Le coût réel du réchauffement : une facture bien plus lourde que prévu qui pourrait plonger l'économie dans l'abîme. Crédit : stardadw007 / stock.adobe.com.
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Adrien Bilal, enseignant-chercheur en économie à Princeton, et son homologue Diego Känzig à la Northwestern University, bousculent le consensus qui prévaut dans les cercles libéraux, tablant sur des impacts économiques plutôt modérés d’un réchauffement à 2 °C et plus – ce qui justifierait le business as usual actuel, une production pétrolière inchangée – et un coût social du carbone modique. Évalués à l’échelle mondiale et non plus pays par pays, les effets économiques du dérèglement sont six fois plus graves qu’annoncés et influent sur le coût de la décarbonation.
L’année 2023 a été la plus chaude jamais relevée depuis 1850 – et sans doute depuis les 100 000 dernières années. 2024 suit le même chemin. La température terrestre s’élevant de 0,3 °C par décennie selon le dernier rapport du Giec, nous monterons à +1,5 °C en 2030-2040. C’est demain ! Cette aggravation a déjà un coût économique considérable. Pourtant, depuis le Rapport Meadows de 1974 sur les limites des ressources terrestres, les économistes libéraux sous-estiment ce coût dans les grandes largueurs.
Il y a dix ans, après avoir chiffré le calcul bénéfices-risques du réchauffement et estimé le coût social du carbone, ils concluaient en ces termes : “Rien d’alarmant !” Selon eux, les nuisances climatiques n’affaibliraient pas gravement la croissance ni le PIB mondial. Elles offriraient même de multiples opportunités, allant de la réparation des dégâts aux nouvelles énergies. C’est aussi l’avis du prix Nobel d’économie 2018, William Nordhaus : pour lui, le coût d’un réchauffement de +3 °C en 2100 n’affecterait que de 0,25 % le revenu national américain. Et de seulement 8,5 % lorsque la planète affichera un +6 °C (!). Conséquence très politique de ces analyses : le coût des dépenses des États-Unis dans la lutte pour compenser le coût social du carbone ne doit pas aller au-delà. Un front macro-économiste dénonce cet irréalisme total.
Comment chiffrer des dégâts dont nous ignorons l’ampleur ? se demandent-ils. Comment évaluer les coûts de ce cortège d’incendies géants, de tempêtes, d’ouragans, d’inondations, de côtes perdues ? Et quel sera le prix des morts ? Le calculer, n’est-ce pas déjà les accepter ? Sans compter les interactions catastrophiques dues aux nuisances climatiques (fonte rapide des pôles, élévations des eaux, méga-feux, désertification, réchauffement marin, prolifération d’espèces nuisibles, tsunami, etc.) mais aussi les dommages économiques afférents, par exemple le coût des services écosystémiques perdus (captation de carbone, dépollution naturelle…), le coût des déplacements de population, des guerres de l’eau, des assurances… Aux États-Unis, les dépenses imputées aux catastrophes naturelles (y compris sanitaires et d’assurances) se monteraient à 360 milliards de dollars (306 milliards d’euros) par an pour la décennie à venir.
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Adrien Bilal : Notre étude estime que les dommages macro-économiques causés par le changement climatique sont six fois plus importants que ce que l’on pensait. Comment obtenons-nous ces conclusions ? Nous nous focalisons sur l’effet de la température mondiale sur l’économie plutôt que d’extrapoler à partir des températures locales, comme l’ont fait les travaux précédents. Nous évaluons l’impact de la température mondiale sur l’activité économique globale, en particulier sur le PIB mondial. L’avantage principal de notre approche est qu’elle est holistique (ou systémique). Nous avons pris en compte tous les canaux de transmission possibles (impacts sur la productivité, les assurances, la santé, les coûts des dégradations, des réparations, etc.). Nous évaluons qu’une augmentation de 1 °C de la température mondiale entraîne une diminution de 12 % du PIB mondial, contre 1,5 % localement. C’est la température mondiale qui importe. Si l’on considère un scénario plausible de réchauffement de +3 °C supplémentaires d’ici 2100 par rapport à aujourd’hui, on obtient une perte de PIB de l’ordre de 50 % d’ici la fin du siècle et une perte de pouvoir d’achat moyen de 31 %.
“Une perte de PIB de l’ordre de 50 % d’ici la fin du siècle et une perte de pouvoir d’achat moyen de 31 %.”
Ces chiffres sont comparables au pic de la grande dépression américaine de 1929, mais de façon permanente. C’est-à-dire que la perte de pouvoir d’achat liée au changement climatique équivaut à celle de la crise de 1929… mais pour toujours.
