Partager la publication "Mayotte : l’urbanisation au cœur des vulnérabilités face au cyclone Chido"
Les notions de vulnérabilité et de risque sont fortement liées : elles sont le composé de l’aléa cyclonique et de la fragilité de l’organisation sociale de Mayotte. Si les médias font souvent la comparaison entre le cyclone Chido et Dicel de 1934, la force des vents et les dégâts ne sont pour autant pas du tout comparables. Entre 1934 et aujourd’hui, le paysage mahorais a considérablement changé : il s’est urbanisé, artificialisé, littoralisé et densifié. En moins de quarante ans, la population de l’île a plus que quintuplé.
À la vulnérabilité géographique de l’île dans cette zone de l’océan indien s’ajoute donc une vulnérabilité sociale construite : les adaptations sociales aux variations climatiques et démographiques ont eu des effets importants sur le paysage et les ressources naturelles (sols, plantation, urbanisation, eau, forêts…), qui, conjuguées au faible engagement des pouvoirs publics dans la résorption de la crise écologique et démographique ont conduit à une vulnérabilisation générale qui interdit d’opposer catastrophe naturelle et catastrophe non naturelle.
Il y a encore une cinquantaine d’années, le paysage mahorais était rural. Les habitations étaient essentiellement construites en bois et/ou en terre, et les toits en feuilles de cocotiers ou de raphias. Les rares constructions en dur dans l’île se trouvaient dans quelques localités telles que Dzaoudzi et Pamandzi. La case édifiée à l’aide de matériaux naturels (terre et fibres végétales) et son banga ont progressivement été remplacés par des logements en dur avec la création de la Société Immobilière de Mayotte (SIM) et le projet de case SIM pour initialement répondre à la résorption de l’habitat précaire et à l’arrivée de nombreux fonctionnaires. Depuis trois décennies, compte tenu du fort accroissement de la population et de la hausse du niveau de vie, on assiste à une nouvelle forme de logements à étages, réalisés avec des matériaux d’importation (parpaings de béton, ciment, tôle).
En dépit de cette tendance à la modernisation, dès la décennie 1990, d’autres types d’habitats précaires, souvent qualifiés d’informels ou d’irréguliers, ont gagné l’ensemble de l’île, se développant de manière privilégiée dans les périphéries des noyaux villageois et urbains. Des bidonvilles qui dessinent les contours de véritables quartiers, dont chacun possède son historicité et ses temporalités, où des venelles étroites ouvrent sur des espaces publics. Des quartiers qui abritent des populations hétérogènes du point de vue administratif et trop pauvres pour avoir accès au logement social.
En 2017, l’Insee estimait que ces constructions fragiles (majoritairement des maisons en tôle) constituent près de quatre logements sur dix. Les étrangers y vivent bien plus fréquemment : 65 % d’entre eux habitent dans une maison en tôle, contre 25 % des Français natifs de l’île. Durant l’alerte, il paraissait peu probable de mettre à l’abri près de 100 000 personnes dans les 71 centres d’hébergement. D’autant plus que la grande majorité d’entre eux, du fait de l’irrégularité de leur séjour sur l’île étaient méfiants à l’idée de s’y rendre. Dans ce bilan post-catastrophe, on peut se demander où ces personnes sont passées.
Ces habitats précaires sont souvent construits sur les pentes abruptes qui constituent le relief de l’île, dont près de 56 % du territoire sont exposés à au moins un aléa naturel de niveau élevé. Plus globalement, du fait d’une intense pression foncière et démographique, qu’il s’agisse d’une mise en valeur agricole ou de l’extension du bâti, les zones de faible déclivité sont rares et l’occupation des pentes est devenue une obligation. Directement liée aux lacunes de la politique du logement, les hauteurs n’ont de cesse de fabriquer de la précarité qu’un aléa météorologique a vite fait de transformer en catastrophe humanitaire. Cette problématique a été déjà été largement soulignée et étudiée révélant les défaillances d’un état bricolé, un état magnégné.
