Partager la publication "Les Molières, ville laboratoire de la politique citoyenne"
La politique, il a commencé par la plaquer. Yvan Lubraneski était de tous les combats au début des années 1990, alors étudiant en sciences politiques à Lyon : parti socialiste, Unef (Union nationale des étudiants de France), MJS (Mouvement des jeunes socialistes)… “Je me suis rendu compte du décalage entre ce que j’attendais de la politique et le comportement des gens qui en faisaient, raconte l’homme aujourd’hui âgé de 45 ans. J’ai continué à m’y intéresser, mais j’ai stoppé mon engagement.” Il travaille à la direction générale de la Police nationale jusqu’en 1999, puis vit de la musique. Yvan Lubraneski chante encore aujourd’hui une à deux fois par mois dans des comités des fêtes ou maisons de retraite, et il tire l’essentiel de ses revenus de l’agence de communication qu’il a créée. Coupe impeccable, jean noir étroit, chemise blanche, veste noire et baskets : c’est vrai qu’il a un air de crooner. Mais il est surtout maire des Molières, village de 2 000 habitants dans l’Essonne, depuis 2014. Sa mairie est une bâtisse en meulière, en retrait de la rue principale. En face, s’alignent quelques commerces : épicerie, boulangerie, coiffeur, boutique de vélos, pharmacie et un bar où le maire discute avec chacun. Au-delà du centre, s’étalent des pavillons, puis des champs.
“De la place pour chacun”
Réconcilié avec la politique ? Oui, mais pas celle de ses 20 ans. Il gère sa ville avec ses habitants, à l’avant-garde des nouveaux codes politiques participatifs. En mars dernier, avec quatre autres maires – Châtel-en-Trièves (Isère), Langouët (Ille-et-Vilaine), Ayen (Corrèze), à Longpont-sur-Orge (Essonne) –, il publiait un livre, Des communes & des citoyens, engagez-vous !. L’objectif : renforcer le mouvement des listes citoyennes. Car partout, déjà, des Français s’unissent en vue des élections municipales de mars 2020. Les quelques mois restant ne seront pas de trop. Il a fallu un an de concertation à Yvan Lubraneski et son collectif pour construire leur projet électoral de 2014. Résultat ? Aucune autre liste ne s’est présentée ! Ils ont été élus à 100 %. “Pourquoi s’opposer à une dynamique ayant fait de la place pour chacun dans le processus d’élaboration du projet ?”, commente-t-il.
“Je me sens utile”
Les finances sont ici publiques, pour de vrai, publiées en détail dans le bulletin municipal. La transparence est un principe de base. Et le point de vue de chacun compte. Pendant les réunions, on se place en cercle, on suscite la prise de parole des uns et des autres. On cherche les décisions qui obtiennent le consentement de tous. 200 personnes environ sont régulièrement impliquées dans les commissions. Jacqueline Falaise, retraitée de 70 ans qui aime s’occuper des personnes âgées, organiser des fêtes pour le village, est de celles-là. “Chaque fois qu’il y a une réunion sur mes sujets, j’ai ma petite convocation”, apprécie-t-elle. Jules, 11 ans, aussi. Il a participé à l’organisation d’une semaine anti-gaspillage, à la création du parcours de santé. “Je me sens utile”, dit le collégien.
Un sondage Opinionway paru en mai (Les Français et l’engagement citoyen pour les élections municipales) avance que 71 % des Français sont prêts à participer à l’élaboration du programme. Et 32 % se disent partants pour faire partie d’une liste électorale. L’effet Gilets jaunes ? Pas seulement. Le mouvement est déjà mondial. Ce qu’on appelle “le municipalisme”, ces expériences de renouveau démocratique locales, émerge des États-Unis à la Pologne, en passant par l’Espagne ou l’Italie. En juin 2017, un rassemblement des « villes sans peur» (Fearless cities) à Barcelone, réunissait 700 participants du monde entier. En France, avec Les Molières, quelques communes, comme Saillans (Drôme) ou Ungersheim (Haut-Rhin) ont ouvert la voie.
Pour Yvan Lubraneski, la phrase clé, c’est : “Ce qui est dans la loi, on le respecte, ce qui n’y est pas, on l’invente.” Les capacités d’innover sont immenses, assure-t-il, même s’il faut du temps. Aux Molières, pour trouver un consensus sur les rythmes scolaires, il a fallu un an et demi de concertation. “La démocratie, précise le maire, ça ne peut pas être de la téléréalité, on appuie sur un bouton pour voter et c’est tout. Il faut amener les citoyens à un niveau d’information qui leur permet de prendre des décisions ensemble.” Et gare aux faux-semblants, prévient-il: “Le plus commun, ce sont les conseils de quartier organisés de façon descendante. Les élus portent la bonne parole, se confrontent à quelques contestataires et c’est tout. Les budgets participatifs en font aussi partie. C’est souvent une insulte ! Des miettes qu’on jette en disant : ‘Amusez-vous avec ça’.”
“Nouvelle culture démocratique”
L’enjeu dépasse le niveau communal. “Plus on sera nombreux à se lancer, plus on ringardisera ceux qui ne le font pas, poursuit-il. Avec le temps, une nouvelle culture démocratique peut prendre vie et atteindre par exemple l’Assemblée nationale. Sans forcément changer les institutions, il suffirait d’une pratique. Qu’est-ce qui empêche un parlementaire de passer du temps avec les professionnels, les citoyens concernés par un texte de loi sur l’école ou la santé, avant de décider, indépendamment de son groupe ? La coconstruction des lois est déjà possible.” Ces listes citoyennes sont du sang neuf pour une “démocratie fort abîmée, juge Christian Proust. En remplaçant les joueurs actuels, avec de nouvelles règles du jeu, à commencer par la base, on transformera la culture politique. Il faudra du temps. Et beaucoup de volonté.” Allez, au boulot !