Partager la publication "Le darwinisme économique, réalité et opportunité"
On comprend aussi le recours à l’”État-providence” (quasi-pléonasme dans notre pays), d’autant qu’il est actionnaire minoritaire de l’entreprise. On comprend enfin la volonté locale de faire pression sur le gouvernement afin qu’il tienne la promesse très vite exprimée par le chef de l’État puis le Premier ministre, de “trouver une solution”.
Une promesse qui en rappelle immédiatement d’autres (les sites d’Arcelor Mittal à Florange, de PSA à Aulnay-sous-bois ou de Petroplus à Petit-Couronne…), qui n’ont pas été tenues. Pourtant, au-delà du cas spécifique mais emblématique d’Alstom, on doit s’interroger sur l’attitude la plus efficace à adopter dans ce type de situation, sachant que bien d’autres entreprises et activités sont menacées par l’économie mondialisée.
Le statu quo intenable
Une première façon de répondre à cette question est d’observer lucidement l’histoire économique et sociale des peuples. L’exercice montre à l’évidence que le statu quo n’est pas tenable sur le long terme, et que le changement est la règle.
Toutes les innovations techniques majeures ont eu des conséquences considérables sur la vie des êtres humains, depuis le premier feu qu’ils ont eux-mêmes créé (environ 500 000 ans avant J.C.) jusqu’à l’ordinateur (1936), en passant successivement par l’écriture (5000 avant J.C.), la roue (vers 3500 avant J.C.), le cadran solaire (1500 avant J.C.), le moulin à vent (700 avant J.C.), la charrue (300 avant J.C.), le moulin à eau (200 avant J.C.), les lunettes (1300), le canon (1313), l’imprimerie (1454), la pile électrique (1800), le train (1804), la bicyclette (1817), la photographie (1839), le téléphone (1876), la voiture (1883), l’avion (1890), la radio et le cinéma (1895), la télévision (1926), la bombe atomique (1945) et bien d’autres encore.
Développement du numérique
Depuis trois siècles, les changements se sont accélérés avec l’avènement des “révolutions industrielles” (l’expression est attribuée à Adolphe Blanqui, frère d’Auguste et chantre du “ibre-échange”, 1798-1854). Leurs effets ont été encore plus marqués que par le passé en matière économique, sociale, démographique, sanitaire, culturelle ou politique.
Ainsi, l’invention de la machine à vapeur (début du XVIIIe) a inauguré une nouvelle ère, comme la domestication de l’électricité (début du XIXe) ou l’exploitation à grande échelle du pétrole (milieu du XIXe siècle). Depuis les années 1980, l’accélération s’est poursuivie avec le développement du numérique. Comme les précédentes, elle trouve des applications dans l’ensemble des composantes de la production économique : services, industrie, agriculture.
La survie par l’adaptation
Tous les domaines d’activité se sont profondément transformés : automobile, aviation, chantiers navals énergie, sidérurgie, textile… Dans le processus, de nombreux acteurs ont été laissés au bord du chemin. Des entreprises ont fermé, alimentant depuis des années un taux de chômage croissant et préoccupant.
Le cimetière des marques est rempli de noms ayant connu une période de gloire (parfois longue) avant de disparaître, lorsque les produits vendus sous leur appellation ont perdu de leur pouvoir d’attraction sur les consommateurs. Car ils étaient remplacés par d’autres, plus efficaces, moins chers ou simplement plus “modernes”.
Darwinisme économique
Cette loi fondamentale de la survie et du développement devrait inciter tous les acteurs concernés par l’économie à une attitude de réalisme. Car il est difficile de braver les lois de nature. Mais cela ne leur interdit évidemment pas de tout faire pour empêcher les difficultés de survenir, en s’efforçant de les prévenir. Le darwinisme économique n’est pas un fatalisme.
Le changement devenu exponentiel
Avec l’”intelligence artificielle”, elle est appelée à bouleverser de nombreux métiers que l’on croyait préservés : secrétaire, journaliste, aide à domicile, consultant, gestionnaire de patrimoine, etc. Elle se développe même à un rythme exponentiel, illustré par la loi de Moore (doublement des capacités de calcul des ordinateurs doublée en moyenne tous les dix-huit mois).
On sait aujourd’hui que bien d’autres innovations dites “de rupture” sont à venir. Elles vont plus encore bouleverser l’existant et obliger à des réactions rapides.
Mondialisation
Mais la mondialisation présente en contrepartie quelques avantages : élargissement des échanges ; harmonisation des pratiques ; amélioration générale du niveau de vie et de l’état de santé ; réponse de plus en plus commune à certains défis comme la préservation de l’environnement ou la lutte contre les maladies…). On peut ajouter que l’innovation technologique (notamment en matière de communication) ne fera que renforcer la mondialisation.
Le leurre du repli sur soi
Sauf à provoquer des tensions ou des guerres, qui favoriseront quand même l’innovation (notamment en matière d’armement) et la volonté de conquête territoriale, donc une forme (malheureuse) de mondialisation. Tout en appauvrissant et en décimant les populations concernées.
Pourquoi d’ailleurs vouloir empêcher les laboratoires de poursuivre leurs recherches et proposer de nouveaux objets ou services, qui induiront de nouveaux modes de vie ? C’est aux destinataires de ces innovations (individus et consommateurs) de décider in fine de ce qu’ils souhaitent en faire, dans la mesure bien sûr où ils sont objectivement informés de leurs usages possibles.
Une lutte vaine contre le cours de l’Histoire
Quant à la lutte contre la mondialisation, elle paraît également vaine, car inscrite dans l’Histoire, passée et à venir. Les procès fait aux multinationales ou aux migrants ne les empêcheront pas de continuer d’être présents sur notre sol ou de tout faire pour l’être. Les premières sont poussées par la nécessité du développement économique, les seconds par le besoin irrépressible (et compréhensible) de la survie.
La construction de murs, les discours hostiles et le principe de “préférence nationale” ne dissuaderont pas les réfugiés de pays en guerre ou soumis à la famine de “débarquer” (au propre ou au figuré) dans le nôtre, tant qu’il restera bien plus riche à leurs yeux que ceux qu’ils doivent fuir.
Dimension européenne
De la même façon, les multinationales ne pourront pas être renvoyées “chez elles”, puisqu’elles n’ont pas en réalité de territoire fixé et limité. Ce qui n’interdit en aucune façon de faire en sorte qu’elles paient leurs impôts comme les autres, et jouent avec les mêmes règles dans le grand jeu planétaire. Mais cela ne pourra être obtenu par un pays isolé et replié sur lui-même. La dimension européenne est le minimum nécessaire pour réussir.
La “mobilité”, clé de l’avenir
Idéologique pour les syndicats qui devraient accepter et accompagner le changement. Et considérer l’adaptation comme nécessaire et stimulante, plutôt que nuisible par principe.
Géographique pour les employés touchés par les changements, qui pourront poursuivre leur vie ailleurs, d’autant plus facilement et heureusement qu’ils ne considèreront pas cela comme une catastrophe ou une punition.
Culturelle, enfin, pour l’ensemble de la société, qui devra se faire à l’idée que la continuité n’est pas l’état naturel de la vie, et que c’est au contraire le changement qui est la règle. Et que le darwinisme économique n’est pas seulement une réalité, mais aussi une opportunité.
Gérard Mermet.
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