Partager la publication "Bamboche, iel… Quels sont les mots de l’année 2021 ?"
Vaccinodrome, solastagie, bamboche… Chaque année, de nouveaux mots ou néologismes font leur apparition dans le langage courant. Pour la deuxième année consécutive, la pandémie de Covid-19 a marqué notre société. De nombreux mots relatifs à la crise continuent donc de faire l’actualité et étaient sur toutes les lèvres. Delphine Jouenne, autrice de l’ouvrage Un bien grand mot (éd. Enderby), décrypte les expressions de l’année qui vient de s’écouler.
Elle déchiffre douze mots, un pour chaque mois de l’année, dans une démarche étymologique, historique et philosophique. “En dépit d’un contexte miné par la Covid-19, le langage sanitaire semble s’effacer peu à peu au profit des questions sociétales qui s’installent dans les débats publics”, écrit-elle. Extraits.
Janvier 2021, les vaccins commencent tout doucement à être livrés en France.
Dès le 3 janvier, le gouvernement est fortement décrié pour ses précautions et ses approximations dans la mise en place du dispositif de vaccination. On lui reproche la priorisation des Ehpad qui rencontrent des problèmes humains et logistiques pour mettre en place le dispositif, la lenteur dans les livraisons face à des fabricants qui ne tiennent pas le rythme prévu. De plus, on découvre, au fil des semaines, des effets secondaires insuffisamment évalués de certains vaccins.
Cabinets médicaux, pharmacies… pour gagner en efficacité, se développe le concept de vaccinodrome, espace dédié à la vaccination à grande échelle, qui était déjà apparu en 2009, lors de la grippe H1N1. Olivier Véran s’était dit défavorable aux “grands stades dans lesquels des milliers de personnes viendraient faire la queue en plein hiver ” pour se faire vacciner. Quelques semaines après le début de la vaccination, les premiers vaccinodromes seront installés. On y vaccine à la chaîne ou plutôt … à tour de bras.
Le vaccin désigne le virus de la vaccine, une maladie infectieuse des bovins proche de la variole. La vaccine était également appelée “petite vérole des vaches”. Le vaccin désigne donc toute substance préparée à partir de microbes, virus ou parasites, qui, inoculée à un individu, l’immunise contre le germe correspondant.
On retrouve régulièrement le suffixe drome dans la langue française : hippodrome, vélodrome … Il est probablement issu du grec “dromos”, qui signifie les lieux où l’on court. Par extension, le suffixe permet également de créer des noms d’espaces, de lieux dédiés à une activité précise. Boulodrome pour le jeu de pétanque, aérodrome pour le décollage des avions. Nous vous laissons le soin de déterminer l’utilisation du suffixe pour le terme baisodrome hérité des années 1970 et de la libération sexuelle …
Et les antivax ? Avant Pasteur et Jenner, inventeur de la vaccination, les Occidentaux découvrent, au début du XVIIIe siècle, l’inoculation, qui est finalement l’ancêtre du vaccin moderne. Cette pratique suscite le doute mais également la peur. Au cours du XIXe, la mise en place de la vaccination obligatoire contre la variole va entraîner des troubles à l’ordre public notamment dans certaines villes ouvrières d’Angleterre qui, d’ailleurs, n’imposent toujours aucune vaccination.
À l’ouverture de l’Institut Pasteur en 1888, l’établissement est accusé de fabriquer des maladies pour vendre des vaccins. On surnomme Louis Pasteur “le chimiste financier”, lui qui n’est même pas médecin. Les arguments mis en avant par les antivax de l’époque sont finalement proches de ceux d’aujourd’hui. “Il faut laisser faire la nature ou la volonté divine”, “scientifiquement rien n’est prouvé”, “nous sommes gouvernés par les grands laboratoires pharmaceutiques” …tels sont principes prônés par les antivax, que nous avons pu entendre ces derniers mois.
Face aux antivax, certains citoyens ont souhaité transformer la vaccination en un engagement fort. On a depuis peu un mot aux États-Unis pour qualifier cet acte de vaccination qui s’utilise au même titre que le “a voté !” il s’agit de vaxxie. Contraction de vaxxers et selfie, le terme a été lancé à l’initiative du corps médical américain pour sensibiliser et rassurer les citoyens. De nombreuses personnalités politiques ont posté leur vaxxie, à l’instar de Joe Biden ou encore d’Olivier Véran en France.
