type de scénario, la contamination toucherait aussi les soldats et la Russie toute proche. N’oublions pas non plus l’effet de mémoire collective des centaines de milliers de soldats, pompiers et liquidateurs qui ont éteint avec courage l’incendie du réacteur accidenté de Tchernobyl.
Le risque et les effets biologiques et cliniques dépendent de plusieurs facteurs. D’une part, la dispersion des produits de fission relâchés dans l’atmosphère au gré des vents et qui retombent par les pluies. D’autre part, la contamination des personnes, essentiellement par voie alimentaire. Enfin, la nature des émissions, des périodes de désintégration de chacun des produits de fission et de la chimie de leur assimilation dans l’organisme après contamination.
Sans qu’il y ait forcément explosion comme pour une bombe atomique, un accident de centrale nucléaire entraîne plusieurs types d’effets selon les particules et rayonnements émis et ses principaux produits de fission présents (iode 131, césium 134 et 127 et strontium 90) – tous radioactifs.
L’émission de ces rayons et neutrons représente une contribution importante à la dose de radiations induite par la réaction de fission qui serait reçue par des personnes à proximité – comme les premiers intervenants sur le réacteur de Tchernobyl en 1986. Ces personnes peuvent présenter un syndrome aigu d’irradiation (parfois surnommé “mal des rayons”) qui est plus ou moins rapide selon la dose reçue. Il suit généralement le processus suivant :
À côté de la dose de radiation reçue, comme nous l’avons indiqué, la nature des produits de fission radioactifs expulsés lors de l’accident joue également un rôle. Voici les principaux :
Comme l’iode naturel, l’iode 131 (émetteur bêta et gamma) a la particularité de se fixer exclusivement sur la thyroïde, qui l’utilise pour produire des hormones spécifiques. La contamination par l’iode 131 est essentiellement due à l’ingestion des produits qui le fixe (eau, lait et végétaux).
Cet élément pose un problème de santé tant que sa radioactivité n’est pas devenue négligeable. Du fait de sa période (demi-vie) de huit jours, on considère que cela prend trois mois – son activité résiduelle n’est plus que de 1/1000e au bout de 80 jours. La fixation de l’iode 131 sur la thyroïde peut entraîner des cancers de cet organe. Cependant, la thyroïde ayant un développement très lent chez l’adulte, ce risque n’est véritablement significatif que chez les enfants.
À Tchernobyl, on a enregistré environ 6500 cas de cancers de la thyroïde chez des enfants contaminés essentiellement par le lait. Environ 15 ont succombé à leur cancer de la thyroïde. À Fukushima, la quantité d’iode libéré a été beaucoup plus faible. De plus, la consommation de lait, culturellement moins importante, a été rapidement interdite après l’accident. Moins de 300 cas de cancers de thyroïde de l’enfant ont été répertoriés à Fukushima et on ne sait toujours pas si cela constitue un excès par rapport à la normale du pays.
La thyroïde de l’adulte est peu susceptible de se radio-cancériser et, à part quelques rares exceptions, le cancer de la thyroïde de l’adulte reste aujourd’hui peu létal.
En conséquence, la protection de la thyroïde par la saturation en iode stable avec un comprimé d’iodure de potassium n’a d’intérêt que pour les enfants et les adultes jeunes au moment du passage du nuage radioactif (prise entre 1 à 2 h avant l’émission radioactive et jusqu’à quelques d’heures après). En revanche, saturer la thyroïde d’iode quand on est un adulte de plus de 40 ans peut avoir des conséquences néfastes. Et notamment déclencher une dérégulation de cet organe. Donc la vigilance vis-à-vis de l’ingestion d’iode 131 doit être limitée aux enfants et aux adultes jeunes. Et dans un laps de temps bien défini.
Les césium 137 et 134 sont des émetteurs bêta et gamma de période respective d’environ 30 et 29 ans. Comme le césium se substitue facilement au potassium, présent au sein de toutes nos cellules, il ne cible aucun organe spécifiquement. Il peut aussi se fixer dans les végétaux (champignons, baies…) et ainsi contaminer toute la chaîne alimentaire. Pour l’homme, la longue période du césium radioactif et sa rétention biologique conduisent à une exposition prolongée des organismes à des doses faibles.
