Partager la publication "La chasse a-t-elle vraiment un intérêt écologique ?"
Cet article a été publié dans WE DEMAIN n°27. Un numéro toujours disponible sur notre boutique en ligne
“Nous sommes passionnément amoureux de la nature.” Ces mots ne sont pas ceux d’un botaniste, ni d’un défenseur de la cause animale, mais du président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC), Willy Schraen, à l’approche de l’ouverture de la chasse en France. Fixée cette année, selon les départements, entre le 23 août et le 29 septembre, elle s’accompagnait en 2019 de la sortie du livre Pas de fusils dans la nature du naturaliste indépendant Pierre Rigaux.
Non, assure l’auteur chiffres à l’appui, contrairement à l’image qu’ils aiment à cultiver, les chasseurs ne sont pas les premiers écolos de France. À l’heure de l’extinction des espèces, de l’essor de l’écologie politique, de l’éthique environnementale et du bien-être animal, la chasse n’a jamais autant divisé. Ses partisans la justifient aux motifs de la tradition et de la nécessaire “gestion adaptative” des espèces. Ses opposants en appellent, si ce n’est à l’interdire, à l’encadrer fermement. Quant aux responsables politiques, ils semblent avoir choisi de concilier chasse et écologie.
1,14 million [1,03 million en 2020 ndlr]. C’est le nombre de chasseurs que revendique la FNC, portant la discipline au rang de troisième loisir français en nombre de licenciés derrière le foot et la pêche (ils étaient près du double en 1975, soit 2,2 millions). 53 % des chasseurs ont plus de 55 ans.
La France arrive en tête des pays d’Europe au nombre d’espèces chassées : 90. Au total, les chasseurs français tuent 22 millions d’animaux par an. Mais cet inventaire omet les chiffres d’une trentaine d’espèces parmi les 90 chassables – le lièvre variable, le tétras lyre, la marmotte, le mouflon… L’inventaire omet aussi les animaux “détruits” autrement que par arme à feu (par piégeage principalement), des animaux dits “nuisibles” ou “susceptibles d’occasionner des dégâts” (renard, belette, corbeau freux, pie bavarde, ragondin…).
D’autres peuvent aussi être abattus hors des périodes réglementaires (août-septembre à janvier-février), principalement sur arrêté préfectoral, pour des motifs de “régulation” des populations de sangliers, de cerfs ou de chevreuils jugées trop importantes et pouvant occasionner des dégâts dans certaines cultures.
“25 à 30 millions d’animaux sauvages seraient tués chaque année. Deux à trois fois plus si l’on compte les animaux blessés, non retrouvés et donc non décomptés.”
Pierre Rigaux
Il est également important de noter que bon nombre de ces animaux ne sont pas sauvages, mais issus de l’industrie de l’élevage. Selon le Syndicat national des producteurs de gibier cynégétique (SNPGC), 30 millions d’animaux (dont un tiers destiné à l’export) sont annuellement “produits” : 14 millions de faisans, 5 millions de perdrix grises et rouges, 1 million de canards colverts, 40 000 lièvres, 100 000 lapins de garenne… lâchés dans la nature pour être chassés dans la foulée.
“La loi est ainsi faite qu’on ne connaît pas précisément le nombre d’animaux lâchés, ni même où ils le sont“, écrit Pierre Rigaux. Tout au long de son livre, l’auteur s’attache ainsi à pointer l’opacité qui entoure la pratique de la chasse en France, “presque toujours soutenue par les principaux partis politiques français, de droite comme de gauche“.
Promesse de campagne
Vieillissant, le chasseur français n’en reste pas moins influent. Regroupés au sein d’une même organisation (FNC), les licenciés pèsent d’une voix sur les décisions politiques qui les concernent. Mais aussi grâce aux liens qu’ils entretiennent avec le monde politique.
S’ils ne représentent qu’environ 1,7 % de la population, ils bénéficient d’un excellent appui chez les parlementaires : 118 députés membres du groupe d’étude Chasse et territoires à l’Assemblée nationale [115 députés au 26 août 2020 ndlr] et 73 sénateurs [72 au 26 août 2020 ndlr] au sein du groupe Chasse et pêche, soit respectivement les troisième et deuxième groupes d’étude les plus fréquentés.
Promesse de campagne d’Emmanuel Macron à destination de cet électorat, la réforme de la chasse votée en juillet 2019 est l’un des derniers succès des chasseurs. Parmi ce que leurs opposants dénoncent comme autant de “cadeaux électoraux”, la baisse du prix du permis de chasse national, de 400 à 225 euros, assurance comprise. Une manière d’encourager les nouvelles adhésions et le renouvellement générationnel.
