Partager la publication "“Il nous faut un New Deal vert pour changer de modèle”"
États-Unis, 1933. Après le krach boursier de 1929, le pays est touché par l’une des pires crises financières de son histoire. Le président américain Franklin Roosevelt enclenche alors un immense plan de relance pour mettre un terme à la dépression. Ce “New Deal”, inspiré des théories keynésiennes, s’appuie largement sur l’intervention de l’État dans l’économie.
Quatre-vingt ans plus tard, l’idée d’un nouveau grand plan social, repeint aux couleurs de la transition écologique, fait son chemin outre-Atlantique. Défendu par l’aile gauche du parti démocrate, le projet est relayé par des figures très médiatiques comme l’élue Alexandria Ocasio-Cortez. On se souvient de son intervention virale du 26 mars dernier au Congrès américain, face à un élu ayant taxé le Green New Deal d’élitisme.
En France aussi, l’idée fait parler d’elle. Plusieurs mouvements politiques, comme le parti Europe Écologie Les Verts ou le parti Place Publique, se sont emparés du sujet à l’occasion des élections européennes du 26 mai prochain.
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Dans son essai Lettre aux Gilets Jaunes – Pour un New Deal vert, l’économiste Aurore Lalucq (membre de la liste Place Publique) détaille le financement et les mesures de ce nouveau contrat social-écologique.
Aurore Lalucq : Le mot “New Deal” fait référence à la politique menée par le président Roosevelt aux USA dans les années 1930. Arrivé au pouvoir dans un contexte de crise, il réalise un plan d’investissements massif et jette les bases d’un État-providence américain. La finance se remet au service de l’économie, de la société, et même de l’environnement. On l’oublie souvent, mais le New Deal de l’époque comprenait tout un pan écologique.
Aujourd’hui notre situation est très comparable à celle des États-Unis de cette période. Nous vivons dans un système confédéral inabouti, il nous faut une Europe-providence et écologique. Le New Deal vert européen impliquerait une transformation du système bancaire et financier, la création de nouveaux indicateurs, et le lancement d’un vaste plan d’investissement pour financer la rénovation thermique des bâtiments ou la transformation du transport urbain par exemple. Tout cela permettrait de créer des emplois.
En effet, il nous faudrait entre 300 et 500 milliards, ce qui peut sembler impressionnant, mais on raisonne à l’échelle du continent. Cette question du financement n’est pas si difficile à régler si on la regarde en face.
L’Union Européenne n’est pas endettée. Pour sauver les banques suite à la crise de 2008, la Banque Centrale (BCE) a mené une politique d’assouplissement monétaire pendant des années. Entre 30 et 60 milliards d’euros étaient créés tous les mois, mais seule une petite partie de cette somme a été utilisée pour irriguer notre économie. Pourquoi ne pas la poursuivre en fléchant vers l’investissement ? Ce serait tout à fait possible.
Autre proposition : nous pouvons nous organiser entre États pour établir une fiscalité commune au niveau européen. Cela permettrait de renforcer le fédéralisme tout en mettant un terme au dumping fiscal. Si nous avons pu mobiliser de l’argent pour les banques, nous devrions être capable d’en trouver pour sauver la vie sur Terre. Certains manifestants reprennent le slogan “Si le climat était une banque, il aurait déjà été sauvé”. Ça peut paraître un peu réducteur… mais c’est juste.
C’est une question difficile, peut-être la plus difficile. Pourtant, à la fin des années 70, qui aurait imaginé que le tournant néolibéral adviendrait aussi rapidement et brutalement ? Tout peut aller très vite. Et nous ne savons jamais d’où peut venir l’élément déclencheur. Prenez les Gilets jaunes : quand les réformes du président Macron passaient sans encombre en début de mandat, personne ne pensait qu’un an plus tard des gens allaient occuper des ronds-points.
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Le grand public est aussi de plus en plus sensibilisé. Les grèves pour le climat, les deux millions de signatures pour la pétition Affaire du siècle, tout cela était impensable il y a 10 ans. La société civile joue un rôle essentiel en élisant ses représentants mais aussi en maintenant une pression sur le pouvoir. Aujourd’hui tous les partis politiques parlent d’écologie dans leur programme. Il faut maintenant passer aux actes, dépasser le stade des belles paroles.
Les pays les plus avancés dans la transition écologique privilégient le dialogue social. Un pays comme la Suède a fait beaucoup de pédagogie en amont de la mise en place de sa taxe carbone. À l’inverse, les États qui connaissent une dérive populiste accusent un recul terrible en matière environnementale. L’économiste Éloi Laurent explique d’ailleurs dans ses travaux que plus une société est inégalitaire, moins elle est capable de porter un projet commun.
Ni l’un ni l’autre. Aujourd’hui le débat sur la croissance reste focalisé sur la question du Produit Intérieur Brut (PIB). Or, son inventeur Simon Kuznets lui-même le disait : il sert à mesurer la production matérielle, pas notre niveau de bien-être. Ce n’est pas son rôle. À l’inverse, nous connaissons très mal l’impact environnementale du PIB. Une baisse n’est pas forcément positive. Je pense qu’on peut faire de la décroissance tout en ayant un impact négatif sur l’environnement. Arrêtons de se focaliser dessus !
Je préfère me définir comme post-croissance. Le New Deal vert n’est pas là pour relancer la croissance, mais pour changer notre modèle. Regardons avant tout si nos politiques publiques permettent de limiter le réchauffement climatique, de réduire les inégalités et d’améliorer l’état de la biosphère. Le tout sans faire n’importe quoi avec le budget.
À terme, la mesure phare sera la diminution du temps de travail. Plus nous travaillons, plus nous consommons pour compenser notre manque de loisirs et de temps libre, donc plus nous polluons. Nous sommes dans une forme de déraison économique. Il va falloir se diriger vers une économie plus douce.
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