Partager la publication "Metaverse : la guerre est déclarée (pour dominer les mondes virtuels)"
Le 17 octobre 2021, Mark Zuckerberg a lancé les hostilités de manière assez théâtrale. Comme s’il défiait ses concurrents d’en faire autant. Afin de concrétiser son rêve d’enfant, le metaverse, il a décidé de mettre en œuvre des moyens colossaux. 10 000 ingénieurs hautement qualifiés seront recrutés en Europe dans les cinq prochaines années. Cette annonce a été faite quelques jours avant celle du changement de nom du groupe Facebook en Meta, le 28 octobre. Une manière de démontrer ainsi l’engagement total du fournisseur de réseaux sociaux dans la transition vers le metaverse.
Le 22 juillet 2021, dans une interview à The Verge, le créateur de Facebook racontait :
“Je pense à certains de ces trucs depuis le collège quand je commençais tout juste à coder. […] J’écrivais du code et des idées pour les choses que je voulais coder quand je rentrais de l’école ce jour-là. […] L’une des choses que je voulais vraiment construire était un Internet incarné. Où on pourrait être dans un environnement et se téléporter à différents endroits et être avec des amis. […] Je pensais que ce serait le Saint Graal des interactions sociales bien avant d’avoir lancé Facebook. Et c’est vraiment excitant pour moi que cela se fasse sur les prochaines plates-formes.”
Les metaverse nécessitent une combinaison de technologies émergentes et représentent un potentiel commercial considérable. La ruée vers ce nouvel eldorado peut laisser perplexe et même paraître délirante. En effet, le grand public n’a pas exprimé d’engouement particulier pour les dispositifs de réalité virtuelle ou augmentée. Hormis quelques exceptions comme Pokémon Go. Certains dénoncent déjà les dangers et les dérives inévitables. Ils évoquent les récits de science-fiction dystopiques dans lesquels l’humanité se retrouve asservie ou anéantie par la technologie.
Les metaverse seront des mondes virtuels dans lesquels les individus, les entreprises, les organisations, les universités et les pouvoirs publics pourront interagir via des avatars et des simulations. Et ce, dans un but social, culturel, professionnel, éducatif ou créatif. Considérés comme des hétérotopies virtuelles, les metaverse seront soit des environnements numériques familiers hyperréalistes où les utilisateurs feront virtuellement tout ce qu’ils font déjà dans la vie réelle, soit des environnements fictifs imaginaires dans lesquels les utilisateurs potentiellement dotés de superpouvoirs auront une vie extraordinaire via leur avatar.
Si les projets de metaverse se sont multipliés en 2021, ils ne sont pas nouveaux. Depuis 2003, Second Life offre déjà à ses résidents d’avoir une deuxième vie virtuelle. Une vie parallèle sous une autre identité dans un monde numérique persistant. Ils peuvent s’y rencontrer, et même s’y marier. Participer à des événements, assister à des cours ou des concerts, regarder des films… Mais aussi visiter des expositions, ainsi qu’acheter, créer et vendre des objets. Second Life a sa propre monnaie, le Linden, qui a un taux de change en temps réel avec le dollar. Bien que présenté comme le futur d’Internet, Second Life déclinera au fur et à mesure de la croissance des réseaux sociaux.
Dans Second Life, il y a une quinzaine d’années que des entreprises comme Accenture, Alstom, Areva, Axa, Capgemini, Dior, Expectra, Lacoste, L’Oréal, Mercedez ou Unilog organisent des réunions de travail, des séances de recrutement, des tests et des lancements de produits, des levées de fonds, des expositions de voitures, et des défilés de mode. La vente d’objets virtuels, les transactions immobilières et la spéculation boursière y sont banales. Cependant, les nouveaux projets de metaverse prévoient d’aller beaucoup plus loin. Comment ? En proposant un écosystème complet d’applications, de logiciels et d’environnements intégrés destinés à remplacer complètement Internet.
