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Hubert Védrine : « La géopolitique du XXIe siècle ne se fera plus avec les outils du passé »

L’ancien ministre des Affaires étrangères a pris la parole, ce samedi 21 septembre 2024, sur « le futur de la géopolitique » dans le cadre du cycle de conférences de « 2050 we are_ DEMAIN ». Lors de son échange avec Eloi Choplin, Hubert Védrine a abordé sans détour les transformations profondes du paysage géopolitique actuel. Avec son style direct, Védrine a rappelé que les outils et stratégies du passé, qui ont permis à l’Occident de dominer le monde pendant des siècles, ne sont plus pertinents dans un contexte où l’équilibre des forces a radicalement changé.

« Nous ne sommes plus dans un monde où l’Occident dicte ses lois », a-t-il affirmé d’entrée, dressant le tableau d’un monde multipolaire où de nouveaux acteurs, notamment en Asie et en Afrique, prennent de plus en plus d’importance. la géopolitique du XXIe siècle ne se fera plus avec les outils du passé

La fin de l’hégémonie occidentale

L’ancien ministre des affaires étrangères a souligné que depuis la fin de la guerre froide, les Occidentaux, notamment les Américains et les Européens, se sont bercés de l’illusion qu’ils avaient « gagné ». Pourtant, « l’Occident ne domine plus », constate-t-il. Cette nouvelle réalité géopolitique est marquée par l’émergence de puissances économiques comme la Chine et l’Inde, qui ne partagent pas les valeurs occidentales et qui ne se plient plus aux règles imposées par ces derniers. Hubert Védrine a donné l’exemple de l’invasion de l’Ukraine par la Russie pour illustrer ce phénomène : « Deux tiers de l’humanité n’ont pas voulu condamner la Russie à l’ONU. Ils ne sont pas pro-Poutine, mais ils ne se sentent pas obligés de se ranger derrière l’Occident. »

Cette situation montre à quel point le monde a évolué. Les anciennes certitudes géopolitiques ne tiennent plus face à la montée en puissance des pays dits « émergents », qui dictent aujourd’hui leurs propres règles du jeu. Pour Hubert Védrine, il est primordial de « partir du réalisme » et de comprendre que l’Occident, bien qu’encore puissant, doit maintenant composer avec un monde beaucoup plus fragmenté et moins contrôlable. Surtout, « la géopolitique du XXIe siècle ne se fera plus avec les outils du passé. »

Compétition et influence : les nouvelles règles du jeu de la géopolitique

Au cœur de la géopolitique du XXIe siècle se trouve, selon Hubert Védrine, une bataille pour l’influence. Il rappelle que le concept de soft power, popularisé par l’Américain Joseph Nye, est devenu un élément clé des relations internationales actuelles. Cependant, il met en garde contre une illusion de contrôle : « Le soft power fonctionne tant que vous avez du pouvoir derrière. » En d’autres termes, l’influence culturelle et économique de l’Occident ne peut perdurer sans un socle solide de puissance. Bien réelle, elle.

Hubert Védrine, le 21 septembre 2024, lors de son intervention à « 2050 we are_ DEMAIN ». Crédit : Isabelle Jacques.

Hubert Védrine souligne aussi la compétition croissante pour imposer des récits, des normes, et des valeurs à l’échelle mondiale. Il cite notamment la bataille de l’influence menée par la Chine, qui, à travers des investissements massifs et des stratégies diplomatiques finement orchestrées, redessine les équilibres mondiaux. « La Chine est en train de construire un contre-modèle à l’Occident », affirme-t-il, tout en mettant en garde contre une vision simpliste du conflit entre les États-Unis et la Chine. Pour lui, cette compétition, bien que féroce, ne débouchera pas nécessairement sur un affrontement direct, mais plutôt sur une série d’alliances et de stratégies d’influence. Et peut-être même entre l’Europe et la Chine.

Une Europe en perte de vitesse ?

Lors de son intervention l’ancien homme politique n’a pas caché son inquiétude quant à la place de l’Europe dans ce nouveau paysage mondial. Selon lui, l’Europe a trop longtemps misé sur une vision idéalisée de l’intégration et du multilatéralisme, au point de négliger des stratégies plus réalistes et pragmatiques. « L’Europe doit se ressaisir, peut-être doit-elle devenir plus machiavélienne », dit-il, en insistant sur la nécessité de défendre les intérêts européens avec plus de rigueur et de pragmatisme. Ce réalisme doit passer par une meilleure gestion des flux migratoires et une politique économique et industrielle plus compétitive.

Hubert Védrine critique également l’inaction de l’Europe face aux évolutions technologiques rapides. « Nous avons laissé les États-Unis et la Chine prendre de l’avance dans des domaines stratégiques comme les batteries ou l’IA », déplore-t-il. Cette incapacité à se positionner sur des secteurs clés du futur affaiblit la position de l’Europe sur la scène mondiale et compromet sa capacité à peser dans les négociations internationales.

L’avenir de la géopolitique : un retour au réalisme

L’ancien homme politique appelle à un retour à une vision réaliste de la géopolitique. Selon lui, le monde du XXIe siècle sera marqué par une compétition constante pour les ressources, les normes et les récits. Les conflits classiques seront de moins en moins nombreux, remplacés par des luttes d’influence multiformes. Cependant, Védrine reste optimiste quant à la capacité des nations occidentales à s’adapter à cette nouvelle donne. « Ce n’est pas perdu, mais il faut cesser de penser que nos valeurs s’imposeront naturellement », résume-t-il.

Selon lui, le futur de la géopolitique dépendra de la capacité des pays à accepter cette fragmentation croissante du pouvoir mondial et à développer des stratégies plus subtiles, adaptées à cette nouvelle réalité. Loin des schémas simplistes de domination, il s’agira de naviguer dans un monde complexe, où chaque acteur tente de tirer son épingle du jeu.

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