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Montée en flèche de l’empreinte numérique : le gendarme des télécoms peut-il agir ?

L’Arcep (l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), agence indépendante au statut d’autorité administrative, a publié le 7 mars 2023 son nouveau rapport sur l’empreinte environnementale du numérique en France. Le « gendarme des télécoms » y confirme des tendances à la hausse, en particulier en matière de gaz à effet de serre.

La sobriété s’impose, ce qui implique des choix difficiles. Mais comment l’Arcep arbitrera-t-elle ? En a-t-elle les moyens et la légitimité ? Pour rappel, l’Agence s’est dotée d’un manifeste axé sur le bien commun, impliquant notamment les enjeux de soutenabilité. On peut notamment y lire :

« Parce que le plein exercice de ces libertés est essentiel, les institutions nationales et européennes veillent à ce que les réseaux d’échanges se développent comme un « bien commun », quel que soit leur régime de propriété, c’est-à-dire qu’ils répondent à des exigences fortes en matière d’accessibilité, d’universalité, de performance, de neutralité, de confiance et de soutenabilité. »

Une vraie nécessite de tendre vers davantage de sobriété tech

En janvier 2022, le gendarme des télécoms, l’Arcep, avait publié un premier rapport, concluant à l’importance de la phase de fabrication des terminaux – cette phase représentant de 65 à 90 % de l’empreinte environnementale. Abordant la question des solutions, le rapport soulignait le besoin d’approfondir les données, la « nécessité d’agir » sur les matériels et « d’impliquer tous les acteurs », entreprises de service et usagers.

L’Arcep avait également souligné la nécessité de recouper ces travaux avec les quatre scénarios de prospective dégagés par l’Ademe pour atteindre le zéro émission net en 2050, horizon de la lutte contre les dérèglements climatiques.

Frugalité ou technosolutionnisme

Le premier scénario de l’Ademe (« génération frugale ») repose sur un changement des modes de vie : division par trois de la consommation de viande, « fort retrait » des déplacements en voiture et en avion, transformation des résidences secondaires en principales, isolation, mutualisation des équipements, sanctuarisation de la nature, développement de l’agroécologie ; l’industrie est relocalisée et tournée vers le low tech.

Le second scénario (« coopérations territoriales ») insiste un peu moins sur les modes de vie. La relocalisation est moins forte, de même que le retrait des transports, la baisse de la demande en viande (-50 % au lieu de -70 %) ou que la consommation de bio. La demande en énergie baisse de 53 %. Un recours au stockage technique de CO2 apparaît pour la cimenterie.

Le troisième scénario (« technologies vertes ») marque une vraie inflexion en pariant sur un « consumérisme vert » au profit des populations solvables. Les services rendus par la nature sont optimisés. La baisse des mobilités laisse la place à une faible hausse et, surtout, à une politique de décarbonation, c’est-à-dire d’électrification.

Le quatrième scénario (« pari réparateur ») mise sur « une sauvegarde des modes de vie de consommation de masse », basée sur la confiance dans la technologie pour réparer les dégâts causés aux écosystèmes.

Présentation synthétique des quatre scénarios. Ademe, CC BY-NC-ND

La sobriété comme horizon

L’exercice prospectif conduit par l’Ademe se conclut par neuf enseignements, dont les principaux sont les suivants : tous les scénarios impliquent des paris majeurs, technologiques et sociétaux, et doivent être engagés rapidement pour porter leurs fruits ; le vivant est un acteur majeur de ces transformations et, dans tous les cas, l’approvisionnement énergétique en 2050 sera à plus de 70 % assuré par les énergies renouvelables.

Soulignons trois messages forts. Sans sobriété, la seule solution repose sur un pari technologique jugé très incertain. Chaque scénario implique en outre une cohérence d’ensemble : on ne peut se lancer dans la sobriété et le pari technologique, car les solutions concrètes et les options à suivre s’excluent mutuellement, au moins en partie, ne serait-ce que sur le plan du sens et de la lisibilité des politiques publiques.

Enfin, l’Ademe tient compte de ses propres sondages, qui indiquent depuis longtemps qu’un changement de mode de vie est conditionné à l’équité, loin devant tous les autres facteurs. Le premier scénario intègre ce facteur de diverses manières, notamment au niveau territorial.