Le rapport Stern fut un événement majeur dans les discussions autour de l’impact du changement climatique sur l’activité économique. Il a été très discuté. Mais en 2006, on disposait beaucoup moins de résultats empiriques fiables qu’aujourd’hui, l’évaluation des dégâts économiques dépendait plus d’hypothèses peu vérifiées. Depuis, les économistes ont tendance à sous-estimer les conclusions de Stern. Ainsi, d’importantes études publiées dans l’American Economic Journal et dans Nature ont établi qu’une augmentation de 1 °C de la température implique une réduction au minimum de 3 % de la production à moyen terme. Si vous admettez ces résultats, 3 à 4 °C de réchauffement d’ici à la fin du siècle n’apparaissent pas problématiques, pour peu que l’on imagine une croissance économique continue.
Chez Stern, on trouve un certain nombre d’hypothèses négatives sur l’effet des points de bascule climatique. Par exemple, une fonte rapide de la péninsule Antarctique et l’augmentation accélérée du niveau des mers correspondent à un niveau de réchauffement à partir duquel les dommages terrestres et économiques deviennent très importants et affectent l’économie mondiale. Mais le réchauffement reste difficile à évaluer, parce que, par définition, on ne l’a pas encore atteint. Le rapport Stern fait l’hypothèse que ces effets de bascule ont un impact économique décisif. Mais il est difficile de le vérifier empiriquement.
La fréquence des événements extrêmes, comme les vagues de chaleur, les tempêtes et les précipitations, s’intensifie de façon très marquée lorsque la température mondiale augmente. Or, on sait que ces événements peuvent être très dommageables à l’activité économique globale. Par exemple, les vagues de chaleur ont des effets néfastes sur le secteur agricole : réduction de rendements, sécheresses… D’autres secteurs d’activité à forte composante en extérieur (bâtiment, tourisme) se trouvent très affectés… En second lieu, nous montrons que la productivité et l’investissement déclinent beaucoup plus au niveau mondial quand les événements extrêmes se multiplient et que la température augmente. Au bout du compte, ce sont l’économie globale et le PIB mondial qui sont impactés.
Aujourd’hui, les évaluations traditionnelles de l’impact du changement climatique se focalisent sur les températures locales. Par exemple, elles comparent la production agricole de la France et celle de l’Allemagne lorsqu’il fait plus chaud en France. Mais les températures locales et la température mondiale ne sont pas la même chose et elles nous affectent de façon différente. La température mondiale tient compte, par exemple, des températures de surface des océans, contrairement aux températures locales. Or, lorsque les océans se réchauffent, l’évaporation, l’humidité de l’air et les régimes de précipitations changent souvent de manière très significative. Pour comprendre l’impact du changement climatique sur l’économie mondiale, la température mondiale doit être prise en compte – cette distinction entre local et mondial est cruciale.
Rappelons ce qu’est le coût social du carbone : c’est la valeur en euros ou dollars de toutes les pertes économiques présentes et futures associées à l’émission d’une tonne de carbone et au réchauffement climatique qui en résulte. Quand nous calculons le coût social du carbone sur les estimations de la température mondiale, nous renversons la perspective classique sur la rentabilité actuelle de la transition énergétique. Nos résultats impliquent de fixer un coût social du carbone de 1 065 dollars par tonne, au regard de ses effets négatifs au niveau mondial, soit plus de cinq fois la valeur recommandée par l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (190 dollars par tonne), et vingt fois plus que la valeur pratiquée par le gouvernement américain (51 dollars par tonne de dioxyde de carbone évitée).
Pour l’évaluer, le gouvernement ne prend en compte que les bénéfices à l’intérieur de ses frontières et utilise un coût domestique du carbone bien inférieur au coût social du carbone mondial. Selon nos estimations fondées sur la température mondiale, le coût domestique du carbone des États-Unis passe à 211 dollars par tonne et dépasse largement les coûts des politiques publiques de décarbonation. Dans ce cas, une politique de décarbonation unilatérale, sans tenir compte du coût mondial, devient rentable pour les grandes économies, comme les États Unis, et également l’Union européenne d’ailleurs.
Point de basculement
Un point de basculement ou tipping point est une modification brutale, aux effets d’engrenage souvent imprévisibles, du système climatique mondial. Le 8 octobre 2024, un collectif de scientifiques alertait dans Bioscience sur ceux qui nous menacent à +2 °C : dégradation des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique ; effondrement partiel du courant océanique atlantique, dont le Gulf Stream ; dépérissement de l’Amazonie ; fonte de la glace de mer hivernale dans l’Arctique – et son effet miroir sur le rayonnement solaire ; disparition des grands glaciers de montagne. Conséquences ? Des effets en cascade spectaculaires, comme la montée rapide des eaux océaniques, la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes (ouragans, tempêtes, inondations), les vagues de chaleur de 50 °C, les mégafeux dans les forêts boréales… “Nous sommes déjà au milieu d’un bouleversement climatique brutal qui menace la vie sur terre comme jamais auparavant“, avertit le codirecteur de l’étude, William Ripple (université d’État de l’Oregon).
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