Si Facebook se positionne en pionnier du metaverse, de nombreuses autres entreprises se sont déjà lancées dans des projets concurrents. Avec des approches diverses et des ressources plus ou moins importantes. Comme Microsoft (Minecraft, Halo, et Flight Simulator), Sony et Epic Games (Fortnite, Fall Guys), Ubisoft et Animoca Brands (Sandbox), Nvidia et BMW, Alibaba (Ali Metaverse, Taobao Metaverse, et Ding Ding Metaverse), Niantic (Lightship), Baidu (Xirang), ByteDance (Pico), Huawei (Perfect World), Sensorium (Galaxy), Tencent, Roblox, Decentraland, Enjin, Immutable X, Green Park, Metahero, CryptoVoxels, Somnium Space, Winkyverse, OVRLand, ainsi que les incontournables Google, Apple et Amazon.
Le projet de Meta se veut une évolution non seulement des réseaux sociaux, mais de tout Internet. Le metaverse tel que le voit Mark Zuckerberg reproduira le monde réel en réalité virtuelle multidimensionnelle. Il y aura des lieux de rencontre en famille ou entre amis, des boutiques où faire du shopping pour son avatar ou pour soi-même. On y trouvera des activités et des événements socioculturels, des espaces de jeu et de divertissement audiovisuel. Ainsi que des écoles et universités numériques. Et même des entreprises et des lieux virtuels de travail et de création. Pour atteindre l’objectif d’un milliard d’utilisateurs en 2030, Meta investit 10 milliards de dollars dans Facebook Reality Labs dès 2021. Et probablement encore plus les années suivantes.
D’autres metaverse ressembleraient plus au jeu Oasis du film Ready Player One. Des univers vidéoludiques entièrement ouverts où les joueurs pourraient vivre de simples expériences sociales ou des aventures héroïques. Epic Games, l’éditeur de Fortnite, le jeu le plus populaire et le plus rentable de tous les temps, a déjà réussi à créer un monde virtuel persistant avec sa propre économie et sa monnaie. Les concerts virtuels de la chanteuse Ariana Grande, du rappeur Travis Scott et du DJ Marshmello y ont rassemblé des millions de spectateurs en live.
Epic Games est propriétaire d’Unreal Engine, le moteur de jeu tellement photoréaliste qu’il en devient presque impossible de le distinguer de la réalité. Après avoir racheté Mediatonic – le studio à l’origine de Fall Guys – et Harmonix – créateur de la franchise Guitar Hero – Epic Games a levé 1 milliard de dollars, dont 200 millions du Groupe Sony, pour concrétiser la vision de son PDG et fondateur Tim Sweeney.
Microsoft considère que certains de ses jeux sont déjà des metaverse, en particulier Minecraft et Halo. Thème le plus visionné sur YouTube en 2020, Minecraft est parfois présenté comme le meilleur jeu jamais créé car il est devenu bien plus. Avec plus de 140 millions d’utilisateurs actifs, c’est un lieu de rencontre, de loisir, de créativité, d’apprentissage et d’entrepreneuriat. Reporters Sans Frontières a inauguré dans Minecraft sa Bibliothèque Libre qui regroupe des articles et des livres censurés dans leur pays d’origine.
Parmi les autres projets qui se distinguent, Nvidia a commencé à créer un double numérique du monde. Il pourra être utilisé pour des expérimentations virtuelles destinées à être déployées ensuite dans le monde réel. De son côté, Niantic développe un “metaverse du monde réel” en réalité augmentée via sa plate-forme Lightship. Son but est d’améliorer les expériences physiques grâce au numérique. Un partenariat avec Qualcomm devrait donner naissance à des lunettes capables de superposer avec une très grande précision des éléments virtuels interactifs sur des éléments réels.
Le metaverse tel qu’il est envisagé par les géants de la Silicon Valley est devenu possible grâce aux récents progrès technologiques. Il associera la réalité virtuelle et augmentée, l’intelligence artificielle, la blockchain et les cryptomonnaies. Mais aussi les réseaux sociaux et la téléconférence, la simulation 3D et l’imagerie dynamique, l’e-commerce et l’e-business, la 5G et bientôt la 6G.
Avec Oculus, Meta propose des casques et des manettes de réalité virtuelle qui atteignent des niveaux de performance impressionnants. Des prouesses nécessaires pour évoluer dans le metaverse. Le modèle Quest 2, considéré comme le meilleur sur le marché, est moins cher que ses concurrents de Sony, HP ou HTC. Il est aussi plus puissant, plus léger, plus ergonomique, plus simple… Et avec une meilleure réactivité aux mouvements et une image plus nette et plus fluide.
