Partager la publication "La “vague verte” des municipales peut-elle déferler sur les futures élections ?"
Le politologue Daniel Boy, professeur à Sciences Po Paris, le confirme : malgré un taux d’abstention record – 58,4 %, selon le ministère de l’intérieur, soit près de 20 points de plus qu’au second tour des élections municipales de 2014 – cette poussée des écologistes est un phénomène inédit… et aura des répercussions au delà des municipales.
Daniel Boy : C’est un mouvement général, qui commence à partir des européennes de 2019, avec une montée des valeurs environnementales sous l’effet de plusieurs phénomènes, notamment les alertes scientifiques, les mobilisations citoyennes… Tout cela va aboutir, après un mécanisme un peu compliqué, au basculement de plusieurs grandes villes. Mais ce processus n’a pas commencé hier, même s’il a été plutôt rapide.
L’écologie politique parvenait à avoir de bons résultats aux européennes parce qu’il s’agit d’un scrutin proportionnel et qu’il est assez facile de s’y présenter. Il y a, en plus, des enjeux écologiques importants au niveau de l’Europe : l’Union Européenne réglemente beaucoup l’environnement. Les écologistes ont donc toujours eu de bons résultats aux élections européennes. Aux élections locales, ils étaient plus souvent autour des 10 %. Aujourd’hui, il sont nettement au-dessus : là où ils récoltaient environ 10 % des suffrages, ils obtiennent aujourd’hui 16 %.
En 2019, EELV a récolté 13,5 % des suffrages aux européennes : c’est un gros score, mais ce qui est important c’est surtout qu’au même moment, le Parti Socialiste s’est trouvé très très affaibli, de l’ordre de 6 %, ce qui change les rapports de force à l’intérieur de la gauche ! C’est à dire que durant les 30 dernières années, les rapports de force internes à la gauche – j’y range les écologistes – était toujours en faveur des socialistes.
À partir des européennes de 2019, ce rapport s’inverse et permet aux écologistes de présenter aux municipales, dans des grandes villes, des listes d’union de la gauche dirigées par des écolos et non plus par le Parti Socialiste. Ça, c’est tout à fait nouveau. C’est une conséquence des européennes et cela s’est produit dans une trentaine de villes de plus de 30 000 habitants.
Pour ce qui est des régionales l’année prochaine, il y a de bonnes chances qu’ils obtiennent de bons résultats. En France, 5 régions sont tenues par le PS : on peut imaginer des accords avec les Verts pour, par exemple, donner la tête de liste à des écologistes. L’année d’après, c’est la présidentielle : scrutin majoritaire à deux tours et seulement deux candidats au deuxième tour. Pour être au deuxième tour, il faut donc avoir un score vraiment élevé au premier ! Sachant que le Rassemblement National est certainement au-dessus des 25 %, que pour l’instant Macron – s’il se représente et bien qu’il ait une faible popularité – est quand même au-dessus des 25 % … La première condition pour qu’une condition gauche et écolo atteigne le second tour, c’est qu’il y ait un candidat unique à gauche !
Deux conditions devront être réunies : il faut que la gauche PS et les Verts s’entendent sur une candidature commune. Ce n’est pas fait. Pourtant, le secrétaire du PS actuel Olivier Faure a dit – assez vite, mais il l’a dit – qu’il était prêt à s’incliner devant une candidature écolo à la présidentielle. Ce n’est quand même pas réglé. La seconde condition, c’est qu’il n’y ait pas d’autre candidat de gauche ! Et évidemment il y a la France Insoumise. Or il est extrêmement improbable qu’elle ne présente pas de candidat à la présidentielle.
Pour l’essentiel, les partis écologistes européens sont très proches : ils mobilisent les même catégories sociales, ils ont les mêmes valeurs socio-politiques et culturelles… Il y a malgré tout une différence entre les Verts de France, d’Allemagne et d’Autriche. En France, EELV est très fortement ancré à gauche – je parle des adhérents, pas des électeurs – et refuse toute alliance avec le centre et la droite : mis à part à Annecy, il n’y a pas eu d’accord entre LREM et les écolos. Pour les Verts, ces alliances sont considérées comme une faute politique éventuellement sanctionnée.
Ça n’est pas le cas en Allemagne ou en Autriche, où l’état d’esprit est plus pragmatique et consiste à dire qu’au niveau des Länder, il peut très bien y avoir des accords avec les libéraux, avec la démocratie chrétienne… Ils admettent l’idée de faire un contrat de gouvernement local, même avec un parti qui est autre chose que social-démocrate.
Prenons le cas de l’Allemagne, toujours très comparable à la France. On y remarque un succès des Verts encore bien supérieur à celui de la France et aussi un très très fort affaiblissement de la social-démocratie. Maintenant, la question est : pourquoi la social-démocratie est-elle en difficulté ? Je crois qu’elle s’est heurtée à deux problèmes.
D’abord le problème du libéralisme économique, sur lequel elle n’a pas su trancher. Faut-il camper sur les positions de la gauche traditionnelle ou est-ce qu’il faut – comme a essayé de le faire Hollande en France – faire certaines concessions au libéralisme pour aller plus loin ? La voie n’a pas été trouvée à mon sens.
Le deuxième obstacle, c’est justement que la social démocratie ne traitait pas réellement le problème de l’environnement et de l’écologie ! Il le sous-traitait aux écolos. Et ça, c’est une erreur stratégique extrêmement importante. Ne pas avoir pris suffisamment au sérieux l’enjeu environnemental.
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