Avec un recul de plus de 30 ans après l’accident de Tchernobyl, aucune pathologie spécifique à une contamination au césium radioactif n’a émergé. Cette conclusion peut s’expliquer par la difficulté à mener des études épidémiologiques rigoureuses (manquement dans l’enregistrement systématique des effets cliniques après l’accident, difficultés de rattachement au césium). Mais aussi par la grande dispersion du césium dans l’atmosphère, ce qui en a ainsi réduit l’impact à distance du site.
Chimiquement, cet élément émetteur bêta peut se substituer facilement au calcium. Du fait d’une présence prolongée et de sa période de 29 ans, il pourrait entraîner des cancers de l’os (ostéosarcomes). Mais aussi des leucémies si la moelle osseuse est atteinte. Il est à noter que le nombre de cancers de l’os potentiellement liés au strontium n’a pas été significatif après l’accident de Tchernobyl.
Produit moins abondant que le césium pendant la fission et moins volatil que l’iode, le strontium 90 ne représente un danger significatif que pour les régions les plus contaminées.
Quand la fission n’est pas complète ou quand un combustible neuf est endommagé, le problème des contaminations à l’uranium peut se poser. L’uranium naturel comprend trois composants, tous radioactifs : les uranium 238, 235 et 234. Leurs périodes de désintégration sont respectivement de 4500, 700 et 0,25 millions d’années.
L’uranium est à la fois toxique chimiquement et radiologiquement. Très lourd et peu assimilable biologiquement, il peut se fixer dans les reins, les os, le foie et le poumon à long terme. Et ainsi contribuer à la mortalité cellulaire et aux dysfonctionnements graves des organes. En tant qu’atomes instables, ils sont émetteurs de rayons alpha qui déposent d’importantes quantités d’énergie là où ils se sont fixés. Cela entraîne une mortalité cellulaire importante.
En conclusion, les conséquences sur la santé d’un accident de centrale nucléaire basée sur la fission ne sont jamais négligeables.
Elles dépendent fortement de l’abondance de produits de fission émis et donc de l’endroit où l’on se trouve pendant l’accident. À Tchernobyl, une grande partie du cœur s’est volatilisée dans l’atmosphère sur près de 20000 km2 du fait de 10 jours d’incendie en plus de l’explosion du réacteur. À Fukushima, c’est une série de fuites, sans que le cœur soit à l’air libre, qui a contaminé une surface 10 à 30 fois plus réduite.
Il existe trois différences fondamentales entre les explosions de bombes atomiques et les accidents de centrales nucléaires :
1) Le souffle (effet blast) est dévastateur dans un vaste périmètre dans le cas de l’explosion d’une bombe atomique et est la cause de la plupart des morts. Un réacteur nucléaire ne peut pas exploser comme une bombe atomique. Mais il peut exploser localement comme à Tchernobyl du fait d’un excès de puissance non maîtrisée.
2) Dans le cas d’une bombe, l’émission de rayonnements gamma et de neutrons est instantanée (effet flash). Cela produit des effets à plus grande distance que les effets de souffle. En cas d’accident de centrale, les émissions de produits de fission peuvent continuer tant que le cœur du réacteur n’est pas reconfiné (ex : Tchernobyl) ou que la fusion du cœur n’est pas maîtrisée (Fukushima). Dans les deux cas, surfaces au sol et air sont contaminés.
3) Le cœur d’un réacteur moyen de centrale nucléaire à fission contient une centaine de tonnes de combustible alors que la masse de produits fissiles d’une bombe atomique est de l’ordre de la dizaine de Kg. Ainsi, bien que non négligeables, les émissions radioactives et la contamination de l’environnement pour une bombe atomique sont bien inférieures. Elles durent aussi moins longtemps que celles d’un accident grave de centrale.
C’est la raison essentielle de la sécurisation du combustible des réacteurs nucléaires par les trois barrières indispensable pour minimiser l’impact d’un potentiel accident. Et c’est aussi pourquoi les comprimés d’iode stable présentent un intérêt dans le cadre d’un accident de centrale nucléaire, à proximité du réacteur accidenté, et peu d’intérêt en cas d’explosion d’une bombe atomique.
Nicolas Foray est Directeur de Recherche à l’Inserm, Unité U1296 “Radiations : Défense, Santé, Environnement”, Inserm.
Michel Bourguignon est Professeur émérite de Biophysique et Médecine Nucléaire, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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