Partager la publication "Net Zero : les banques américaines n’ont plus la Terre sur les épaules"
Le climat, la politique et les affaires semblent à nouveau se heurter de plein fouet. En quelques semaines, depuis décembre dernier, Citigroup, Goldman Sachs, Bank of America, Morgan Stanley et Wells Fargo ont quitté la Net Zero Banking Alliance (NZBA). Hier, mardi 7 janvier 2025, JPMorgan a été le dernier grand acteur américain à se retirer de cette initiative. Fondée en avril 2021 sous l’égide de l’ONU, la NZBA avait pour ambition d’aligner les activités financières des banques avec l’objectif mondial de neutralité carbone d’ici 2050. Cette hémorragie intervient dans un contexte électoral tendu : l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le 5 novembre 2024, a fait ressurgir les débats sur les engagements climatiques et le “woke capitalism”.
En qualifiant le changement climatique de “hoax” et en favorisant les industries fossiles, le futur président crée un climat d’incertitude qui semble avoir précipité ces départs. À cela s’ajoute, en décembre dernier, une prise de parole marquante de la commission judiciaire de la Chambre des représentants, la chambre basse du Congrès américain, dirigée par les républicains. Elle a accusé “un cartel” d’entreprises financières et d’activistes climatiques de s’être entendus pour “imposer des objectifs ESG [Environmental, Social, Governance] radicaux” aux entreprises américaines. À quelques jours de l’investiture de Donald Trump, prévue le 20 janvier prochain, décryptage d’une fuite sous haute tension.
Le retrait de ces banques reflète une pression croissante exercée par des élus républicains qui accusent la NZBA d’être un véhicule de “capitalisme éveillé” (woke capitalism), une critique devenue récurrente dans les cercles conservateurs américains. En Virginie-Occidentale et en Floride, par exemple, des lois ont été adoptées pour interdire l’utilisation des critères ESG dans les décisions d’investissement des fonds publics.
Riley Moore, trésorier de la Virginie-Occidentale, a justifié ces mesures en accusant les banques de boycotter les entreprises fossiles : “Nous ne pouvons pas permettre aux institutions qui cherchent à détruire les industries énergétiques essentielles de notre État et l’activité économique qu’elles génèrent de tirer profit de la gestion de l’argent public“. Une rhétorique qui trouve écho dans le mouvement politique visant à éliminer le Net Zero de l’agenda financier.
Ces accusations s’inscrivent dans un cadre plus large où le climat est instrumentalisé. Des figures comme Ron DeSantis, gouverneur républicain de Floride, ont qualifié les ESG de “poison” pour l’économie, illustrant une polarisation qui va bien au-delà du monde bancaire. Cette résistance n’est pas anodine : les banques qui persistent dans leurs engagements sont souvent taxées de privilégier une minorité écologiste au détriment des priorités économiques locales. Et de faire de la politique.
Pour les grandes banques, quitter la NZBA représente une tentative de trouver un équilibre entre deux pressions contraires : d’une part, satisfaire des clients et actionnaires favorables à des investissements verts ; d’autre part, éviter les répercussions politiques et économiques associées à l’étiquette ESG dans un climat polarisé. Un principe de précaution en quelque sorte. Et le Net Zero en fait les frais.
