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Les instagrameurs virtuels sont-ils les influenceurs de demain?

Retrouvez notre dossier sur les influenceurs dans WE DEMAIN n°25. Un numéro toujours disponible sur notre boutique en ligne

Après le succès des youtubeurs et des instagrameurs, l’heure des influenceurs virtuels a-t-sonné ? C’est en tout cas ce que semble conclure une étude menée par la plateforme marketing Hype Auditor et publiée le 14 novembre dernier.

Ces modèles 3D susciteraient au moins deux fois plus d’engagement que les véritables influenceurs sur les réseaux sociaux. L’année 2019 a vu une multiplication de leur nombre, avec l’apparition de la première influenceuse virtuelle française, Gaïa, ainsi que l’intérêt croissant de marques comme KFC ou Essence Cosmetics.

Décryptage du phénomène avec Marie-Nathalie Jauffret, sémiologue, chercheuse en communication et spécialiste du langage non verbal à l’International University of Monaco (IUM).

Les biodigitaux représentent l’influenceur parfait. Ils peuvent avoir tous types de profils physiques et intellectuels. Ils ne demandent pas de jour de congé, tiennent des discours bien pensés et ne se révoltent jamais car ils ne sont que des représentations digitalisées. Mais tellement bien exécutées qu’il est facile de leurrer les followers qui ne savent pas, ou oublient au fil du temps, que ce ne sont que des leurres. Il est donc fascinant pour une chercheuse de pouvoir analyser un phénomène naissant et de suivre son évolution.

Lorsque je me suis engagée sur l’étude de ces personnages, j’ai souhaité prendre les plus reconnus sur internet. J’ai donc choisi de suivre Miquela Sousa, une jeune chanteuse nord- américaine qui a annoncé qu’elle était en réalité une génoïde (un robot de type féminin). Mais aussi Blawko, son ami de toujours, qui révèle parfois une attitude plus robotique qu’humaine, et une femme d’origine africaine Shudu Gram, créée par un photographe londonien.

Cette dernière, à la différence des deux autres, est clairement présentée comme biodigitale, mais les followers continuent de diffuser son image en la considérant soit comme un robot, soit comme une humaine. Pour mieux les suivre, j’ai donc analysé 72 000 commentaires de followers.

RISQUE DE LA FASCINATION

Ces influenceurs sont comparables aux humains dans la construction de leur personnage – ce que les anglophones nomment persona ou personae. Ils conseillent, guident, critiquent, font rêver et/ou se font détester. La différence avec les biodigitaux c’est que leur identité est floutée. Les followers se questionnent alors à chaque instant. Par exemple, si sur le ventre n’apparaît pas de nombril, les abonnés déclarent qu’effectivement Blawko est bien un robot. Mais quand Lil Miquela mange une glace, des questions sur la capacité robotique à ingérer un liquide refont surface.

Nos recherches prouvent que plus de 54 % des followers pensent ces personnages comme robots/androïdes. Mais un tiers d’entre eux les considèrent humains !

Avec les biodigitaux, le monde digital a reproduit un monde à l’identique, mais qui entraîne les millions de jeunes, nés avec et maîtrisant l’ère numérique, dans une spirale de contes et légendes (positifs ou négatifs). Et c’est cette ambivalence qui permet de laisser le livre toujours ouvert car la fin de l’histoire ne se présente jamais.

La fascination pour les biodigitaux présente un risque, celui de diminuer le libre arbitre, de dépendre psychologiquement de ce type de représentation. Dernièrement, Lil Miquela a incité ses followers à aller voter – elle n’a pas précisé le nom du candidat mais son comportement, ses opinions sont souvent claires à ce sujet. Toutefois des followers lui demandaient d’être plus précise pour suivre son conseil. Donc, effectivement, la manipulation des foules à un niveau mondial peut être grisante pour une équipe qui travaille sur la construction d’un biodigital.

Les biodigitaux, en termes de communication, commencent tout juste à naître. J’ai le sentiment qu’une course pourrait s’établir entre eux et les robots. La plus célèbre des robotes se nomme Sophia et elle vient d’acquérir la nationalité saoudienne. Oui, avec un vrai passeport estampillé en Arabie Saoudite ! Aucune des biodigitales n’a encore eu cette possibilité, mais cela pourrait être proposé par une équipe de communication pour les rendre plus légitime dans leurs actions.

Les biodigitaux prennent un chemin plus artistique pour l’instant, celui de la mode en s’exposant pour des marques de luxe comme Lil Miquela ou Noonoouri, star virtuelle travaillant pour les plus grands (Dior, etc…). Chacun sa direction, mais la rencontre et les échanges viendront.

Pouvoir de la manipulation

L’être humain est ainsi fait. À chaque innovation, il y aura toujours un individu pour vouloir en tirer profit. Que cela soit pour de l’argent ou du pouvoir. Je reste persuadée que des biodigitaux seront, aussi, utilisés comme jouets servant l’intérêt vénal. Certains seront imaginés pour haranguer les foules et les mener là où un groupe l’aura décidé. Le pouvoir de la manipulation est à leurs portes. Tout dépend du législateur et de l’obligation qui sera faite d’indiquer que ce sont des personnages de création digitale.

Roland Barthes disait que la vie est un théâtre. La vie devient sans nul doute un conte dans lequel des personnages apparaissent et transforment la réalité, notre réalité. A nous de savoir écrire les plus belles pages de ce conte.  

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