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Nicolas Hulot et le dilemme du réchauffement climatique

TRIBUNE. Par Matthieu Guérin, consultant en énergies renouvelables et solutions alternatives.

Le 15/11/2017 par WeDemain
Nicolas Hulot veut se laisser le temps de la réflexion afin de décider du nombre de réacteurs d’EDF à  fermer après ceux de Fessenheim (Crédit : DR)
Nicolas Hulot veut se laisser le temps de la réflexion afin de décider du nombre de réacteurs d’EDF à  fermer après ceux de Fessenheim (Crédit : DR)

Invité à s’exprimer sur BFMTV le 8 novembre dernier, le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, a confirmé ses propos tenus la veille à la sortie du Conseil des ministres. L’objectif de réduction de la part de l’atome dans notre mix électrique de 75 % à 50 % à l’horizon 2025 serait, selon lui, inatteignable dans les délais prévus sans renier les engagements de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Un volte-face légitimé par le dernier rapport du gestionnaire du réseau RTE, et finalement assez logique si l’on veut que la France continue à jouer le rôle qui est le sien dans la lutte contre le changement climatique. 

La baisse du nucléaire d’ici 2025, un “totem” irréalisable pour Nicolas Hulot

La loi de transition énergétique aurait-elle été trop ambitieuse, voire même quelque peu démagogique ? On en est en droit de se poser la question alors que le ministre de la Transition écologique lui-même a reconnu cette semaine l’impossibilité technique de réaliser un de ses principaux objectifs, la baisse de la part de l’énergie nucléaire à 50% d’ici 2025, soit la fermeture d’au moins 17 réacteurs. 
 
Le ministre d’État a en effet qualifié de “totem” cet objectif de réduction, signifiant par là qu’il n’était en aucun cas réalisable dans un laps de temps si court, “sauf (…) à renier tous nos engagements climatiques”. Un secret de polichinelle pour Nicolas Hulot qui affirme même que “beaucoup savaient” mais n’ont rien fait, visant ici indirectement le gouvernement précédent et sa ministre de l’écologie Ségolène Royal.

“On s’était fixé un totem, mais on ne s’est pas mis en situation d’y parvenir. Tous les interlocuteurs que j’ai, dans mes services, à l’Ademe, chez RTE, (des) spécialistes de l’énergie, savaient” que ce ne serait pas possible “sauf dans une brutalité excessive”, a-t-il expliqué sur BFMTV.

Priorité à la lutte contre le changement climatique

Si le ministre ne remet pas en cause la pertinence de la mesure à moyen terme, il reconnaît simplement qu’un tel objectif ne serait remettre en question l’engagement de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Or, selon le dernier bilan prévisionnel publié par RTE mardi 7 novembre 2017, une diminution trop rapide du parc nucléaire obligerait le gouvernement à maintenir en activité les quatre centrales à charbon françaises et à construire une vingtaine de nouvelles centrales au gaz.

Ce recours accru aux énergies fossiles entraînerait irrémédiablement le doublement des émissions de CO2 émises par la production d’électricité en France (soit un passage de 22 millions de tonnes de CO2 en 2016 à 42 millions de tonnes en 2035) alors même que les engagements internationaux des 197 signataires à l’Accord de Paris sont toujours insuffisants.

Ces engagements, débattus une fois de plus à l’occasion de la COP23 organisée à Bonn depuis lundi 6 novembre, ne permettraient à l’heure actuelle (selon un rapport de l’ONU), de couvrir qu’un tiers des réductions d’émissions nécessaires pour maintenir le réchauffement de la planète sous les 2°C. 

 
D’autre part, comme l’explique Olivier Grabette, directeur général adjoint de RTE, “il n’est pas possible de combiner la fermeture des centrales à charbon avec l’arrêt des réacteurs nucléaires” pour répondre à la consommation électrique des Français. Les investissements dans les énergies renouvelables et les progrès technologiques dans le stockage de l’électricité sont à ce jour insuffisants pour permettre au solaire ou à l’éolien, par exemple, de combler le gouffre qui résulterait d’une baisse de production nucléaire sans remettre en cause notre sécurité d’approvisionnement. L’exemple de l’Allemagne est aujourd’hui le plus représentatif.

Un schéma allemand à éviter

En optant pour une sortie accélérée de l’énergie nucléaire suite à l’accident japonais de Fukushima en 2011, nos voisins d’outre-Rhin ont, il est vrai, largement favorisé le développement des énergies vertes via la mise en place de subventions avantageuses et une priorisation sur l’alimentation du réseau. La production renouvelable, atteignant en 2015 plus de 32,5% de la production électrique nationale, ne cesse d’augmenter et devrait sans problème réaliser ses objectifs pour 2020 fixés à 35% du mix électrique.
 
Des chiffres éloquents qui cachent toutefois une réalité bien différente en matière de coût de l’électricité et d’émissions de CO2. Car l’Allemagne est devenue dans le même temps, un des pays, avec le Danemark, où l’électricité est la plus chère (presque trois fois plus chère que le tarif actuel en France), mais surtout un des pays européens les plus pollueurs du fait d’un recours au charbon accru ces dernières années.

L’Allemagne émet près de deux fois plus de gaz carbonique par habitant que la France (11,5 Teq contre 6,5 Teq), et deux nouvelles centrales viennent d’être mises en service à Moorburg (1,6 GW) et Mannheim (0,9 GW), alors que le charbon représentait déjà 42% du mix électrique national en 2015.

Quels scénarios peut-on envisager ?

Afin d’éviter de suivre un tel chemin, clairement défavorable à la planète, et de réussir une décarbonisation rapide et responsable des principaux secteurs économiques, la France se veut donc rationnelle et entend conserver encore quelques années supplémentaires l’avantage que lui procure son parc nucléaire.

Sans donner plus de précisions, Nicolas Hulot veut se laisser le temps de la réflexion et de l’analyse afin de décider du nombre de réacteurs d’EDF à fermer après ceux de Fessenheim (prévus avant la fin du quinquennat), et d’organiser une baisse effective de la part de l’atome plus progressive à l’horizon 2030 ou 2035. 

 
Le gestionnaire RTE de son côté, a déjà détaillé plusieurs scénarios possibles permettant de ramener la part du nucléaire à 50 % dans des délais plus raisonnables sans nouvelles centrales fossiles ni augmentation des émissions de CO2. Le scénario “Ampère” par exemple permettrait d’atteindre cet objectif dès 2030 mais impliquerait la fermeture de 16 réacteurs, le triplement de la production renouvelable et une croissance du PIB de 2 % sur cette période.

Le scénario “Volt”, qui table quant à lui sur une croissance plus réaliste de 1,5 % par an et un prix de la tonne de CO2 à 30 euros, ne parviendrait qu’à réduire à 60 % la part du nucléaire à l’horizon 2030 (56 % en 2035), mais serait “le plus performant du point de vue des émissions de CO2”, conclut RTE. 

Diplômé en Économie de l’Environnement et de l’Écologie, Matthieu Gauthier s’est spécialisé dans le conseil en énergies renouvelables et solutions alternatives auprès d’acteurs du privé et du public.

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