Son processeur graphique ultra rapide et ses haut-parleurs intégrés qui diffusent un audio positionnel en 3D cinématographique procurent un fort sentiment d’immersion. Une performance qui ne sera peut-être surpassé que par le futur casque VR d’Apple attendu pour 2022. Mais il se murmure qu’il serait 3 fois plus cher.
Microsoft a choisi la réalité mixte avec sa gamme HoloLens de lunettes holographiques. Destinées aux professionnels de la construction, de l’industrie, de la santé, et de l’éducation. Ce casque-ordinateur peut afficher des données et des instructions, créer et imprimer des modélisations 3D. Et même générer des hologrammes pour reproduire des objets ou des environnements distants.
La technologie haptique a beaucoup fait parler d’elle en 2020 à l’occasion de la sortie de la PlayStation 5. En effet, les manettes DualSense de la console sont réputées pour procurer des sensations extraordinaires. Comme percevoir les effets des gouttes de pluie. Elles génèrent des vibrations qui permettent de distinguer différentes armes dans les jeux de tir. Et différentes pistes dans les jeux de courses.
Il y a quelques semaines, Mark Zuckerberg a testé pour la première fois des gants haptiques mis au point par Meta. Ils donnent une sensation de toucher très réaliste des objets et des textures en réalité virtuelle. Plusieurs vestes haptiques commencent à être commercialisées avec les modèles de The Void, bHaptics, ou Actronika.
Cependant, ce sont de véritables combinaisons intégrales haptiques qui voient le jour. Elles permettront de reproduire pleinement le sens du toucher. Objectif : ressentir les effets de l’environnement et les contacts avec des personnes et des objets. Ces combinaisons mesureront également les données biométriques en temps réel. Et stimuleront la mémoire musculaire ce qui ouvre des possibilités infinies d’applications sportives et militaires.
Le metaverse supprimera les frontières entre réalité et fiction et donnera un fort sentiment de présence dans des lieux qui n’existent pas. Et avec des personnes qui peuvent être à des milliers de kilomètres. Ou encore avec des personnages imaginaires pilotés par une IA. L’idée principale est que les individus et les organisations puissent y cohabiter et y évoluer via des avatars sans les contraintes matérielles du monde physique.
Plusieurs questions se posent alors. Doit-on laisser une entreprise aussi dominante que Meta, qui a fait l’objet de plusieurs polémiques en 2021 et de nombreuses autres controverses depuis sa création, créer une plate-forme tellement puissante qu’elle permettra de contrôler tous les aspects de notre vie ? Quelles sont les garanties données aux utilisateurs des metaverse que ces espaces virtuels seront sécurisés et éthiques ? Comment éviter une hypercentralisation de l’activité numérique où une seule entité privée gérera toutes nos interactions sociales et nos transactions pour en tirer profit ?
Ces inquiétudes sont d’autant plus légitimes que le projet de Meta conduit par nature à une situation monopolistique en voulant remplacer tout Internet. D’une part il n’est rentabilisé et ne fonctionne de manière optimale qu’au-delà d’une taille critique très grande. D’autre part les utilisateurs, qui ont un temps limité et cherchent à optimiser leurs activités numériques, vont choisir de manière quasi exclusive d’être présents dans un seul metaverse.
La démarche de Meta semblerait donc aboutir à une propriété et un contrôle total du metaverse à travers le matériel et le système d’exploitation. Cependant, Meta affirme déjà que son metaverse sera ouvert, collaboratif, et interopérable avec des standards universels. Comme Internet, il ne serait la propriété de personne et serait régulé par toutes les parties prenantes, dont les pouvoirs publics. Plusieurs metaverse pourraient coexister et être connectés les uns aux autres, ce qui limiterait la captivité et les dérives.
Cependant, à défaut d’une régulation par les gouvernements qui sont toujours très en retard sur la technologie, il semble essentiel que les entreprises s’accordent sur de bonnes pratiques en matière de respect de la vie privée, de cybersécurité, de lutte contre la désinformation, et de consentement éclairé des consommateurs vis-à-vis des technologies utilisées dans les metaverse.
À propos de l’auteur : Oihab Allal-Chérif. Business Professor, Neoma Business School (Reims, Rouen, Paris).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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