Partager la publication "Manifeste pour une politique collaborative et disruptive"
L’élection présidentielle est sans doute la dernière occasion d’entreprendre l’énorme travail de redressement nécessaire. Il ne sera pas possible sans une approche collaborative, c’est-à-dire une implication et une participation effectives des citoyens tout au long du processus d’adaptation au réel.
Mais l’approche devra aussi être disruptive, c’est-à-dire modifier en profondeur les habitudes, les attitudes, les comportements, les relations. Un changement de paradigme qui entraînera une remise en cause des missions et des actes de l’État, mais aussi des modes de vie et de pensée des citoyens.
Une société malade
Le diagnostic sociétal de notre pays malade peut se résumer en quelques points :
– un climat délétère, miné par l’agonie du “modèle républicain” (suite à ses promesses non tenues), la montrée du communautarisme, la méfiance envers les “autres”, le divorce avec les acteurs politiques, économiques, sociaux, institutionnels, médiatiques ;
– des inégalités accrues dans de nombreux domaines (éducation, santé, logement, alimentation, activité, revenus, patrimoines, logement, loisirs, perspectives personnelles, etc.) ;
– une capacité d’innovation freinée par les contraintes administratives, l’insuffisante synergie entre le public et le privé, ainsi que le “principe de précaution” ;
– la peur engendrée par le terrorisme islamiste sous ses formes actuelles et à venir ;
– la menace environnementale, sans doute plus “durable” et difficile à éradiquer que la précédente, bien que moins présente dans l’esprit des Français ;
– la question migratoire, liée à l’afflux présent (bien que moins marqué en France que dans d’autres pays de l’Union, contrairement au sentiment répandu dans l’opinion) et surtout à venir de populations fuyant la guerre, la pauvreté, la dictature ou les changements climatiques.
Une économie affaiblie
– un endettement insupportable (plus de 2 100 milliards d’euros, près de l’équivalent d’une année de PIB), qui ne facilité évidemment pas l’investissement dans l’avenir ;
– le taux de dépenses publiques le plus élevé des pays de l’OCDE après la Finlande (57 % du PIB en 2014, contre un minimum de 34 % en Suisse), sans véritable plus-value de service associée. Notre système de santé, même s’il demeure de qualité, n’est plus un modèle. Il en est de même en matière d’éducation, de politique énergétique ou de protection sociale ;
– un taux de chômage préoccupant (officiellement 10 % de la population active officielle, et plus du double parmi les 18-24 ans) qui décourage, appauvrit et aigrit la population dans son ensemble ;
– des déficits chroniques en matière de santé et surtout de retraite (241 milliards d’euros), qui vident les caisses concernées et accroissent la dette ;
– des déséquilibres économiques croissants (parts de marché, balance commerciale, attractivité de la France pour les investisseurs…) qui obèrent les résultats des entreprises et réduisent les recettes fiscales.
Leur liste est connue : histoire, géographie, démographie, culture, épargne, qualité de vie, infrastructures, leadership dans certains secteurs économiques, résilience… Mais elle ne parvient guère à les exploiter. Si l’on y regarde de près, certaines “exceptions françaises” sont même devenues des handicaps : égalitarisme parfois paralysant ; “petisme” et myopie empêchant de voir loin et net ; hédonisme peu compatible avec la nécessité de faire des efforts ; tabou des “avantages exquis” interdisant de prendre en compte les changements de contexte ; culte de l’exception excluant d’examiner vraiment ce qui se fait ailleurs, plus encore de l’importer, même en l’adaptant…
Dans ces conditions, il serait irresponsable d’être aveuglément optimiste et de continuer d’attendre des jours meilleurs. Il faut au contraire les provoquer. Nous sommes de toute évidence arrivés à la fin d’une ère, que nous ne pourrons pas prolonger. Il n’y a pas d’autre choix que d’en inventer une autre, plus conforme à nos aspirations, plus compatible avec le nouveau monde dans lequel nous vivons déjà. Plus satisfaisante pour le plus grand nombre et ceux qui vont nous succéder.
