Partager la publication "Impact du glyphosate sur la biodiversité : une étude inquiétante en Martinique"
C’est l’herbicide le plus utilisé au monde. C’est aussi un mot qui génère, dès qu’il est prononcé, d’intenses passions. Le glyphosate est utilisé en agriculture pour tuer les « mauvaises herbes », et ainsi limiter leurs effets négatifs sur les cultures. Ses effets sur l’homme et l’environnement restent eux sujets à débat dans la communauté scientifique. Dans la sphère politique, le récent renouvellement de son autorisation par l’UE a relancé les controverses.
On parle beaucoup des effets du glyphosate sur la santé, mais son impact sur les écosystèmes et la biodiversité reste peu étudié. Pourtant ceux-ci peuvent être préoccupants : notre étude récente menée en Martinique a ainsi permis de montrer une diminution de la biodiversité de 21 % en moyenne dans les parcelles de banane fréquemment traitées avec du glyphosate.
Ce terrain est favorable à l’étude des conséquences du glyphosate sur la biodiversité car le climat tropical humide de la Martinique favorise la prolifération des mauvaises herbes dans les parcelles et beaucoup d’agriculteurs utilisent de ce fait le glyphosate dans leurs champs. Étudier l’effet du glyphosate in situ demeure cependant très compliqué car souvent un ensemble de pratiques agricoles et de paramètres environnementaux varient simultanément.
Il demeure pourtant crucial de ne pas se contenter de recherches en laboratoire et de mener des études sur le terrain dans des conditions réelles d’utilisation pour mieux comprendre ces impacts. Car le mode d’épandage des herbicides, que ce soit par pulvérisation en plein champ ou application localisée, ainsi que l’utilisation d’adjuvants, peuvent avoir des conséquences différentes sur la faune.
Également, l’exposition des invertébrés aux herbicides, par exemple, est influencée par de nombreux facteurs qui ne peuvent pas toujours être étudiés en laboratoire, comme le comportement ou le cycle de vie des espèces.
Pour pouvoir malgré tout étudier l’effet du glyphosate, nous avons donc fait des entretiens avec un grand nombre d’agriculteurs pour sélectionner des champs ayant des pratiques agricoles identiques en tout point mais avec une manière de gérer les mauvaises herbes différentes. Ainsi, l’effet du glyphosate – l’herbicide très majoritairement utilisé en Martinique – a pu être étudié dans des fermes ayant arrêté l’usage des herbicides en général (remplacé par la débroussailleuse), diminué leur fréquence d’utilisation (2 à 3 herbicides par an) ou conservé un usage fréquent (4 à 5 herbicides par an).
La collecte et l’examen de plus de 6000 invertébrés appartenant à 105 espèces sur ces parcelles a permis de montrer que le glyphosate influence de manière importante les invertébrés du sol en milieu tropical en réduisant de 21 % la richesse spécifique moyenne des communautés. C’est-à-dire que les parcelles traitées avec du glyphosate contenaient en moyenne moins d’espèces.
Le glyphosate a également eu un effet sur l’abondance (le nombre total d’individus) de tous les maillons de la chaîne alimentaire de la faune du sol. Les groupes trophiques les plus impactés étaient les prédateurs et les détritivores (les invertébrés qui se nourrissent de débris végétaux) qui ont montré une baisse d’abondance de – 54 % et de -23 % respectivement dans les parcelles les plus fréquemment traitées.“
Comment expliquer cela ? Les mécanismes d’action sont difficiles à élucider in situ car de nombreux paramètres peuvent interagir mais actuellement, l’hypothèse la plus probable est que le glyphosate agit indirectement par un effet en cascade : en détruisant le couvert végétal, le glyphosate va supprimer l’habitat et une part importante de la ressource alimentaire de la faune du sol impactant ainsi l’ensemble du réseau trophique.
Au-delà de montrer un simple effet négatif, nos résultats ont aussi souligné que le glyphosate a un effet graduel sur la biodiversité en fonction de la fréquence des traitements. Dans les parcelles avec 2 à 3 traitements herbicides par an, la diminution était de 16 % et elle passait à 21 % dans les parcelles avec 4 à 5 traitements par an. La biodiversité est donc moins affectée si le glyphosate est utilisé moins fréquemment. Une réduction de l’utilisation constitue donc pour les agriculteurs une première étape vers la préservation de la biodiversité à l’intérieur des parcelles agricoles.
