Partager la publication "L’économie de la seconde main : “Un enjeu social davantage qu’écologique pour l’Afrique”"
Edem d’Almeida, entrepreneur togolais engagé dans la gestion des déchets textiles, a fondé un centre de tri au Togo. Il est aussi président de l’ONG internationale d’éducation environnementale Moi Jeu tri. Lors du Refashion Day, qui s’est tenu le 5 novembre 2024, il a souligné une réalité méconnue : en Afrique, l’économie de la seconde main dans la mode est devenue un pilier de survie, mais aussi une composante de ce qu’il appelle “l’économie de la pauvreté”.
Pour lui, les enjeux dépassent largement la simple question de l’écologie. Il plaide pour des solutions qui prennent en compte les spécificités locales et proposent des opportunités économiques durables. Selon lui, les approches actuelles, souvent guidées par des perspectives humanitaires, limitent les vraies avancées et créent une dépendance néfaste. Alors qu’une approche économique aurait davantage de sens. WE DEMAIN a pu échanger avec lui sur ce sujet.
WE DEMAIN : Comment le marché de la seconde main est-il devenu un élément central de l’économie de la pauvreté en Afrique ?
Edem d’Almeida : Cela a commencé comme un marché de développement. En Afrique de l’Ouest, notamment au Togo dans les années 90, des fortunes se sont construites autour de la friperie, portée par des entrepreneurs locaux, souvent nigérians. Mais au fil des années, cette activité est devenue un pilier de survie pour beaucoup.
Aujourd’hui, c’est devenu un secteur où les gens se lancent par nécessité, pour trouver un moyen de subsistance, un “exutoire” dans une économie informelle. C’est pourquoi je dis que la seconde main est devenue une composante de l’économie de la pauvreté.
Quel est l’impact de cette économie de la seconde main sur les populations locales ?
Les enjeux en Afrique ne sont pas que des questions écologiques. On parle avant tout de paix sociale. Tant que 80 % de notre économie repose sur l’informel, sur cette économie de survie, il est impossible d’ignorer son rôle stabilisateur. Aborder le marché de la seconde main uniquement du point de vue écologique ou en pensant uniquement au bien-être de la planète, c’est passer à côté des priorités locales. Pour nous, la gestion des déchets doit aussi nourrir des emplois, des revenus. C’est en stabilisant l’économie informelle que l’on peut maintenir la paix sociale.
C’est pour cela que vous parler d’un besoin de coopérations économiques davantage de de projets humanitaires ?
La plupart des initiatives autour des déchets en Afrique se basent sur une approche humanitaire, comme si le continent ne pouvait être qu’un bénéficiaire d’aides. Cela fausse toutes les équations. Je crois qu’il est essentiel de sortir de cette logique et de créer des liens de coopération économique classiques. Il faut aborder la gestion des déchets comme une opportunité de développement, et non comme un problème à résoudre depuis l’extérieur. Les solutions humanitaires créent une dépendance qui, au final, freine notre développement.
Quelles sont les difficultés spécifiques liées aux vêtements de seconde main envoyés en Afrique ?
Nous recevons souvent des vêtements inadaptés, invendables sur place. Par exemple, des manteaux ou des bonnets dans un climat à 35 degrés ! Ce sont des produits que même le meilleur vendeur aurait du mal à écouler. Nous avons parfois jusqu’à 30 à 40 % de vêtements inutilisables dans les lots reçus. Pour que la seconde main soit une véritable ressource, il faut que les vêtements envoyés correspondent aux besoins locaux et à notre réalité. Il faut mettre en adéquation les importations avec nos réels besoins.
Cela a pour conséquence une accumulation de déchets dans les pays qui reçoivent ces balles de vêtements inadaptées…
Oui, l’Afrique doit créer ses propres filières locales de recyclage et de valorisation. Trop souvent, on nous parle de solutions importées d’Europe ou d’ailleurs. Mais ces solutions doivent être adaptées à notre contexte. Par exemple, il ne s’agit pas de copier-coller un modèle de recyclage européen. Il faut que les initiatives naissent ici, en réponse aux besoins et aux contraintes locales. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra en faire une réelle ressource économique et non un fardeau.
Comment voyez-vous l’évolution du marché du textile en Afrique avec l’augmentation du pouvoir d’achat de la classe moyenne ?
Nous assistons à un changement. Désormais, les Africains veulent du neuf, et de plus en plus de commerçants locaux se tournent vers des produits neufs à bas coût en provenance de pays comme la Chine ou la Turquie. Ce qui rend la seconde main moins attrayante. En Afrique, on ne se contente plus des produits de seconde main envoyés d’Occident, d’autant plus que le pouvoir d’achat augmente dans certaines régions. Cela risque de poser un problème pour les exportateurs de seconde main, car cette nouvelle classe moyenne aspire à d’autres produits. Selon moi, dans dix à quinze ans maximum, il ne sera plus possible d’exporter de la seconde main vers l’Afrique.
Pour vous, quel serait le modèle idéal de coopération internationale pour accompagner le développement des filières de tri et de recyclage en Afrique ?
Je pense qu’il doit être basé sur des partenariats d’entreprises, de « business à business », et non de gouvernement à gouvernement. Le passage par les gouvernements ralentit tout et les financements ne sont pas toujours bien utilisés. Il faut des collaborations directes entre entreprises africaines et étrangères pour créer des écosystèmes durables ici. Cela apporterait bien plus de valeur et de stabilité qu’une aide humanitaire, qui, même si elle est bien intentionnée, ne résout pas les problèmes de fond.
Selon vous, quelles sont les priorités à court terme pour améliorer la gestion des textiles en Afrique ?
Cela devrait être la formation, l’éducation, et l’innovation. Il faut former les acteurs locaux aux nouvelles techniques de recyclage, éduquer la population à mieux gérer les déchets textiles, et développer des solutions adaptées à notre contexte. Cela passe aussi par des politiques publiques qui encouragent l’initiative privée. Les réponses ne viendront pas uniquement de l’extérieur. C’est en développant des compétences locales et en investissant dans notre propre capacité à valoriser ces ressources que nous pourrons réellement progresser.
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