En matière de numérique, des chiffres alarmants

En matière numérique, les scénarios de l’Ademe prévoient, pour le premier, une consommation stable des centres de données, et pour le dernier multipliée par 15. L’étude de 2022, commune conduite avec l’Arcep, le gendarme des télécoms, visait à en affiner les anticipations et à élaborer des pistes d’action. Les résultats partiels fournis par le nouveau rapport de mars 2023 confirment en partie les chiffres alarmants.

Les tendances en place conduisent à un trafic de données multiplié par 6, un nombre d’équipements supérieur de 65 % en 2030 par rapport à 2020, notamment du fait de l’essor des objets connectés ; d’où une augmentation, entre 2020 et 2030, de 45 % de l’empreinte carbone du numérique en France, +14 % de consommation de ressources abiotiques (métaux et minéraux) et +5 % de la consommation électrique.

Le coût écologique des data centers est aujourd’hui pointé du doigt. (Crédit : shutterstock)

Ce résultat vient contre-balancer le rapport du Conseil général de l’économie qui concluait, en 2019, à une tendance à la baisse de la consommation. Il est vrai que ce rapport ne se focalisait que sur les consommations domestiques, ne prenant pas en compte la dynamique réelle du secteur numérique, comme nous l’avions d’ailleurs souligné.

Des recommandations peu rassurantes

À la consultation du rapport de mars 2023, on ne peut que s’interroger sur ses « recommandations ». Les scénarios ont disparu, au profit d’« une combinaison de mesures de sobriété et d’écoconception ».

Ce qui est avancé au titre de la sobriété mélange tout, évoquant d’un côté « une interrogation sur l’ampleur du développement de nouveaux produits ou services numériques et une réduction ou stabilisation du nombre d’équipements », qui est bien de la sobriété, et de l’autre un « allongement de la durée de vie des terminaux », qui est de l’efficacité, c’est-à-dire une optimisation écologique des usages.

Que va-t-il finalement en sortir ? De quels nouveaux produits et services est-il question ? Mystère. Si l’efficacité est la grande gagnante, alors cela signifie que le gendarme des télécoms s’inscrit en fait dans le scénario 4 de l’Ademe (celui qui promet la « une sauvegarde des modes de vie de consommation de masse »).

L’accent mis sur « l’urgence » de déployer la 5G lors de la communication des résultats confirme ce point. Le « bien commun » de l’industrie passera donc avant celui de la planète et de ses habitants.

L’influence croissante du numérique

Ce qui vient confirmer ce jugement est aussi le périmètre retenu, qui se concentre exclusivement sur le segment le plus étroit du secteur numérique, terminaux, centres de données et réseaux.

La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) estimait pourtant en 2019 que l’« économie digitale » pesait entre 5 à 15 % du PIB mondial, suivant les définitions, et jusqu’à 36 %, si l’on étend la définition du e-commerce à l’usage de moyens dématérialisés de paiement, soit 29 000 milliards de dollars.

Les syndicats d’entreprise français se sont réorganisés en conséquence, le Syntec laissant la place en 2021 à Numéum, qui accueille un grand nombre d’acteurs puisque toutes les entreprises se numérisent. L’influence du numérique s’étend donc très au-delà du secteur numérique en tant que tel. Et c’est à la croissance économique qu’il concourt, pas à la sobriété.

Une indépendance impossible

Que signifie le silence de l’Arcep, le gendarme des télécoms, sur ces enjeux ? De quel « bien commun » est-elle le « gendarme » ? Qui le définit ? Les économistes David Flacher et Hugues Jennequin notaient déjà dans Réguler le secteur des télécommunications ? (2007) que l’indépendance de ces agences régulatrices ne valent que relativement à leur « marché pertinent ».

Dans ces conditions, difficile pour elles d’éviter de se faire les avocats de leur secteur et de ne pas l’aider à s’étendre au détriment d’alternatives. La Cnuced soulignait en outre l’identité des principaux bénéficiaires monétaires de l’expansion numérique : les pays déjà riches.

À propos de l’auteur : Fabrice Flipo. Professeur en philosophie sociale et politique, épistémologie et histoire des sciences et techniques, Institut Mines-Télécom Business School.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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