Le climat, une affaire de femmes ?

Le genre est une construction sociale complexe, et bien qu’il ne soit ni immuable, ni universel, le statut des femmes dans les pays en développement les expose à une plus grande vulnérabilité aux effets du dérèglement climatique.

Celle-ci apparaît au grand jour sur nos écrans de télévision lorsque des catastrophes naturelles s’abattent sur des populations précaires. Ainsi, les femmes représentent plus de 75 % des populations déplacées lors de désastres naturels et près de 80 % des personnes en besoin d’assistance en situation d’urgence.

Au-delà de ces évènements dramatiques, les femmes ont la lourde charge au quotidien de l’approvisionnement, du transport et de la gestion des ressources familiales. Leur accès aux emplois salariés étant plus restreint, elles se tournent davantage vers des secteurs exposés au dérèglement climatique. Les variations climatiques et les ruptures des équilibres des écosystèmes tels que le déboisement, les activités extractives ou le déversement de contaminants pourraient ainsi affecter plus durement les femmes par le biais de plusieurs mécanismes : rareté de l’eau, disparition de zones de végétation, diminution des sources d’énergie et de combustion.

À ces déséquilibres induits par le réchauffement climatique, s’ajoutent les effets indirects, moins visibles, qui contribuent à créer un cercle vicieux pour les femmes. Obligées d’investir davantage de temps et d’énergie dans la gestion des ressources, elles voient leur chance d’accéder à des activités génératrices de revenu, à la scolarisation, à des dispositifs de formation ou encore d’occuper des postes décisionnels fortement diminuer.

Si la communauté internationale a porté jusqu’à récemment son attention sur le secteur rural, les effets de la croissance urbaine à l’échelle mondiale et l’intérêt suscité par la thématique des villes durables conduisent à s’intéresser de près aux stratégies d’adaptation des femmes dans un contexte urbain.

Le réseau C40, qui réunit 96 métropoles engagées dans l’action climatique et présidé par la Maire de Paris Anne Hidalgo, a rassemblé dans le cadre de son programme Women4Climate les initiatives et projets innovants permettant de mieux prendre en compte l’impact du changement climatique sur les femmes dans les métropoles. “Notre objectif est que les maires et les décideurs publics puissent connaître ces approches innovantes, s’en emparer et s’en inspirer pour conduire des actions significatives dans leur ville”, indique Silvia Marcon, en charge du programme Women4Climate.

Une prise de conscience tardive de la communauté internationale

Deux raisons principales peuvent expliquer la reconnaissance tardive d’une approche intégrée genre et climat. La première est que l’attention sur les effets de la croissance et de la pollution atmosphérique au cours des trois dernières décennies s’est principalement portée sur l’impact économique et non social de ces phénomènes.

La seconde est la faible présence de femmes dans les sphères de recherche, de débats et d’élaboration des politiques liées aux changements climatiques. Dans le domaine scientifique par exemple, le champ des experts et chercheurs sollicités a été largement dominé par les hommes. Seuls 39 % des auteurs ayant contribué au dernier rapport du GIEC étaient des femmes, a précisé le journal Libération.

Les femmes, agents de la transition écologique

Toutefois, dénoncer la relative marginalisation féminine dans la transition écologique ne doit pas nous détourner d’un autre objectif, celui de s’orienter résolument vers les solutions et de mettre l’accent sur le pouvoir des femmes plutôt que sur leur vulnérabilité.

Les femmes produisent de 60 à 80 % de l’alimentation dans les pays en développement. A travers leurs fonctions, elles ont su élaborer des stratégies pour s’adapter aux conséquences sur l’environnement et ont acquis des expertises inestimables dans des secteurs tels que la gestion de l’eau, les procédés de conservation de la nourriture ou encore dans la mise en œuvre de nouvelles techniques agricoles.

Dans la communauté Nagy en Inde, où les femmes contribuent à l’entretien des forêts et à la production d’engrais naturels, l’élection de femmes chefs de villages, autorisée par un règlement administratif en 2005, a conduit dans certaines localités à l’adoption d’une gestion plus durable des ressources. Toutefois, le combat des femmes Nagy continue pour obtenir la pleine reconnaissance de leur droit de propriété. En Inde, même si les femmes constituent la majorité des exploitants, seules 10 % d’entre elles possèdent leur propriété, les privant ainsi des programmes d’aides agricoles de l’Etat.  

Intégrer les femmes dans tous les processus de consultation, de définition et de mise en œuvre des politiques climatiques apparaît ainsi comme une priorité. “Un des enjeux est de renforcer le rôle des femmes à tous les niveaux, confirme Silvia Marcon. “Même si le terme d’empowerment doit être pris avec précaution, il recouvre ce que nous voulons faire : œuvrer auprès des femmes pour leur donner confiance et leur permettre d’être en position d’agir, de décider pour des choix qui les concernent, d’affirmer haut et fort  “J’ai mon mot à dire.

Vers une société plus durable et plus juste ?

Les leviers d’actions sont multiples et complémentaires. Dans le domaine du droit, la reconnaissance du droit de propriété et l’égal accès aux postes à responsabilité constituent des conditions minimales pour l’autonomisation des femmes. A ces exigences s’ajoutent le renforcement de l’approche genre dans les politiques climatiques et la valorisation du rôle des femmes comme parties prenantes, expertes et entrepreneuses dans le domaine de la transition écologique.

Mais c’est surtout sur un pilier essentiel que repose la double lutte contre les inégalités de sexe et le changement climatique : celui du financement. Selon le rapport de l’Union internationale pour la conservation de la nature de 2015, seul 0,01% des financements internationaux soutiennent des projets qui intègrent à la fois le climat et les droits des femmes. Thématique forte de la prochaine COP24, la transition juste doit incarner l’expression d’une volonté puissante par la communauté internationale d’approcher le changement climatique dans une stratégie d’ensemble pour le développement et l’égalité.

 

Sandra Laquelle est experte en gouvernance publique et conduit des programmes de coopération internationale sur les thématiques de gouvernance et changement climatique. Elle est également Consultante pour la Banque mondiale.
 

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