Malgré leur départ de l’alliance, certaines banques continuent cependant d’affirmer leur engagement pour une transition écologique. Citi, par exemple, maintient son objectif de financement durable à hauteur de 1 000 milliards de dollars d’ici 2030. Le 6 décembre dernier, Goldman Sachs a été la première banque américaine à quitter le navire mais a réitéré son engagement environnemental : “Nous avons les capacités nécessaires pour atteindre nos objectifs et soutenir les objectifs de développement durable de nos clients. Goldman Sachs est également très attentif aux normes de développement durable de plus en plus strictes et aux exigences de reporting imposées par les régulateurs du monde entier.” Idem, JPMorgan a publié hier un communiqué affirmant sa volonté de se concentrer “sur des solutions pragmatiques pour faire avancer les technologies à faible émission de carbone tout en renforçant la sécurité énergétique.” De belles paroles vides de sens ? À voir si les engagements environnementaux pris par ces six banques américaines majeures disparaissent peu à peu de leurs rapports stratégiques…
“C’est inquiétant dans la mesure où [ces banques américaines] comptent parmi les plus grands contributeurs mondiaux de financement des énergies fossiles“, a souligné la Britannique Jeanne Martin, une des responsables de l’ONG ShareAction, qui milite en faveur d’investissements responsables. Ce que confirment les chiffres du rapport Banking on Climate Chaos 2024 de l’ONG Reclaim Finance. Il révèle que les banques américaines ont participé à hauteur de 30 % sur un total de 705 milliards de dollars d’investissements des 60 plus grandes banques privées mondiales pour financer les énergies fossiles en 2023. JP Morgan est le premier investisseur bancaire au monde dans ce domaine, avec pas moins de 40,8 milliards de dollars investis en 2023.
Paddy McCully, analyste chez Reclaim Finance, a précisé que l’ONG allait rester vigilante quant aux actions des banques américaines. “Une révision à la baisse des objectifs déjà en place et des mesures déjà prises constitue le facteur clé à surveiller”, ajoutant que “tout changement sera rendu public” par Reclaim Finance. Paddy McCully a aussi appelé les banques européennes à ne pas suivre leurs homologues américaines et à rester engagées dans l’alliance en faveur du Net Zero. “Elles ont une occasion unique d’encourager la NZBA à renforcer ses recommandations, en adoptant des positions significatives contre l’expansion des énergies fossiles.”
Malgré ces départs américains, la NZBA reste un acteur majeur, représentant 41 % des actifs bancaires mondiaux, soit 74 000 milliards de dollars. Quelque 141 banques en font partie. Parmi elles, de grands noms européens comme HSBC, Barclays ou encore les français BNP Paribas, Crédit Agricole et Crédit Mutuel, Société générale, BPCE, Banque Postale… continuent de soutenir l’initiative. L’Europe semble pour l’heure rester unie.
La NZBA reste un modèle pour les acteurs financiers cherchant à concilier rentabilité et durabilité et à adopter une trajectoire vers le Net Zero. Les membres doivent aligner leurs portefeuilles sur des objectifs intermédiaires pour 2030 et publier annuellement leurs avancées. Une mécanique rigoureuse mais cruciale pour maintenir la crédibilité de l’initiative. Et la nécessité aussi de lancer des initiatives combinant finance responsable et création de valeur à long terme.
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L’impact de ces départs dépasse largement les murs des sièges sociaux des banques concernées. Pour beaucoup, ce retrait est perçu comme un message adressé à la communauté internationale : les engagements climatiques sont à double vitesse, avec un axe transatlantique qui se fragmente. En Europe, des figures comme Bill Winters, PDG de Standard Chartered, rappellent que l’urgence climatique n’attend pas : “Si cela fait de moi un ‘woke’, alors qu’on m’achève”, avait-il déclaré en février 2024.
Cependant, la NZBA doit également composer avec des critiques internes. Certains membres demandent plus de flexibilité dans les objectifs, notamment dans les régions où la transition verte est freinée par des contraintes structurelles. L’écart entre le discours et la réalité sur le terrain nourrit un scepticisme qui pourrait affaiblir l’initiative sur le long terme.
Dans une époque où l’urgence climatique exige des solutions audacieuses, le retrait des banques américaines de la NZBA illustre le poids des tensions politiques sur la finance durable. Loin d’être une fin, ce départ pose une question essentielle : la finance mondiale pourra-t-elle surmonter ses désaccords internes pour devenir un véritable moteur de la transition écologique ou les initiatives vont-elles se localiser au risque de créer différents mouvements régionaux polarisés ?
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