Déchiffrer

Monnaies locales : utiles pour l’économie, l’écologie et la démocratie

Doume, Pêche, Chouette, Pive, Gonette, Souriant…. Cet inventaire à la Prévert témoigne de la créativité française en matière de monnaies locales. Apparues il y a une dizaine d’années dans l’Hexagone, ces monnaies locales complémentaires (MLC) se sont peu à peu développées sur le territoire. On en compte 82 aujourd’hui en France, pays européen le plus accueillant en la matière. Près de 40 000 particuliers en utilisent, chez près de 10 000 entreprises ou associations, et dans 13 000 communes. Au total, c’est l’équivalent de 5 millions d’euros qui sont en circulation. 

Avec la pandémie, plusieurs collectivités comme le Grand Avignon ou le Grand Besançon ont aussi misé sur ces monnaies. Le but ? Soutenir l’économie locale et atténuer les effets sociaux de la crise sanitaire. Malgré tout, “l’’intérêt de ces monnaies reste encore peu compris”, estiment des collectifs porteurs de monnaies locales, à l’origine d’une enquête visant à mesurer – et donc faire valoir – leur utilité sociale.

Pilotée par le mouvement Sol, qui fédère une quarantaine de MLC, cette étude a été menée pendant un an et demi auprès de plus de 2 000 utilisateurs. Elle évalue leurs retombées dans cinq domaines : économie locale, écologie, pouvoir citoyen, solidarité, et dynamiques territoriales. 

A lire aussi : Monnaies hélicoptères : un nouveau revenu universel ?

Jusqu’à 1,55 fois plus de revenus locaux

En termes d’économie locale d’abord, 22 % des professionnels notent un effet visible des MLC sur leur chiffre d’affaire. Souvent car la solidarité joue au sein du réseau. Des adhérents recommandent à leurs proches d’autres membres. De plus, les monnaies locales fidélisent les consommateurs. 

Les monnaies locales sont utilisées dans 13 000 communes. (Crédit : Réseau Sol)

Et ces revenus sont souvent réinvestis localement. “En délimitant la circulation de la monnaie à un territoire, les MLC permettent de  maximiser les revenus de ce territoire“, explique Charles Lesage, délégué général du Mouvement Sol. 70 % des professionnels affirment ainsi ne jamais reconvertir en euros la monnaie locale qu’ils perçoivent. Ils l’utilisent en général pour payer leurs prestataires ou leurs dépenses personnelles.

Ainsi, un paiement en MLC génère 1,25 à 1,55 fois plus de revenus locaux qu’un paiement en euro. L’argent reste dans l’économie réelle, sans fuites fiscales ou spéculation financière.  Autre impact local : 80 % des répondants affirment avoir découvert d’autres aspects de leur territoire depuis qu’ils utilisent une MLC (monuments, lieux, artisans…). 

48 % augmentent leur consommation de produits bios

En matière d’écologie, 48 % des sondés ont augmenté leur consommation de produits locaux depuis leur adhésion et 36 % leur consommation de produits bios. Enfin 69 % se rendent moins souvent en grande surface et 51% ont diminué leurs achats en ligne. 84 % des professionnels interrogés ont quant à eux cherché à réduire leur impact environnemental, et 64 % ont pris davantage en compte les pratiques écologiques de leurs partenaires commerciaux. 

“Intégrer le réseau des monnaies locales met le professionnel en contact avec d’autres acteurs engagés, donc les bonnes pratiques se développent, ainsi qu’un imaginaire commun de la transition”, note Charles Lesage. 

De plus, les associations de MLC déposent les euros qui leurs sont confiés dans des fonds de garantie auprès d’établissements financiers (crédits municipaux, coopératives, banques éthiques comme la Nef….). Des fonds qui permettent aujourd’hui de financer des projets locaux, écologiques, éthiques ou solidaires, à hauteur de 5 millions d’euros. Plusieurs centrales solaires citoyennes ont par exemple été créées via ces fonds de garantie.

69 % comprennent mieux le fonctionnement de l’économie

Autre retombée positive : ces monnaies semblent encourager de nouvelles formes de solidarité. 80 % des professionnels affirment ainsi avoir recommandé un confrère qui accepte la monnaie locale. 66 % des adhérents discutent davantage avec les commerçants du réseau qu’avec les autres. Des communautés locales s’en servent aussi pour venir en aide à des publics en situation de précarité.

Certaines monnaies locales, comme l’eusko au Pays basque, “sponsorisent” même des causes solidaires, via un pourcentage des montants changés reversés à des associations.  Enfin, ces monnaies semblent dynamiser la citoyenneté : 40 % des adhérents ont déjà participé à une décision au sein de leur association de MLC, dans un esprit de démocratie participative. Et 69 % comprennent mieux les liens entre l’économie et les enjeux de société depuis qu’ils utilisent ces monnaies alternatives. 

Les “MLC sont la preuve que les citoyens peuvent s’emparer d’enjeux considérés comme trop techniques pour non-experts”, note encore l’étude. 

Transition numérique des monnaies locales

Pour changer d’échelle, les monnaies locales doivent accélérer leur transition numérique. (Crédit : Réseau Sol).

Conclusion, ces monnaient apparaissent selon ce rapport comme “un levier transversal de transition”. Un levier qui reste toutefois encore assez confidentiel au niveau national et qui mérite d’être développé. 

Comment ? Pour faciliter leur usage et conquérir de nouveaux utilisateurs, l’étude appelle à accélérer la transition numérique de ces monnaies (paiement via application mobile…). Elle incite aussi à créer des liens renforcés avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire et les collectivités locales. Une cinquantaine l’utilisent aujourd’hui comme levier de résilience locale. Certaines l’acceptent déjà pour l’inscription à la bibliothèque ou le paiement de la cantine scolaire par exemple. Demain des aides sociales ou des subventions pourraient être versées en monnaie locale, suggère le rapport.

Qui conclut : “Pour répondre à la crise globale, et alors que les territoires apparaissent de plus en plus comme des échelles pertinentes pour impulser des changement, ces monnaies pourraient demain jouer un rôle bien plus important“.

Recent Posts

  • Découvrir

Tout comprendre au biomimétisme : s’inspirer du vivant pour innover

Le biomimétisme, ou l'art d'innover en s'inspirant du vivant, offre des solutions aussi ingénieuses qu'économes…

8 heures ago
  • Déchiffrer

Christophe Cordonnier (Lagoped) : Coton, polyester… “Il faut accepter que les données scientifiques remettent en question nos certitudes”

Cofondateur de la marque de vêtements techniques Lagoped, Christophe Cordonnier défend l'adoption de l'Éco-Score dans…

1 jour ago
  • Ralentir

Et si on interdisait le Black Friday pour en faire un jour dédié à la réparation ?

Chaque année, comme un rituel bien huilé, le Black Friday déferle dans nos newsletters, les…

1 jour ago
  • Partager

Bluesky : l’ascension fulgurante d’un réseau social qui se veut bienveillant

Fondé par une femme, Jay Graber, le réseau social Bluesky compte plus de 20 millions…

2 jours ago
  • Déchiffrer

COP29 : l’Accord de Paris est en jeu

À la COP29 de Bakou, les pays en développement attendent des engagements financiers à la…

3 jours ago
  • Déchiffrer

Thomas Breuzard (Norsys) : “La nature devient notre actionnaire avec droit de vote au conseil d’administration”

Pourquoi et comment un groupe français de services numériques décide de mettre la nature au…

4 jours ago