Pour penser la place de ces logements dans l’île et stabiliser le foncier, il faut sortir de l’ornière d’une vision normative, répressive et sécuritaire (à l’instar de Wuambushu), et transformer les quartiers « par le bas », en les sécurisant, en y apportant les réseaux d’eau et d’électricité, en mettant en place des cheminements sécurisés qui stabilisent les pentes.
Cette question de l’aménagement du sol mahorais se posera très vite dans la mesure où les populations engagent déjà la reconstruction de leur habitat précaire au lendemain du passage de Chido et que d’autres seront vraisemblablement obligées de faire le deuil de l’endroit où ils vivaient du fait de la définition de nouveaux zonages par les autorités politiques classant leurs anciens quartiers comme dangereux.
A cet égard, les récentes déclarations du président Macron sur la mise en place d’une loi spéciale et l’affirmation de la nécessité d’éviter une reconstruction des bangas risque fort de se heurter à la réalité présente. En effet, sur les quelques 100 000 habitants estimés de ces zones, non seulement tous n’étaient pas irréguliers mais ils doivent trouver à se reloger dès à présent. Il faut d’ailleurs rappeler que la saison cyclonique n’est pas terminée et que pluie et vent sont fréquents en janvier.
La vulnérabilité est la conjugaison du degré de conséquences prévisibles des phénomènes liés aux changements climatiques et de la capacité de réponse d’une société face à une crise potentielle. C’est bien cette capacité de réponse qui est problématique à Mayotte.
Dans les situations de crise intense les individus sortent des attitudes et relations sociales habituelles pour développer des interactions spécifiques d’entraide, secours… Toutefois, cette adaptation suppose, d’une part, une capacité à converger avec les aides apportées, d’autre part, une certaine homogénéité des groupes sociaux concernés. À Mayotte, territoire de fortes inégalités et de frontières sociales et spatiales ce n’est visiblement pas le cas. Pour exemple, les commentaires ont vite porté sur la présence des pilleurs et autres « dakous », définis souvent comme les « criminels anjouanais », avec la demande de renforts de forces de l’ordre et d’état d’urgence. S’il ne s’agit pas de minimiser les faits de pillages, ces derniers restent très minoritaires par rapport aux actions de solidarité et révèlent des biais d’interprétation de la catastrophe.
Il y a là un enjeu fort car la perception de l’évènement et sa lecture politique engagent la définition de cette catastrophe comme problème public. Cette définition sera sans doute l’enjeu principal pour penser le traitement des effets dévastateurs de Chido et son « après ». En effet, si l’habitat précaire a été le premier dévasté par le cyclone, c’est aussi celui où se concentre majoritairement les populations migrantes précarisées et stigmatisées. De fait, il est fort probable que la gestion de cette catastrophe soit affectée par les représentations du fonctionnement social de l’île telles que celles qui circulent dans le champ politique hexagonal.
Passée la sidération, la recherche de coupables politiques vient. Elle a visiblement même déjà commencé avec, par exemple, les propos d’Anchya Bamana ou ceux de Jean-Luc Melenchon. D’autres suivront à coup sûr. Cette mise en cause et cette réduction de la calamité à des culpabilités risque d’imposer une lecture pour justifier des choix politiques de sortie de crise. Or, si les dysfonctionnements et vulnérabilités, les hiérarchies et divisions sociales d’avant la crise se remettent en place, il est fort probable qu’elles produisent les mêmes logiques décisionnelles et les mêmes résultats. Le risque est ici encore que Mayotte soit piégée et ne soit pas actrice de son destin, dans l’incapacité d’être mobilisée, en complément de l’assistance publique fournie.
La crise subie par Mayotte est une occasion de repenser nombre d’enjeux comme la raréfaction des ressources, les dégradations de l’environnement, la crise démographique. Envisager “l’après”, c’est aussi faire de Mayotte une actrice d’un projet et d’un récit, d’une mémoire collective, expérience et attitude face au risque.
À propos des auteurs :
– Anthony Goreau-Ponceaud. Géographe, enseignant-chercheur, UMR 5115 LAM, Université de Bordeaux.
– Fahad Idaroussi Tsimanda. Géographe, Université de Montpellier.
– Olivier Chadoin. Professeur de sociologie, Pave – centre Emile Durkheim CNRS 5116, ENSAP Bordeaux.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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