Partager la publication "Le chanvre, une filière qui tisse des liens entre tradition et innovation"
Depuis deux décennies, derrière la structuration de la filière chanvre en Franche-Comté, un acteur clé émerge : la coopérative agricole Interval. Forte de 4 500 agriculteurs répartis dans toute la Haute-Saône, celle-ci a créé, en 1994, Eurochanvre. Cette structure est spécialisée dans la transformation et la commercialisation des produits issus de cette plante millénaire. Aujourd’hui, plus de 200 agriculteurs participent et quelque 2 000 hectares sont plantés en chanvre chaque année.
Implantée à Arc-lès-Gray, à un peu moins de 1 heure de route au nord-ouest de Besançon, Eurochanvre a joué un rôle pionnier pour offrir aux producteurs locaux des débouchés industriels prometteurs. Depuis 1996, date de la mise en service de son usine de transformation du chanvre avant qu’il ne soit expédié vers les différents clients de la coopérative. Cette coopérative illustre bien le retour en force du chanvre en France puis deux décennies.
De la plante de chanvre, on extrait trois matières premières principales : la fibre, la chènevotte et le chènevis. Cette dernière, la graine de chanvre, est très prisée en alimentation animale et humaine. “Sa richesse en omégas 3 et 6 en fait un ingrédient de choix pour les produits bio”, explique Philippe Guichard, directeur d’Interval. La chènevotte, quant à elle, correspond à la partie intérieure de la tige. On la destine à des usages tels que l’isolation, par le biais de béton de chanvre comme en fabrique Vieille Matériaux dans la région. Enfin, la fibre, enveloppe externe de la plante, trouve des applications dans la papeterie, le textile, les paillages pour les animaux et plus récemment dans l’industrie automobile.
Avant la récolte, une étape cruciale s’impose : le rouissage. Ce processus naturel consiste à laisser quelques semaines les tiges coupées au sol dans les champs. Quel intérêt ? Laisser le temps aux micro-organismes, à l’humidité et au soleil de dégrader les pectines liant les fibres à la tige. À l’issue de cette phase, la séparation entre fibre et chènevotte devient plus aisée, facilitant leur transformation ultérieure.
Cette polyvalence du chanvre s’explique aussi par ses atouts environnementaux. Cultiver du chanvre demande peu d’intrants chimiques, capte une grande quantité de CO2 et régénère les sols. “C’est une culture parfaitement adaptée aux enjeux actuels de transition écologique”, nous a expliqué Nicolas Fortin, agriculteur qui, avec son père, plante du chanvre depuis 2000. Avec des rendements importants et une transformation locale, le chanvre s’impose comme une ressource stratégique pour les décennies à venir.
Historiquement, c’est la papeterie qui a tiré le marché du chanvre. Mais depuis quelques années, l’isolation et le textile sont devenus les nouveaux moteurs de croissance. Eurochanvre fournit par exemple Vieille Matériaux en chènevotte pour la production d’isolants performants. “Isolation et textile sont nos deux leviers de croissance”, affirme Philippe Guichard. À l’usine d’Eurochanvre, la fibre est nettoyée et préparée avec une grande pureté (moins de 1 % de chènevotte résiduelle). Ces fibres, après cotonisation et filature, se transforment en textiles doux, très prisés dans le secteur de la mode.
L’engouement pour des fibres naturelles et durables reflète une tendance globale du marché. Les grandes marques de mode recherchent des solutions à faible impact environnemental. “La fibre de chanvre d’Eurochanvre offre une alternative durable aux fibres synthétiques et même au coton, souvent critiqué pour sa forte consommation d’eau“, précise un représentant de la coopérative. Ce potentiel place la Franche-Comté au cœur de l’innovation textile.
Eurochanvre ne se limite pas à la transformation du chanvre. En 2014, Interval s’est associé à l’équipementier Forvia (ex-Faurecia) pour créer APM (Automotive Performance Materials), une joint-venture stratégique à 50-50. Cette collaboration permet d’intégrer le chanvre dans l’industrie automobile grâce au Biomat, un composite biosourcé révolutionnaire.
“Le Biomat réduit l’usage de plastique tout en présentant des avantages techniques non négligeables”, explique Sylvain Keca, directeur d’APM. Ainsi, les pièces produites, comme les tableaux de bord ou panneaux de porte, contiennent 20 à 25 % de fibre de chanvre. Plus légères de 20 % par rapport au polypropylène classique, elles participent à la réduction de la consommation d’énergie des véhicules. En outre, elles sont recyclables à l’infini, répondant aux impératifs croissants de durabilité de l’industrie automobile. Seul contrainte : le Biomat n’est, pour l’heure, pas utilisé sur les surfaces visibles dans l’habitacle car les résidus de fibres en font un bioplastique qui n’est pas totalement uniforme à l’oeil.
Le Biomat a initialement séduit Peugeot et Alfa Romeo avant d’être adopté aussi par d’autres constructeurs. “Nous avons créé un modèle d’économie circulaire qui valorise un matériau local transformé à proximité des zones de culture. Cette maîtrise de la chaîne de valeur garantit la qualité des produits et leur traçabilité“, ajoute Sylvain Keca.
Cette approche s’inscrit dans une stratégie à long terme. “La collaboration entre Interval et Forvia a permis de créer une gouvernance agile, avec des conseils d’administration réguliers pour ajuster nos objectifs”, souligne le directeur d’APM. Et d’ajouter : “La compétence agricole d’Interval s’allie à l’expertise industrielle de Forvia pour maîtriser chaque étape, de la graine à la pièce finale.” Grâce à ce dialogue constant entre agriculture et industrie, la réussite de l’entreprise, basée à Fontaine-lès-Dijon, est assurée.
La Franche-Comté illustre parfaitement l’union entre tradition et innovation. La filière chanvre mobilise agriculteurs, industriels et entrepreneurs dans une dynamique collective exemplaire. Avec le chanvre comme matériau central, cette région démontre que résilience et ancrage territorial peuvent répondre aux défis de notre époque.
En développant des produits à haute valeur ajoutée et en favorisant une économie circulaire locale, Eurochanvre et APM ouvrent des perspectives inspirantes pour d’autres territoires. Comme le rappelle Philippe Fortin, agriculteur membre de la coopérative : “C’est ensemble, en valorisant nos ressources locales et nos talents, que nous construisons un avenir durable.”
Avec cette success story, la Franche-Comté trace la voie d’un développement industriel et écologique en phase avec les enjeux contemporains. Une leçon d’optimisme et de pragmatisme qu’il est bon de souligner. Ce modèle pourrait bien inspirer d’autres régions, souhaitant elles aussi conjuguer compétence locale et innovation mondiale. Dans ce contexte, le chanvre n’est pas seulement une ressource. Il est un symbole de ce que la coopération et la durabilité peuvent accomplir.
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