Au même titre que certains se prennent en photo à la sortie de l’isoloir pour montrer qu’ils ont voté, d’autres ont décidé ces derniers mois de poster leur vaxxie pour annoncer qu’ils se sont fait vacciner.
Se vacciner serait-il devenu un acte militant ?
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Bamboche est sans conteste l’un des mots qui ont émergé durant l’année 2020 lorsque le 22 octobre le préfet du Centre-Val de Loire déclara sur le plateau de France 3 : “la bamboche, c’est terminé“.
Plus de soirées, plus de fêtes, plus de sorties …nous n’imaginions pas que ce mot plein d’espoir serait sur toutes les lèvres. La contestation s’organise en 2021, avec comme point d’orgue le 21 mars, à Marseille, où 6 500 personnes décident de célébrer le carnaval dans le cadre d’un rassemblement non autorisé et “pas responsable” revendiqué. Les fêtes sont de retour, mais, comme le soulignera Emmanuel Macron, “ce n’est pas la bamboche du jour au lendemain.”
Le poète Guillaume Apollinaire remarque une apparition du terme bamboche en 1789 dans le livre Mylord Arsouille ou les Bamboches d’un gentleman. L’origine étymologique de ce mot repose sur plusieurs hypothèses allant de l’influence du mot débauche à l’italien bambocciata qui désigne des peintures de scènes burlesques. Pour cette dernière hypothèse, le mot vient de ce que le peintre hollandais Pieter van Laar (1613-1675), étant petit et contrefait, fut surnommé “bamboche” durant son long séjour en Italie.
Le bamboche recoupe trois significations : une marionnette de grande taille, une tige de bambou, ou une bombance, synonyme de fête dans un discours populaire et daté. Au XVIIIe siècle, on disait “bamboche” pour certaines sortes de cannes, une origine reposant sur bambo (le petit enfant ou le bambin) et qui donnera également le terme bambou. De même, on appela les déclamations violentes de Robespierre au club des Jacobins les bamboches de Robespierre. On appela aussi la procession qui eut lieu à l’occasion de la fête de l’Être suprême les bamboches de la Convention.
Dans son usage passé, bamboche était un terme plutôt péjoratif. Parler de bamboche, c’était moins parler de manière populaire qu’emprunter un mot connoté comme populaire pour fustiger celles et ceux qui préfèrent la fête à l’ordre. Voire pour évoquer tout un peuple gouailleur, louche, contrefait. La bamboche désignait aussi des personnes étranges, difformes, de petite taille. Les frères Goncourt parlent, dans leur Journal, d’”une petite de 9 ans”, “une ouvrière”, “une bamboche aux yeux déjà ardents de femme et de voleuse”.
De nos jours, le terme associe ancienneté, sympathie et autorité; permettant ainsi à son locuteur d’adopter l’éthos discursif d’un “père de famille” gentil, quelque peu traditionnel, mais sévère. L’ordre contre la bamboche. Rappelons-nous du général de Gaulle qui, dans son discours fustigeant la “pagaille” lors de la campagne électorale de 1965, comparait la France à une ménagère soucieuse de bien tenir sa maison qui ne voulait pas que son mari aille “bambocher” (15 décembre 1965, Entretien avec Michel Droit).
Nous avons finalement décidé de faire la bamboche en 2021 pour fêter l’assouplissement des règles sanitaires. Mais nous aurions pu lui préférer la nouba. Ce terme vient de l’arabe classique nowba , qui signifie “tour”. Au Maghreb, il faisait ainsi référence à la musique interprétée à tour de rôle par des musiciens devant la maison d’un dignitaire. Les troupes coloniales basées en Algérie ont ensuite utilisé ce terme pour qualifier la musique interprétée par les tirailleurs nord-africains sur leurs instruments traditionnels. Et c’est tout naturellement que la nouba a été associée à des moments festifs lors de la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, le 1er régiment de tirailleurs d’Épinal dispose d’une fanfare dont les musiciens portent la tenue traditionnelle et qui s’appelle la nouba.
Entre fête, bombance, bringue, ripaille ou noce … tout était bon, cette année, pour oublier la Covid et retrouver une vie sociale en profitant, tout simplement, des autres.
Fin novembre, le dictionnaire Le Robert annonce intégrer le pronom “iel” dans son édition en ligne.
