Partager la publication "La Suisse, premier pays condamné pour inaction climatique"
C’est la première fois qu’un État est condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour inaction climatique. Mardi 9 avril 2024, la justice a tranché : la Suisse est bel et bien coupable de violation des droits de l’homme dans le domaine de l’environnement. C’est l’association “Aînées pour le Climat” (Verein KlimaSeniorinnen Schweiz) qui avait porté l’affaire devant la justice, estimant que la confédération n’agissait pas suffisamment face au réchauffement climatique.
“Aujourd’hui est un jour de joie, de soulagement et d’émotions très fortes”, a déclaré Norma Bargetzi-Horisberger, membre de l’Association suisse des Aînées pour le Climat au site d’information swissinfo.ch. Après l’audience qui s’était tenue le 29 mars 2023, le jugement est tombé hier à Strasbourg mais n’a été dévoilé qu’aujourd’hui : la confédération helvète doit davantage agir et se fixer des objectifs bien plus ambitieux pour se conformer à l’objectif des 1,5 degrés fixés par la COP21.
Cela fait huit ans que les femmes seniors (plus de 2 0000 femmes de 64 ans et plus) de l’association “Aînées pour le Climat” ont entamé leur marathon juridique. Depuis 2016, elles veulent faire reconnaître l’immobilisme de l’État suisse face au dérèglement climatique et dénoncent les conséquences du réchauffement climatique sur leurs conditions de vie et leur santé. Elles ont ainsi déposé des requêtes auprès de différentes institutions suisses – dont le Tribunal fédéral. Chou blanc. Après épuisement des voies de recours internes, elles ont décidé de saisir la Cour Européenne des droits de l’Homme pour faire entendre leur plainte.
La Grande Chambre de la CEDH a statué ainsi (voir l’arrêt en PDF) : “Elles estiment que les autorités ne prenaient pas des mesures suffisantes pour atténuer les effets du changement climatique. La Cour a jugé que la Convention consacrait un droit à une protection effective, par les autorités de l’État, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur la vie, la santé, le bien-être et la qualité de vie. […] La Cour a conclu à la violation du droit au respect de la vie privée et familiale de la Convention et à celle du droit à l’accès à un tribunal. La Cour a conclu que la Confédération suisse avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de la Convention en matière de changement climatique.”
Cet arrêt en faveur des “Aînées pour le Climat” et contre l’inaction suisse est inédit. C’est la première fois que la CEDH condamne un État pour ne pas avoir pris de mesures contre le changement climatique. Dans le jugement la Cour établit un lien direct entre la protection des droits de l’homme et le respect des obligations environnementales. Et surtout, l’arrêt crée un précédent. Si deux autres requêtes assez similaires – l’une française concernant un ancien habitant de Grande-Synthe et l’autre portugaise – ont été jugées irrecevables par cette même Grande Chambre, rien ne dit que d’autres pourvois similaires ne recevront pas, eux aussi, un jugement similaire, actant une violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme. En cela, le jugement est très clair : “Le devoir primordial d’un État contractant est d’adopter, et d’appliquer concrètement, une réglementation et des mesures aptes à atténuer les effets actuels et futurs, potentiellement irréversibles, du changement climatique.”
Cette décision reconnaît que les États ont l’obligation de protéger leurs citoyens du changement climatique, de préserver leur bien-être et leur qualité de vie. Elle souligne qu’il est nécessaire de mettre en place des politiques nationales suffisantes pour lutter contre le changement climatique. Et quantifier les efforts à réaliser avec précision. Concernant la Suisse, la Grande Chambre indique que “Le processus de mise en place du cadre réglementaire interne pertinent a comporté de graves lacunes, notamment un manquement des autorités suisses à quantifier, au moyen d’un budget carbone ou d’une autre manière, les limites nationales applicables aux émissions de gaz à effet de serre (GES).”
À nouveau, l’arrêt de la CEDH nous éclaire sur ce point : “L’État défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention est tenu de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à inscrire dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et de redresser la situation.” Mais la Cour n’a pas émis de suggestions précises en la matière. En outre, elle punit la Suisse d’une simple amende de 80 000 euros à verser à “Aînées pour le Climat” pour frais et dépens. En effet, l’association n’avait pas requis de demande de dommage.
Le jugement reste donc très vague, tant sur la forme, que sur le fond ou sur les délais, pour que l’État fédéral suisse se mette en conformité et mette enfin en place des mesures concrètes et ambitieuses de lutte contre le réchauffement climatique. Un tiers des 2 000 femmes membres de l’association ont plus de 75 ans. Elles se plaignent toutes de problèmes de santé exacerbés lors des vagues de chaleur, notamment. Il y a donc urgence alors que mars 2024 est le dixième mois consécutif le plus chaud jamais enregistré dans le monde.
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