Une gestion collective des “biens communs”
Ils diffèrent aussi des “biens privés”, gérés par les individus et les organisations d’initiative privée. Leur prise en compte spécifique ouvrirait ainsi une “troisième voie” dans le fonctionnement de la société. Elle permettrait en particulier de mobiliser les citoyens dans le cadre d’une gestion collective de ces biens communs, dans une version (très) modernisée de pratiques qui existaient au Moyen-Âge, notamment en matière agricole (gestion commune par les ménages concernés des terres à cultiver et entretenir, mais aussi des usages, des droits et des responsabilités de chacun).
Plus efficace et créative en tout cas que lorsque c’est l’État, souvent trop éloigné du “terrain”, qui s’en occupe. Moins éphémère aussi que lorsque ce sont les individus ou organisations privés, qui tendent à les surexploiter et à les épuiser, comme c’est le cas aujourd’hui de nombreuses ressources naturelles, notamment végétales et animales.
La bonne gestion des biens communs ne pourra se faire qu’en ayant le souci du bien commun, auquel notre prix Nobel d’économie Jean Tirolle a consacré son dernier livre. Cette troisième voie doit être explorée et intégrée par les politiques qui souhaitent vraiment se mettre au service du pays, animer sa nécessaire adaptation et mettre en place les multiples réformes et transformations qu’elle implique.
Refonder une démocratie de plus en plus imparfaite
Des outils qui permettent à la fois la mise en relation des individus (illustrée par exemple par les plateformes comme Blablacar ou Leboncoin) et la constitution d’une “intelligence collective” comme l’a démontré le pionnier Wikipedia. Cette piste de refondation constitue une clé pertinente pour associer les Français à leur destinée, les responsabiliser et les déculpabiliser.
Elle permettra de les rendre à la fois plus actifs, réactifs et proactifs. Et surtout plus satisfaits, dans la mesure où ils auront le sentiment de conduire eux-mêmes le changement, profitant de ses effets plutôt qu’en subissant ses contraintes. Une façon aussi de donner du sens à leur vie, à un moment où il est difficile à percevoir. La gestion collaborative des “communs” est enfin le moyen de refonder une démocratie de plus en plus imparfaite.
Une approche disruptive des solutions
La disruption permet de partir d’une feuille blanche (même si elle est en réalité couverte de filigranes que l’on croit invisibles), de considérer un problème “autrement” et sans tabou, de “casser les codes”, de mettre en cause les conventions et de mettre en place une “vision” originale, qui va bouleverser les anciennes et ouvrir de nouveaux champs.
L’intelligence collective citée précédemment peut être mise au service de cette approche disruptive. Si on leur donne l’envie et les moyens de réfléchir ensemble, les Français peuvent être plus créatifs et efficaces que des leaders politiques issus des mêmes moules conformistes, empêtrés dans leurs certitudes, empêchés par les appareils des partis traditionnels, et éloignés des réalités.
Dernière chance avant l’accident ?
Seule une approche courageuse, collective et créative permettra de redresser le pays. Dernière chance avant l’accident ? Les candidats à l’élection ne pourront pas continuer de faire croire aux électeurs qu’il est possible de résoudre les problèmes du pays avec les moyens classiques, dont on a vu au fil des années l’inefficacité croissante.
Ils ne pourront écrire leurs programmes en puisant dans les “boîtes à outils” traditionnelles issues d’idéologies censées être opposées : relance ou austérité, libéralisme ou socialisme… Ils ne pourront promettre des réformes en matière d’éducation, de santé, de fiscalité, d’emploi, de retraite, tout en promettant de réduire les dépenses publiques et en augmentant le pouvoir d’achat.
Une approche collaborative et disruptive
Ce pourrait être la dernière avant l’accident : guerre civile, révolte, révolution, paupérisation, relégation… Cela implique d’abord que les candidats disent toute la vérité aux électeurs, et qu’ils leur proposent de mettre en place des solutions originales et puissantes pour aborder de front les problèmes qui minent le pays, plutôt que de les esquiver ou de proposer des “demi-mesures”.
Réinventer ensemble et sans tabou
Quant à la méthode des “petits pas”, elle n’est plus possible, compte tenu de la distance à parcourir et du temps limité dont nous disposons pour le faire.
Gérard Mermet, 14 septembre 2016
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