“Nous avons eu l’oreille d’Emmanuel Macron, le premier président à s’être posé les bonnes questions sur la chasse“, se félicite Willy Schraen, épaulé par le lobbyiste Thierry Coste dont la présence lors des négociations au ministère de la Transition écologique et solidaire avait particulièrement agacé Nicolas Hulot et coïncidé avec l’annonce de sa démission.
Ces liens entre chasse et politique, les membres du gouvernement se chargent de les entretenir. Le 20 mars 2019, les ministres François de Rugy et Emmanuelle Wargon (Transition écologique), Didier Guillaume (Agriculture) et Sébastien Lecornu (Territoires) participaient au congrès annuel des chasseurs à la Maison de la mutualité à Paris. Comme l’indique un communiqué de la FNC, ils étaient “venus souligner le rôle indispensable des chasseurs dans le maintien de la biodiversité, le développement des territoires ruraux et aborder tous les sujets de la réforme chasse“. Les divers services du ministère de la Transition écologique et solidaire n’ont pas donné suite aux demandes d’interviews de We Demain.
Autre point qui crispe les défenseurs de l’environnement : l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Cet établissement public est chargé notamment de la police de l’environnement et de la chasse, de l’organisation de l’examen et de la délivrance du permis de chasser. Or son conseil d’administration est composé de 26 membres, dont une majorité soutient et/ou pratique la chasse. Sa présidence est d’ailleurs assurée par Hubert-Louis Vuitton, ancien vice-président de la FNC.
“On parle clairement de conflit d’intérêts. L’organisme censé contrôler la chasse est lui-même contrôlé par des chasseurs.”
Pierre Rigaux
Au 1er janvier 2020, l’ONCFS et l’Agence française pour la biodiversité (AFB) doivent fusionner [elles ont effectivement fusionné pour former l’Office français de la biodiversité ndlr]. La chasse et l’écologie n’auront jamais été aussi proches.
Willy Schraen n’en démord pas : “Nous sommes les premiers écologistes de France, ceux qui contribuent le plus financièrement, socialement et scientifiquement à la biodiversité.”
D’après une étude du BIPE (cabinet de conseil en stratégie) commanditée par la FNC en 2017, les gâchettes françaises et leurs structures fourniraient chaque année l’équivalent de 460 millions d’euros en services environnementaux [une seconde étude BIPE propose le chiffre de 381 millions d’euros ndlr], au regard notamment des milliers d’heures de bénévolat consacrées à prendre soin de la nature.
Chasse, nature et protection
Ces services, ce sont des actions de gestion de la faune et de la flore, de préservation et d’aménagement des milieux naturels, d’étude de certaines espèces animales…
Pierre Rigaux, lui, dénonce des méthodes de communication visant à verdir la chasse. Il pointe les centaines de milliers d’euros d’aides octroyées annuellement aux fédérations départementales et régionales de chasseurs afin de mener ces actions en faveur de la biodiversité, souvent au détriment des associations de protection de la nature.
“Ne nions pas les à-côtés de la chasse qui peuvent être positifs. Mais l’argumentaire des chasseurs est très pernicieux lorsqu’il consiste à mettre en avant des démarches et des actions qui peuvent toutes être menées sans fusil et sans tuer d’animaux.”
Pierre Rigaux
Il déplore aussi, qu’en France, les animaux sauvages puissent être chassés dans les parcs nationaux et les réserves naturelles ou biologiques. Certes encadrée et restreinte à des “opérations de régulation” selon l’ONCFS, la pratique est autorisée dans la plupart des espaces dits “protégés”.
“On crée des zones de protection des animaux tout en y autorisant la chasse, déplore Pierre Rigaux. Ce genre d’aberration pousse de plus en plus de gens à en interdire la pratique sur leur terrain.”
La loi française permet, depuis 2000 seulement, de retirer son terrain du domaine de l’Association communale et intercommunale de chasse agrée (ACCA), qui en détient l’accès automatique. Pas de quoi inquiéter les chasseurs, tant le législateur a compliqué la démarche.
Optimiste, Willy Schraen met avant une autre disposition de la réforme de la chasse : l’instauration d’une écocontribution annuelle. Pour 5 euros par chasseur, versés par les fédérations de chasse, l’État ajoute 10 euros. Soit une enveloppe globale d’environ 17,1 millions pour la mise en place d’actions en faveur de la biodiversité. “Nous voulons bien sûr qu’il y ait énormément de faune pour pouvoir continuer à chasser“, indique le président de la FNC.
Pierre Rigaux, lui, a beau chercher du côté de l’écologie, de la science, du bon sens, de la tradition ou de l’opinion publique : rien ne permet encore de justifier la chasse. Surtout pas “une tirelire écolo qui doit alimenter un fonds d’action… géré par les chasseurs“.