Partager la publication "Nouveaux OGM : la France reste soumise à l’agrosemence"
TRIBUNE DE CORINNE LEPAGE. À la fin des années 1990 et dans la première décade de l’année 2010, un contentieux lié aux organismes génétiquement modifiés (OGM) s’est déroulé devant les juridictions nationales et communautaires.
Avec des conséquences positives : une absence ou une très faible culture des OGM en Europe et une modification de la législation permettant aux États membres de refuser de manière très souple la mise en culture des OGM.
Mais aussi des limites… La règlementation n’exclut pas l’importation des produits à base d’OGM, ni l’activité de la commission qui continue à autoriser des produits génétiquement modifiés destinés à l’alimentation humaine ou animale. Par exemple, quatre nouveaux produits ont été autorisés en février 2021 (trois variétés de maïs et deux variétés de soja, qui toutefois ne pourront pas être cultivé).
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La mutagénèse : des techniques non règlementées
Cet échec relatif de l’agrosemence – les conglomérats qui produisent à la fois les semences, les intrants et les pesticides – a été compensé par une stratégie de contournement habile de la part de cette industrie. Elle a consisté à obtenir de facto l’exclusion de la catégorie des organismes génétiquement modifiés, et donc de la législation applicable, les OGM obtenus par mutagénèse, au motif que cette technique était ancienne. C’est pourtant bien de la mutagenèse dont sont issus les “nouveaux OGM” qui font aujourd’hui débat en France.
La mutagénèse regroupe plusieurs techniques qui visent à introduire des mutations génétiques à l’intérieur d’une plante sans introduire un gène extérieur. Contrairement aux OGM de première génération qui, eux, étaient obtenus par transgénèse, c’est-à-dire l’introduction d’un gène dans la plante.
Qu’il s’agisse de la mutagénèse aléatoire qui vise à accroître la fréquence des mutations génétiques spontanées des organismes vivants, ou de la mutagenèse dirigée qui correspond à l’introduction dans les cellules de la plante d’un matériel génétique étranger pour y provoquer la mutation recherchée sans que le matériel ne demeure définitivement dans l’organisme, ou encore de la cisgenèse (qui consiste à introduire un gène de la même espèce), ces techniques ont donc été utilisées sans que les règles protectrices des OGM leur soient appliquées.
Mais, en juillet 2018 la cour de justice de l’union européenne, saisie par des associations a refusé d’entériner cette manipulation et a considéré que les OGM obtenus par mutagenèse devaient être réglementés comme des OGM.
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Demander au gouvernement une règlementation claire
Restait encore à voir appliquer cette décision en France. C’est dans ce contexte que des organisations non-gouvernementales saisissaient le conseil d’État d’une demande tendant à voir appliquer l’arrêt du 25 juillet 2018 “qui oblige le gouvernement à contrôler l’absence de dissémination et de commercialisation de nouveaux OGM non déclarés sur notre territoire alors que certains d’entre eux sont cultivé aux États-Unis et au Canada qui n’assurent aucune traçabilité ni de leur production ni de leurs exportations vers les ports”.
Par un arrêt du 7 février 2020, le conseil d’État a appliqué la jurisprudence de la cour de justice en reconnaissant que les organismes obtenus par certaines techniques de mutagénèse devaient être soumis à la réglementation relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM). Il en a tiré la conséquence que le gouvernement devait modifier le code de l’environnement, identifier ,au sein du catalogue des variétés de plantes agricoles celles qui avaient été obtenues par mutagénèse et donc soumises à la législation OGM et de mieux évaluer les risques liés aux variétés de plantes rendues tolérantes aux herbicides (VRTH) et ce dans un délai de six mois. En application du principe de précaution, le conseil d’État a jugé “que le premier ministre ne pouvait refuser des mesures de prévention de l’utilisation de variétés de plantes rendues tolérantes aux herbicides”.
L’État n’en a rien fait et pire encore, cherche un stratagème à travers la loi votée en décembre 2020 qui l’autorise à intervenir par ordonnance sur “les modalités de traçabilité et les conditions de l’utilisation des semences des variétés rendues tolérantes aux herbicides et des produits issus” Le conseil d’État vient donc de décider de rouvrir une procédure du fait de la non-réponse à son injonction.
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Manipulation de la science et conflits d’intérêts
Cette soumission de la France à l’agrosemence (qui s’est traduite par la réintroduction des néo nicotinamides et l’incapacité de mettre un terme au glyphosate) n’est pas nouvelle. Il ne faut en effet pas oublier que le premier OGM à avoir été présenté à l’autorisation, le maïs Novartis, l’avait été par la France en décembre 1993 et avait fait l’objet d’un refus de mise en culture, à ma demande, par le gouvernement d’Alain Juppé en février 1997. C’est l’autorisation donnée un an plus tard par Dominique Voynet qui a ouvert le premier contentieux national et communautaire sur le sujet qui a ,en réalité, bloqué largement le développement de la culture OGM en Europe.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les pressions de l’industrie sur le gouvernement français demeurent. Mais aujourd’hui, la Cour de justice de l’union européenne est beaucoup plus rigoureuse qu’elle ne l’était il y a 20 ans.
Toutefois, dans le même temps, aux OGM anciens et nouveaux se sont ajoutés le clonage, la colle à viande et autres plaisanteries qui ont toujours une longueur d’avance sur les institutions, deux longueurs d’avance sur les citoyens et trois longueurs d’avance sur les juges…
Continuer le combat contre l’agriculture chimique
Ces combats contre l’agriculture chimique, dont les ravages sanitaires sont de mieux en mieux établis, sont aussi fondamentaux que le sont les combats contre le dérèglement climatique. Ils sont peut-être encore plus difficiles à mener car la manipulation de la science , les conflits d’intérêts, les pratiques indéfendables au sein de certains organismes d’expertise rendent le combat encore plus inégal, la charge de la preuve incombant toujours à la victime.
Mais, à la fin de l’histoire, ces combats seront judiciairement gagnés… Pour autant, combien de victimes, combien de conséquences sur la biodiversité jusqu’à ce que le bon sens l’emporte ?
Corinne Lepage est la co-autrice avec Christian Huglo de Nos batailles pour l’environnement – 50 procès, 50 ans de combats, paru le 28 avril aux éditions Actes Sud.