Il est capital de préserver la biodiversité dans les parcelles agricoles pour deux raisons principales. L’argument le plus souvent entendu est que cette biodiversité du sol est utile pour les services écosystémiques qu’elle rend, soit pour sa valeur utilitaire. La biodiversité des prédateurs peut effectivement jouer un rôle important dans la régulation des ravageurs et donc contribuer à réduire l’utilisation d’insecticides. La biodiversité des détritivores, tels que les millepattes et les cloportes, contribuent également de manière importante à la fragmentation des feuilles mortes et à sa décomposition. Ainsi, l’augmentation des populations de détritivores dans les agroécosystèmes peut par conséquent améliorer le recyclage des nutriments et la croissance des plantes. D’autres espèces telles que les fourmis améliorent également l’infiltration de l’eau en modifiant la structure du sol lors de leurs déplacements et la construction de leurs nids, un processus appelé « bioturbation ».
Mais un autre argument concerne la conservation de la biodiversité en tant que telle (pour sa valeur intrinsèque). Par exemple dans le hot spot mondial de biodiversité de la Caraïbe, dont la Martinique fait partie, il y a un grand nombre d’espèces endémiques, qui ne vivent souvent que sur une île et, si elles disparaissent de ce territoire très restreint, leur extinction locale signifiera une extinction à l’échelle de la planète. Or, avec le changement d’usage des sols, beaucoup de milieux naturels sont convertis en zones agricoles en particulier dans les zones tropicales, mettant en danger la survie de ces espèces.
Notre étude montre également que l’utilisation du glyphosate a tendance à favoriser des espèces exotiques au détriment d’espèces natives dans les communautés d’invertébrés du sol. Les mécanismes d’action sont encore mal connus. Il s’agit probablement d’effets indirects complexes. On suppose que le glyphosate agit de manière similaire sur l’ensemble de la faune du sol mais que les espèces exotiques sont plus aptes à recoloniser rapidement des habitats perturbés. Ainsi, dans un environnement perturbé par l’usage fréquent d’herbicide, leur proportion aurait tendance à augmenter.
Ce résultat est important pour la conservation de la biodiversité car les espèces exotiques envahissantes sont, avec le changement d’usage des sols, un des facteurs majeurs de l’érosion de la biodiversité à l’échelle globale. Le fait que le glyphosate favorise des espèces exotiques au détriment d’espèces natives n’avait jamais été démontré avant chez des animaux. Le glyphosate est même parfois utilisé pour lutter contre des plantes exotiques envahissantes en milieu naturel, ce qui pourrait donc se révéler contre-productif et avoir des répercussions sur d’autres organismes tels que la faune du sol.
Nos résultats dans leur ensemble montrent que dans des conditions où le glyphosate est utilisé fréquemment et fait partie intégrante du système de culture, les milieux agricoles peuvent difficilement contribuer à la conservation de la biodiversité des invertébrés du sol. Au rythme actuel où les milieux naturels sont convertis en milieux agricoles, notamment dans les zones tropicales, il est pourtant important de pouvoir préserver la biodiversité dans les champs si l’on veut éviter une 6e extinction de masse. Alors que faire ?
Une réduction de la fréquence d’usage des herbicides est une première voie intéressante mais le grand challenge actuel de l’agriculture est d’apprendre à cultiver sans détruire le couvert végétal. En effectuant cette transition, il faut néanmoins faire attention aux solutions de substitution pouvant être pire que le glyphosate, par exemple, une augmentation des labours potentiellement néfaste pour la biodiversité du sol.
Différentes solutions existent cependant ou sont en cours d’étude. Des solutions technologiques utilisant des outils de fauche adaptés ou des robots téléguidés semblent prometteuses. Introduire des herbivores dans les champs peut aussi être une solution. Par exemple, une piste qui est actuellement expérimentée par le CIRAD dans des bananeraies de Guadeloupe est d’utiliser des moutons pour gérer l’enherbement. Cette solution pourrait apporter d’autres avantages, notamment pour la fertilisation des cultures.
À propos des auteurs :
Mathieu Coulis. Docteur en écologie du sol, Cirad.
Meryem El Jaouhari. Docteure en Écologie fonctionnelle, Cirad.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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