Les réactions sont plutôt critiques. Avec, en tête de file, le ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, Jean-Michel Blanquer, pour qui l’emploi de ce pronom non genré, contraction d’”il” et d’”elle”, “n’est bon à aucun titre”. Le dictionnaire met en avant le fait qu’il observe l’évolution de la langue. Reste que, aujourd’hui, si l’usage du pronom iel est encore faible, il participe à l’évolution de la langue; au même titre que les réflexions en cours sur l’écriture inclusive. Qu’on l’emploie ou le rejette, retour sur ce nouveau mot.
Pas de retour étymologique possible au regard de cette création lexicale. Alain Rey qui avait validé l’intégration de ce nouveau pronom dans Le Robert rappelait, à juste titre que les pronoms je et tu sont tout à fait inclusifs; puisqu’ils peuvent tout aussi bien désigner une femme ou un homme et ce, indifféremment. Or, à la troisième personne, nous sommes face à un dilemme puisque les pronoms d’usage imposent, de facto, un choix. Le 8 juin 2019, Solène Cordier l’emploie entre guillemets, lorsqu’elle retrace le parcours d’Emma, qui ne se reconnaît ni comme fille ni comme garçon. Deux ans plus tard, “iel” se définit comme non binaire et agenre.
Pouvons-nous échapper au masculin et féminin en créant ex nihilo un pronom neutre ? Dans le monde professionnel anglo-saxon, nombreux sont ceux à afficher, à côté de leur prénom et nom, le pronom qu’ils souhaitent voir utiliser à leur égard. “Iel” a pour vocation de désigner une personne qui ne souhaite pas se voir attribuer un genre. Ce pronom offre donc une alternative affranchie de toute contingence.
Et pourtant, le genre neutre existait bel et bien en latin et même avant, dans les langues indo-européennes, à l’origine du latin, que l’on étudie en philologie. Le neutre latin permettait de désigner ce qui était inanimé. C’est-à-dire les objets mais également certaines personnes peu considérées, comme les esclaves. Déjà menacé dans l’Antiquité, le neutre disparaît dans les langues romaines excepté en roumain mais est conservé dans les langues slaves ou germaniques. L’anglais est l’exemple même de la langue ayant conservé son neutre pour désigner ce qui est inanimé, les jeunes enfants ou les animaux. Dans le genre animé, il y a deux pronoms (she et he); qu’on utilise uniquement pour le genre social ou le sexe. En français, le “ce” ou “ça” pourrait désigner ce neutre, or ils nécessitent un accord au masculin. La langue française propose également des formes de genre indifférencié que l’on peut qualifier d’épicènes.
L’écriture inclusive déchaîne les passions. Ses défenseurs mettent en avant la reconnaissance des femmes après plusieurs siècles de domination patriarcale. Ses détracteurs l’estiment artificielle et propre à créer une complexité supplémentaire face à certains handicaps. Accorder à la langue une dimension sexuée crée une réelle tension dans notre société qui tend à effacer de plus en plus les différences. Bienvenue dans la langue “queer”; où l’on gomme le genre au prix d’un contorsionnisme grammatical et d’un jeu d’équilibrisme syntaxique … Oui, la langue évolue avec la société et s’adapte naturellement. Mais devons-nous pour autant la déconstruire pour coller aux attentes d’un monde politiquement correct ? Pour l’apprentissage de nos enfants, pour les personnes souffrant de handicap… Comment expliquer la pertinence de ces points ajoutés qui ne rentrent pas dans les règles de ponctuation ?
Pour éviter le masculin générique, la langue française, dans sa grande richesse, nous ouvre la possibilité d’utiliser le langage épicène. Cet adjectif qualifie un être animé qui a la même forme au genre masculin et au genre féminin. Selon le contexte, les mots épicènes renvoient à des êtres de sexe féminin ou masculin. Le mot enfant en est un parfait exemple. Cette démarche peut aussi bien porter sur les mots, en féminisant les professions, par exemple autrice, que sur la rédaction, en évitant d’utiliser par exemple uniquement le masculin pluriel pour désigner un collectif.
Notre langue évoluera avec le temps de façon mesurée, à son rythme et sans brutalité. Elle privilégiera la simplicité, intégrant de nouveaux usages dès lors qu’un besoin s’en fera ressentir. Sa richesse nous permet, en effet, d’imaginer des solutions, de contourner d’éventuelles crispations pour qu’elle soit, finalement, la plus collective et la plus représentative de ce que nous sommes.
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