Partager la publication "Hôpitaux sous la pression des cyberattaques : ce que veulent les hackers"
Le 20 août 2022, le Centre Hospitalier Sud Francilien (CHSF) de Corbeil-Essonnes a été victime d’une cyberattaque. Pour le vice-amiral Arnaud Coustillère, chargé de la cyberdéfense française, la cyberattaque se définit comme “une action volontaire, offensive ou malveillante, menée au travers du cyberespace et destinée à provoquer un dommage aux informations et aux systèmes qui les traitent, pouvant ainsi nuire aux activités dont ils sont le support”.
De son côté, l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI) définit la cyberattaque comme “une tentative d’atteinte à des systèmes d’information réalisée dans un but malveillant. Elle peut avoir pour objectif de voler des données (secrets militaires, diplomatiques ou industriels, données personnelles bancaires, etc.), de détruire, endommager ou altérer le fonctionnement normal de systèmes d’information (dont les systèmes industriels)”.
Dans le cas du CHSF de Corbeil, il s’agissait de voler et chiffrer (c’est-à-dire coder) une partie des données traitées par le Centre hospitalier, ce qui a eu pour effet de bloquer le système informatique. Les cybercriminels ont ensuite exigé le paiement d’une rançon pour débloquer le système et ses ressources nécessaires au bon fonctionnement des services et à la prise en charge des patients.
S’en est suivie une certaine désorganisation, malgré le souci du CHU et du personnel d’assurer la pérennité des soins. Le CHSF a déposé une plainte dès le 21 août 2022 et l’enquête a été confiée au Centre de lutte contre les criminalités numériques, le service compétent de la gendarmerie nationale. Une notification de violation de données à caractère personnel a été effectuée auprès de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) le 22 août 2022, conformément à l’article 33 du Règlement général sur la protection des données.
Le 12 septembre 2022, les rançonneurs ont lancé un ultimatum de diffusion en masse des données volées en exfiltrant certaines données. Le CHSF a refusé de céder au chantage. Le 23 septembre, les cybercriminels ont divulgué pour l’exemple certaines données. Ces dernières portent sur des éléments afférents à des informations d’identité, tels nom, prénom, date et lieu de naissance, genre, numéro de sécurité sociale, les données de contact, tels les adresses postales et électroniques, les coordonnées téléphoniques, les informations résultant du passage des patients dans le CHU, comptes rendus médicaux, résultats d’examens, hospitalisation, ordonnances, etc.
Le premier danger résulte dans l’éventuelle divulgation de données de santé. Ces dernières sont des données à caractère personnel, et des données dites sensibles selon le Règlement général sur la protection des données (RGPD) européen.
Les données personnelles permettent d’identifier ou de rendre identifiables, directement ou indirectement, des personnes physiques. Les données sensibles sont les données relatives à l’origine ethnique, aux opinions politiques, syndicales, religieuses, philosophiques, les données de santé, afférentes à la vie sexuelle, et depuis le RGPD, les données des fichiers biométriques et génétiques.
Les données sensibles ne sont pas censées être stockées, et quand le stockage est autorisé pour des raisons tenant à l’intérêt général, elles ne doivent en aucun cas être cédées, à titre gracieux ou onéreux (par exemple, un parti politique possède un fichier de ses adhérents, mais la vente de ce fichier est un délit).
En ce qui concerne la santé, les données sont stockées, car elles sont nécessaires aux soins, et, en période d’épidémie, à l’intérêt public ; il existe aussi une finalité gestionnaire. La non-divulgation des données de santé est fondée sur le secret professionnel des soignants et l’obligation de discrétion à laquelle sont tenus les gestionnaires de santé.
La santé s’attache à l’intimité de la personne. Cette intimité est tout particulièrement protégée dans les centres hospitaliers, maillons du système social français qui ne considère pas la santé comme un bien commercial, contrairement à ce qui s’impose aux États-Unis.
Dans ce contexte, la divulgation des données de santé est protégée contre les intrusions, qu’il s’agisse de cyberattaques ou de photographies “dérobées” sans l’accord d’un malade.
Les journaux “people” ont gardé en mémoire la jurisprudence d’octobre 1978 : Jacques Brel, atteint d’un cancer en phase terminale, avait été photographié au téléobjectif sans son consentement et les clichés avaient fait l’objet d’une publication, révélant indiscrètement les ravages causés par la maladie à ce célèbre auteur-compositeur-interprète. La saisine en référé d’un tribunal avait abouti au retrait de la vente des exemplaires incriminés de Paris Match.
Le CHSF est donc particulièrement sensible à cette cyberattaque et il a informé individuellement les patients dont les données ont été prises en otage, avec communication de liens, et exemplaire d’une lettre de plainte.
Une autre risque encouru par les patients dont les données sont diffusées pourrait être le hameçonnage. Le hameçonnage correspond à une usurpation d’identité. Grâce aux données personnelles indûment obtenues, un SMS ou un courriel sont envoyés à une personne physique, sous couvert d’une identité médicale ou de la Sécurité sociale, pour obtenir de nouvelles informations ou un paiement non justifié.
Le CHSF de Corbeil a invité ses patients à faire preuve de vigilance après cette fuite de données. Il s’agit de vérifier que l’expéditeur du message est bien légitime et en rapport avec le sujet abordé, de ne jamais fournir d’informations confidentielles, telles des données bancaires (exemple : numéro de la carte bancaire), un ou des mots de passe, de ne pas ouvrir des pièces jointes qui pourraient être piégées. Il convient aussi de suivre de près les comptes associés à un numéro de Sécurité sociale, et de changer ses mots de passe au moindre doute.
Si malgré ces recommandations, des personnes sont victimes d’escroqueries, elles sont invitées à porter plainte. La plainte sera en phase avec l’enquête préliminaire diligentée sur les instructions du Parquet de Paris, en cours au Centre de lutte contre les criminalités numériques, pour infractions d’accès et maintien dans un système de traitement automatisé de données (STAD), introduction frauduleuse de données dans un STAD, modification frauduleuse de données contenues dans un STAD, entrave au fonctionnement d’un STAD, extorsion en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de commettre un crime ou un délit punis de cinq ans au moins d’emprisonnement.
Les plaignants qui se constituent partie civile pourront aussi saisir la commission d’indemnisation des victimes d’infraction, conformément aux articles 706-3 ou 706-14 du code de procédure pénale. Ils pourront ensuite espérer obtenir réparation du préjudice subi par voie d’indemnisation, notamment en cas d’escroquerie. Rappelons que pour l’heure, les polices d’assurance civile font rarement apparaître une clause “hameçonnage”.
À propos de l’autrice : Claudine Guerrier. Professeur à l’Institut Mines-Télécom Business School, Institut Mines-Télécom Business School.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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