Numérique et nouveaux modes de travail : trois tendances à surveiller

Le numérique influence désormais les pratiques sociales et professionnelles d’une grande partie des individus. Des modes de travail inédits tels que le travail à distance et le travail nomade ont ainsi émergé ces dernières années. Bien qu’encore minoritaires et concernant principalement des secteurs comme les services web ou les télécommunications, ces mutations s’étendent progressivement à l’ensemble de l’économie : finance, transport, formation, consulting, etc. L’abandon de bureau fixe au profit du seul ordinateur portable devient donc une réalité pour une partie croissante des actifs. Plus rien ne les contraint à exercer leur activité à proximité permanente de leur employeur et de leurs clients. Témoins des évolutions qui doivent faire l’objet d’une attention accrue, trois signaux faibles changent la donne en matière d’organisation du travail.

Plateformes numériques d’intermédiation

Les rapports professionnels sont impactés par le digital. Des plateformes numériques d’intermédiation comme Upwork ou Freelancers connaissent un succès croissant en proposant à quiconque de mettre ses compétences à disposition pour réaliser une prestation de service moyennant rémunération “à la tâche”. Ces plateformes permettent aux entreprises d’externaliser de manière flexible leur activité tout en ayant accès à un bassin mondial de compétences, mais également de “dégrouper” et délocaliser des projets complexes en plus petites unités. Du côté des travailleurs indépendants, cette intermédiation leur donne accès à un vaste marché de clients, augmentant théoriquement leurs chances de trouver du travail. En somme, le marché du travail se numérise et l’ensemble des métiers consistant à échanger des flux d’information seront concernés à l’avenir.

« Remote first », « full remote », « distributed teams »

En parallèle, de nouveaux modèles d’organisation des entreprises émergent. Dénommés “remote first” ou remote only, ils sont adoptés par des sociétés innovantes comme WordPress, Buffer, ou Basecamp. Elles promeuvent une organisation où une faible part des employés est localisée sur le site principal de l’entreprise. Les avantages d’un tel fonctionnement reposeraient sur une hausse de la productivité pour les salariés et un faible taux d’absentéisme qui verraient leur qualité de vie s’améliorer. Dans certains secteurs d’activité où le marché de l’emploi est en tension, avec une main d’œuvre rare et coûteuse, une organisation en remote only permettrait de limiter la contrainte géographique par l’élargissement du bassin de recrutement, tout en entraînant une baisse du turn-over et des coûts inhérents. Pour les salariés, ce mode d’organisation offre davantage de flexibilité horaire et de liberté dans l’organisation des tâches et, de surcroît, un gain de temps de transport au quotidien.
 
Il est clair qu’intégrer un tel fonctionnement implique pour les entreprises de s’interroger sur leur pratique et nécessite un changement de culture qui passe par un temps d’adaptation, la mise en place d’une communication asynchrone et d’outils en ligne comme Slack et Trello. Cela suppose plus d’échanges écrits et moins de place pour l’informel et les interactions spontanées. Selon les adeptes de ce nouveau mode d’organisation, la distance géographique entre les salariés peut être compensée d’une part en organisant des retraites, à la manière des séminaires de team building favorisant la cohésion des équipes et d’autre part en instaurant des dispositifs d’animation en ligne.
 
Les dirigeants choisissant le full remote estiment que les managers et les meetings (appelés les M&M’s), engendrent des lourdes pertes de temps et donc de performance. Cela n’a rien d’étonnant quand on sait que 65 % des entreprises américaines considèrent que l’efficacité de leurs employés a augmenté avec le télétravail et que 55 % des travailleurs s’estiment stressés par leur trajet quotidien.

L’émergence des espaces virtuels de travail

Quoique s’inscrivant dans une perspective plus lointaine, cette troisième tendance est intéressante pour comprendre les évolutions en cours. Les espaces virtuels de travail réunissent les équipes dont les membres sont éloignés géographiquement dans des cyber-lieux de plus en plus réalistes. Il s’agit de favoriser les liens interpersonnels au moyen de dispositifs d’intermédiation « discrète » : les casques de réalité virtuelle. Les participants établissent un contact visuel qui apparaît essentiel pour favoriser la spontanéité des échanges. L’interaction et la convivialité y seraient même plus naturelles que par écran interposé, avec le sentiment de partager un lieu physique commun. Si le travail à distance peut soulever des difficultés, ce n’est pas une fatalité estime BigScreen qui, avec d’autres, développe ce type d’application. Cette société affirme que de tels outils peuvent rendre les équipes plus épanouies et productives et compte sur les avancées technologiques en matière d’ergonomie pour rendre les casques de moins en moins intrusifs et les espaces virtuels de travail de plus en plus réalistes.

Ces trois signaux faibles témoignent des transformations à l’œuvre et à venir pour les entreprises et les travailleurs, tant dans leur rapport au temps que dans leur rapport à l’espace. Il est désormais possible d’exercer une activité à forte valeur ajoutée en tout lieu, y compris sur les territoires les plus périphériques, sous condition d’un accès au réseau haut-débit. La question est maintenant de savoir comment ces territoires et leurs entreprises s’adapteront à cette nouvelle donne numérique. Ces modes de travail correspondent, pour peu qu’ils soient choisis et non subis, aux aspirations des générations Y et Z qui font de la qualité de vie et de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée une priorité.

À propos de l’auteur :
Clément Marinos est Maître de conférences en économie à l’université Bretagne Sud, docteur en aménagement de l’espace et urbanisme, membre du Laboratoire d’Économie et de Gestion de l’Ouest et coordinateur scientifique du projet de recherche PERI#WORK sur les nouveaux espaces de travail collaboratif en périphérie. Ses travaux cherchent à mettre en évidence les effets du numérique sur les territoires et les nouveaux modes d’organisation du travail.
 

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