La suppression des vols intérieurs, une mesure “timorée” de la part du gouvernement

En 2050, les routes du ciel devraient être arpentées par 16 milliards de passagers et 50 000 appareils commerciaux. L’aviation et le tourisme de masse sont des secteurs en pleine croissance, ou du moins l’étaient-ils avant la pandémie. Si le coronavirus a largement ralenti la machine, Sébastien Porte s’interroge sur la durée de ce sursis dans son livre Le dernier avion : comment le trafic aérien détruit-il notre environnement”, aux éditions Tana.

Si l’aviation reprend son rythme de croisière, l’environnement a du souci à se faire : il s’agit du moyen de transport le plus polluant. Loin de dégager uniquement des gaz à effet de serre, un avion émet également de l’oxyde d’azote, des particules fines, et ses composants sont, en fin de vie, à enfouir ou à brûler. Et c’est sans compter le gaspillage alimentaire à bord, l’imperméabilisation de terres arables pour la construction d’aéroports, et le tourisme de masse lui-même. Pour éviter le crash écologique, Sébastien Porte estime la décroissance aéronautique essentielle.
  

  • We Demain : La croissance de l’aviation, en quelques chiffres, ça donne quoi ?

Sébastien Porte : On est passé dans les années 2000, au début de la période du low cost, de 2 milliards de passagers par an à l’échelle mondiale à 4 milliards en 2018. Et d’après les projections, on devrait se situer en 2050 à 16 milliards de passagers.

En ce qui concerne la France, on prétend souvent avoir réussi à contenir les rejets de gaz à effet de serre : c’est vrai par passager, c’est à dire qu’un passager dégage beaucoup moins de CO2 à lui seul qu’il ne le faisait il y a une dizaine d’années. Mais en valeur absolue, on reste sur des chiffres importants : en 1986 on comptait 45 millions de voyageurs français par an, contre 180 millions aujourd’hui.
 

  • Peut-on faire un portrait robot du voyageur en avion ?

 
La majorité des gens qui prennent l’avion le font pour des raisons de loisir ou pour rendre visite à des amis ou de la famille. En revanche, ceux qui voyagent sur le réseau intérieur français sont principalement des hommes d’affaires.

À l’échelle mondiale, on remarque que les intentions de voyage en avion sont aujourd’hui à peu près égales, peu importe la nationalité des sondés. L’aviation sera de plus en plus investie par les nouvelles classes moyennes de pays extrêmement peuplés, comme l’Inde, la Chine ou les pays d’Amérique Latine. Mais tout cela doit être reconsidéré à l’aune de la crise sanitaire.
 

  • Justement, la pandémie de Covid-19 pourrait avoir un impact de long-terme sur cette industrie ?

Peut-être faut-il s’attendre à ce qu’il y ait moins de voyageurs que prévu. À cause de l’offre – le secteur aéronautique va se restructurer pour des raisons économiques – mais aussi de la demande, parce que la situation va faire qu’il y aura sans doute moins d’argent pour acheter des billets d’avion.

Peut-être verra-t-on aussi de nouvelles pratiques dans les entreprises : on commence à prendre l’habitude de la vidéo-conférence et du télétravail. Et il y a aussi la prise de conscience écologique dans les pays développés, chez les jeunes générations, avec le phénomène du flygskam… Tout cela va faire que les évolutions du trafic aérien et d’émission de gaz à effet de serre sont sans doute à revoir à la baisse dans l’immédiat, avec peut-être un risque de rattrapage dans un deuxième temps.
 

 

  • Les constructeurs et les compagnies aériennes ont commencé à prendre des mesures en faveur de l’environnement : pourquoi les listez-vous comme insuffisantes ?

 
Chacune de ces pistes – agro-carburant, moteur-électrique, énergie hydrogène – est intéressante. Et il faut évidemment y travailler. Mais rapportées à l’augmentation du trafic aérien porté par la dynamique démographique et socio-économique, elles restent marginales et seront insuffisantes. Les militants estiment même qu’il ne faut pas s’engager sur ces mesures, parce que cela pourrait être une espèce d’opportunité donnée aux industriels de se développer sans se poser de questions. Personnellement je ne partage pas cet avis. Je pense qu’il faut utiliser ces innovations, mais qu’il faut également agir sur d’autres leviers.
 

  • Quelles seraient dans ce cas les mesures efficaces ?

 
Cela peut passer par des mesures politiques – décider de réduire les flux aériens ou la dimension des infrastructures, supprimer les liaisons aériennes intérieures lorsqu’elles peuvent être remplacées par des voyages en train… Ou par des choix personnels, des mesures individuelles.

 

  • Justement, le gouvernement a récemment annoncé la prochaine disparition des lignes intérieures quand une alternative ferroviaire permet d’effectuer le même trajet en moins de deux heures et demi. Qu’en pensez-vous ?

 
Je dirais que, dans un premier temps, cela m’a agréablement surpris. Ensuite, quand on regarde les choses dans le détail… Il s’agit là aussi de modifications très minimes. Delphine Batho, du groupe de Mathieu Oprhelin avait il y a un an déposé sa propre proposition devant l’Assemblée Nationale. Elle voulait fermer les lignes intérieures dès lors qu’un train permet de faire le même trajet en moins de 5 heures, ce qui aurait permis une réduction de 50 % du trafic intérieur français ! On aurait conservé toutes les transversales – c’est à dire les lignes province-province et Paris-Nice – et supprimé la quasi-totalité des radiales, les liaisons Paris-Province.

Là, dans les faits, on va supprimer Paris-Bordeaux, Paris-Nantes et Paris-Lyon, sachant que la fermeture de Paris-Nantes avait déjà été décidée. Au final, les lignes supprimées pourront être comptées sur les doigts de la main. Il faut s’attendre à une diminution de l’ordre de 10 % des vols intérieurs : c’est mieux que rien, mais c’est très en deçà de ce qui avait été proposé.

Et c’est en deçà également des propositions de Convention Citoyenne pour le Climat : les 150 demandent que les liaisons soient supprimées dès lors que le train permet de faire le même trajet en moins de 4 heures. Alors oui, cette mesure va dans le bon sens, mais elle est extrêmement timorée. Pour un impact réel sur les rejets en carbone, il faudra aller plus loin. Et la proposition de la Convention sur le Climat me paraît quand même plus pertinente.

 

  • Vous parlez dans votre livre d’une potentielle taxe sur le kérosène : cette mesure vous parait-elle appropriée étant donné la colère qu’a généré la taxe carbone ?

 
Intuitivement, j’ai tendance à penser que les mesures économiques ne sont pas très efficaces dans la mesure où les acteurs économiques trouvent toujours des solutions pour les intégrer à leurs comptes. On a vu, par exemple, que la croissance continue du trafic aérien depuis 50 ans s’est faite malgré des augmentations considérables du prix du pétrole. Je pense que les grosses compagnies sont en mesure de faire absorber les surcoûts fiscaux par leurs clients. Ce coup de frein se ferait donc au détriment des classes moyennes.

Pour moi, l’objectif n’est pas de réduire le trafic au point de le réserver exclusivement à une classe de chanceux, de privilégiés : il faut surtout que ces catégories-là, les voyageurs qui prennent l’avion très souvent, modifient leurs habitudes. Peut-être que sur 10 voyages d’affaire superflus économisés, on pourra permettre à une famille de classe moyenne de faire un voyage dont elle rêve une fois tous les cinq ans.

Le dernier avion : comment le trafic aérien détruit-il notre environnement, par Sébastien Porte, Tana Éditions, 18,90 €

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